- Abagail… Tu es mauvaise !

Ma voix s’était faite faussement monotone. Mon état d’âme vacillait entre joie et colère tandis que ma mesquine petite sœur, Abagail, s’amusait à faire danser une feuille de papier sous mes yeux. Cette lettre était, en fait, la confirmation de mon adhésion à l’école de médecine.

Ce jour-là, j’étais rentré plus tôt à la maison, mais visiblement pas assez pour attraper ce vieux Monsieur Donald, notre facteur. Ma petite sœur, fiévreuse et coincée dans son lit, s’était fait un malin plaisir à déchiqueter l’enveloppe fièrement tamponnée d’un logo New Yorkais. Mon acceptation était la cause de sa danse folle et farfelue. Danse que je n’ai pas réussi à m’empêcher de rejoindre quelques secondes plus tard. La joie avait rapidement effacé ce petit sentiment d’agacement qui pinçait mon cœur. Nous avons fêté ce grand évènement tout en attendant nos parents. Jusqu’à la nuit… Jusqu’au petit matin. Jusqu’à ce que ce soit la police qui se présente à notre porte pour nous annoncer ce qui a fait chavirer ma vie, et celle de ma précieuse petite Abagail. La mort de nos parents, ainsi que celle de notre plus jeune sœur.

Mon cœur s’est déchiré en même temps que cette lettre de l’université de New-York. Hors de question d’abandonner la famille qu’il me reste pour une école. Lazlo, le seul survivant de l’accident est devenu, en quelque sorte, un bouc émissaire. Je ne pourrai sans doute lui avouer de vive voix, mais cette accident, je lui en tiens responsable. Ma relation avec lui à toujours été tendu, mais cette négativité n’a fait qu’accroitre depuis que je sais qu’il était au coter de Lily lors de son dernier souffle. Est-ce qu’il a, au moins, tenté de la rassurer ? J’en doute et par peur de la réponse, jamais je ne lui demanderai.

Les funérailles ont passé, les semaines aussi et ce n’est que lorsque ma petite sœur a réussi à sourire de nouveau que j’ai compris que la vie ne s’arrêtait pas après la mort. Cet évènement, aussi triste soit-il, a réussi à me rapprocher d’Abagail. Plus que nous l’étions au départ. Je comblais, avec elle, l’écart que j’entretenais avec Lazlo.  Celle que je considérais autrefois comme une peste, mais toujours spéciale à mes yeux, à soudainement pris plus d’importance à mon cœur. J’ai oublié ses défauts et découvert plus de ses qualités. En particulier sa bonté lorsque, de ses petites mains, elle m’a tendu cette lettre recollée au ruban adhésif. « Garrett, ne gâche pas ta vie. Je suis une grande fille maintenant. » Ses paroles résonnent encore dans ma mémoire, même après tant d’années. Ce n’est pas que je ne lui faisais pas confiance, mais j’étais réticent à partir. À l’époque, j’étais encore jeune et New-York me paraissait si loin. J’ai douté, mais je me suis lancé. Laissant Abagail seul dans ce monde qui a malheureusement réussi à la corrompre.

Mes craintes au sujet de New-York étaient fondées. Les rues bondées le jour comme la nuit ne me manquent pas. La cruauté de ses habitants encore moins. Stagiaire dans cet hôpital gigantesque, je comptais les jours. Du moins, jusqu’à ce qu’elle traverse le couloir sur une civière poussé par deux ambulanciers. Elle était semi-consciente. J’ignorais ce qu’elle avait, mais je me souviens avoir remarqué sa beauté dissimulée derrière ses hématomes et ce sang. Elle est rapidement devenue ma patiente et c’est à son réveil que nos regards se sont croisés. Le coup de foudre fut instantané et suite à plusieurs inconvénients, dont une perte de vue d’une année, j’ai fait le grand pas et je lui ai demandé sa main. Six mois plus tard, nous étions mariés et de retour à Marple Spring.

Je n’avais jamais imaginé ma vie une fois marié, mais aujourd’hui, je n’arriverais pas à l’imaginer autrement. Elle a été une source d’inspiration inépuisable. Laurena, ma sublime moitié, m’a donné la force de reprendre le flambeau du vieux médecin de la ville et à forger ma réputation du premier fils des Williams. L’avenir et les responsabilités ne m’effraient plus aujourd’hui. Pas tant qu’elle sera avec moi.