Coïncidence ou pas, je débarquais aux USA à la période où se déroulait le festival de musique le plus connu de la ville où je mettais les pieds. Trop tard pour proposer mes services à l'organisation de cet événement auquel il aurait tout de même été difficile de m'y consacrer en parallèle avec l'ouverture du magasin dont j'étais nommé garant de son succès. Peu importait, car je ne trouvais finalement pas beaucoup d'attrait sur le plan des scènes proposées. Je constatais le niveau du plateau bien moins relevé que ce que l'Europe pouvait se targuer d'offrir dans le même domaine. Pas assez diversifié pour m'empêcher à un moment donné de décrocher de l'ambiance. Je restais tout de même, décidé à ne rentrer qu'en clôture, dans l'espoir toujours d'y trouver un regain d'intérêt au fil des prochaines heures. Les quelques noms aperçus sur l'affiche ne me rassuraient pas en ce sens, mais il y avait de quoi alimenter mon inculture musicale. Avec du passable et du mauvais jusque lors. La bonne surprise tardait.

Au rayon de mon étonnement pouvait se ranger l'accessibilité des plus jeunes au festival. D'où peut-être le manque de saveur dans les groupes ou chanteurs adaptés à un public fort commun, à tendance familiale et/ou populaire. Un pouvoir politique frileux à l'idée de casser les codes, je pouvais alors comprendre la déception de celui comme moi qui s'attendait à de belles trouvailles artistiques. Afin d'en trouver, il fallait plutôt regarder les grimages des enfants. Et non leurs grimaces d'être traînés dans cette plaine aux odeurs mélangées de transe animale - celle des moutons bêlant au même rythme que le troupeau sur le tube le plus écouté du moment, interprété par le groupe le plus en vogue du moment mais davantage par écho sociétal que par le talent dans ses productions - et de cuisson à la friture, car une partie lucide de la plèbe remarquait combien la nourriture pouvait surclasser les voix mal accordées, aussi bien que des canards du Périgord n'avaient pourtant rien à envie à la qualité des mets graisseux vendus aux stands de malbouffe de Marple Spring.

Quelque chose de beau ressortait dans l'agencement des formes et des couleurs brillantes peintes à même le corps des enfants aux oreilles bouchonnées par des protections auditives. Officieusement les préserver de la surdité avant l'âge adulte. J'ajouterais : leur épargner les affreuses prestations lyriques. Mais une consigne devait brider la facilité du peintre à l'origine de ces mêmes motifs. A force d'errer sur le site, au gré de mon désenchantement, je me suis rapproché du lieu où les bambins étaient transformés en doux félins. Souriants ou pleurants selon la permission que chacun d'eux admet à se laisser gribouiller les contours de la bouche puis du nez. Les responsables de cette fresque au chômage technique, encore en poste mais prêts à fermer à la moindre décision qui émanerait d'en haut. L'un des bénévoles détenait tous les traits de l'artiste que je cherchais : regard autant perdu dans le vide de l'espace qu'émerveillé par un bout de poussière qui s'envole à deux pas du sol, maintien propice pour que ce soit lui et non pas un autre qui s'affaire sur la première sollicitation qui s'immiscerait sous leur chapiteau, et puis une incroyable jeunesse à qui il est difficile de conférer un âge tant la pureté de l'âme semblait se refléter sur son front et ses joues.

Je m'approchais ainsi comme j'étais venu, désireux de consolider les réponses à mes interrogations. « C'est vous l'art sur le visage et les bras des enfants ? » Sans attendre de réponse, qui m'aurait été précisée et m'aurait dès lors redirigé vers la personne adéquate, je me dévêtis de mon tee-shirt. « Vous pouvez me faire un loup ? Rugissant à la pleine lune ou dans une perspective majestueuse. Sur tout le dos », précisai-je en le lui tournant. Ma peau devenait son lieu d'expression avec la possibilité de la recouvrir de mon haut si le résultat ne me satisfaisait pas. Pivotant la tête vers l'arrière pour conserver un contact visuel, je n'envisageais pas encore cette hypothèse, certain que ca aurait de la gueule. Qu'il ne se foutrait pas de la mienne.

Être artiste, c'est ne rien refuser. Dès lors, quand je vis que l'adolescente prenait ma demande avec enthousiasme bien que mes exigences dépassaient la ligne de conduite instaurée par l'organisateur du festival - ou plutôt son staff de responsables auxquels il a délégué l'ensemble des tâches. Un artiste quel qu'il soit n'avait pas à être cantonné par des directives qui lui imposaient de faire des carrés, d'utiliser la couleur bleu ou de ne pas dépasser les trente secondes par réalisation. Puis je voulais quelque chose de particulier; alors je n'allais pas prétendre que je me satisferais d'un minois de tigre ou d'un papillon.

Je laissais les traits de cette jeune artiste - preuve encore une fois que le talent n'a pas d'âge - glisser sur ma peau, déjouant la courbe de mon omoplate où l'exercice s'avérait le plus complexe, car c'était l'endroit le plus détaillé avec la gueule de l'animal à dessiner. Je n'entendis aucun son insatisfait au long de la création, et le miroir devant lequel je me retournais me renvoya un résultat final plus que probant. Mon regard passait répétitivement du croquis à son concepteur, puis dans le sens inverse : je tenais à me rappeler dans les semaines qui suivraient du visage de la personne qui m'avait couché son don naturel.

« Parfait » lâchai-je en me relevant, pour caler mon t-shirt entre l'élasticité de mon bermuda treillis et celle de ma hanche. Je me surprenais à peine du compliment proféré tant j'opérais dans la radinerie de ce côté là. Egalement avare en paroles, je ne refusais pas la discussion qu'elle engageait : « Vu la bouffe qui est servie dans la plupart des kiosques, je m'en sors bien pour l'instant. Mais je viens à peine d'arriver il y a une heure. » La fille m'informe qu'il y a d'autres stands créatifs, à la seule difficulté qu'il ne faut pas passer au-dessus dans cette fourmilière crasseuse. « Evidemment que je compte en profiter. Je commence à peine, et je sens que je vais en avoir pour mon argent ce soir. » Je ne m'attendais à pas grand chose de plus que de voir le déluge d'un comportement social entièrement déséquilibre vers la boisson et la consommation d'herbe. Et des électrons libres dans le tas, qui auraient conscience de ce qu'un festival représente réellement. Je plantais les coudes en arrière sur une planche en bois à mi-hauteur et visualisais déjà ce changement dans les rangs du public. J'aurais pu sortir un paquet et un briquet que je me serais donné un certain style, mais fort heureusement le défaut me faisait justement défaut. Lèvres pincées, à plat, je souriais de cette façon et me rendais compte que je cachais la majestueuse fresque dans mon dos. « C'est un baptême pour toi ? Le festival, je veux dire. J'ai remarqué que le dessin c'était plutôt inné. » prolongeais-je l'échange, la musique m'atteignant autant que la vision de ces tournées de bières circulant dans la plaine.