♛ It's all coming back to me.

La fin de l’été approche. Toute la ville se prépare peu à peu à la rentrée des plus jeunes. Tout le monde est en effervescence, tout le monde sauf Alessandra. La rentrée lui a toujours donné le cafard, elle qui n’a jamais supporté l’école. Et même aujourd’hui, alors qu’elle ne se sent pas du tout concernée, elle éprouve cette mélancolie particulière du mois de septembre. Mais il n’y a pas que ça, sûrement que non. Elle ne va pas bien en ce moment. Elle dort mal, elle se réveille souvent en pleine nuit en criant, à cause d’un cauchemar. Elle revit ce qui s’est passé durant la fête du quatre juillet, encore et encore. Sur le moment, elle s’est convaincue elle-même qu’elle allait parfaitement bien. Mais les jours passent, rien ne s’efface. Elle a toujours le souvenir de ce garçon étendu par terre. Les cris. Les gens qui courent partout. Elle ne parvient pas à oublier, non, elle a l’impression qu’elle n’y arrivera jamais. La seule chose qui lui permet, un tout petit peu, de se détendre, c’est l’herbe. Elle fume depuis longtemps, depuis presque aussi longtemps qu’elle se souvienne. Mais elle se réfugie de plus en plus dans ce qui est devenu son seul moyen de se détendre. C’est ce qu’elle est en train de faire, là, tout de suite. Elle est assise sur l’herbe, ironiquement, en train d’en fumer alors que ses yeux sont posés sur le lac. A l'endroit exact où tout s'est passé. Comme si, finalement, elle aimait se faire souffrir. Il y a quelques personnes qui profitent des derniers rayons du soleil, un peu plus loin, mais elle s’est volontairement mise à l’écart. Elle s’isole de plus en plus, Alessandra. Elle n’évite pas ses proches, non, elle ne pourrait pas faire une chose pareille. Elle redoute beaucoup trop l’abandon à cause de sa propre famille pour être capable d’en faire autant. Mais elle n’est plus vraiment la même. Elle ne fait plus la fête, elle ne sort plus. Il n’y a qu’au bar qu’elle continue de se rendre, bien obligée de travailler pour payer son loyer. Puis, là-bas, au moins, elle oublie ses soucis pour se concentrer sur ceux des autres. Mais, en cette fin d’après-midi, le Mambo’s est encore loin d’ouvrir ses portes. Elle profite de ce moment d’accalmie, laissant son joint faire son effet en elle, quand elle entend quelques pas non loin d’elle. Machinalement, elle tourne la tête. Et c’est là qu’elle la voit. Alyson. Elle reconnaîtrait cette chevelure flamboyante entre mille. Pourtant, Dieu sait que le temps est passé. Des mois, des mois qu’elles ne se sont pas vues, toutes les deux. Ce n’est pas faute pour Alex d’avoir essayé de la contacter, dans un premier temps en tout cas. Mais Alyson était toujours aux abonnés absents. L’ignorance, c’est bien quelque chose que la brune déteste. Elle a ressenti cette absence comme un abandon. Et la voir, subitement, ici, en train de profiter tranquillement du lac, c’est… Douloureux. Ça lui fait mal. Parce qu’elle lui a manqué, parce qu’elle s’est inquiétée aussi. Et puis, seulement, parce qu’elle s’est sentie rejetée par l’une de ses plus proches amies. Mais sa souffrance, elle ne l’a toujours fait ressortir que de la pire manière. – Tiens donc, les morts reviennent à la vie ?

♛ It's all coming back to me.

Marchant au bord du lac Michigan, la rousse admirait les reflets du soleil sur l'eau, et la beauté du paysage, plongée dans ses pensées. Elle repensait à son été, qu'elle avait passé entre ici et les Hamptons, où son père, sa belle-mère enceinte jusqu'aux yeux, son frère et sa soeur se trouvait. Elle y avait passé une dizaine de jour en juillet, juste après le quatre juillet et ce terrible meurtre avec Aiden, le frère de Will, avant d'y retourner deux semaines en août pour se changer à nouveau les idées, l'ambiance en ville étant trop pesante à son goût depuis le meurtre. Mais elle avait dû revenir pour la rentrée, elle qui faisait désormais son entrée en doctorat avait eu quelques réunions importantes qui avait requis sa présence. Mais aujourd'hui était un jour sans rien pour la jeune Callahan, qui avait décidé pour la première fois depuis le quatre juillet de se rendre aux abords du lac.

Ceux-ci étaient en grande partie désert, mais la rousse croisa malgré tout quelques connaissances, qu'elle salua sourire aux lèvres, avant de partir vers un côté largement moins fréquenté. Ce choix lui permit de mettre ses écouteurs pour écouter un peu de musique durant le reste de sa balade. Enfin c'est ce qu'elle pensait, car alors qu'elle passait un léger virage naturel de la plage, une voix lui fit lever le regard.

Tiens donc, les morts reviennent à la vie ?

Malgré la musique, elle reconnut immédiatement cette voix, juste avant de voir la personne qui avait prononcé ses mots: Alessandra Hamilton. Son amie. Enfin, si elle pouvait encore l'appeler ainsi. Ensemble, elles avaient passé des soirées de folies il y a une année maintenant, et même plus. A l'époque où Aly était au plus bas en fait, quand elle se droguait pour oublier son accident qui avait fait du mal à sa patronne. Mais depuis qu'elle avait choisi d'arrêter ses conneries et s'était sevrée de manière forte, elle avait ignoré son amie. Elle avait trop peur de retomber dans ses mauvais travers si elle continnuait à la fréquenter. Sauf qu'elle n'avait pas fait cela de la bonne manière, elle le savait, et aujourd'hui, pour elle c'était trop tard pour s'excuser. Et puis la jeune femme devait lui en vouloir, elle s'en doutait. Après tout, elles étaient quand même proches, et du jour au lendemain plus rien.
Déglutissant difficilement et en silence, la Callahan retira ses écouteurs et dévisagea quelques secondes en silence Alessandra.

- Aucune idée. Je ne suis pas morte

C'était nul comme réponse, mais la plus terre à terre et la seule qui lui était venue à l'esprit.

♛ It's all coming back to me.

Elle a ses écouteurs dans les oreilles, le visage souriant, les longues boucles rousses qui tombent le long de son dos. Elle n’a, on dirait, absolument pas changé. Elle est toujours la même, Alyson. Pourtant, la jeune serveuse sait pertinemment que ce n’est qu’une apparence. Elle a bien changé, à un moment ou un autre, pour la sortir aussi brutalement de sa vie. C’est peut-être simplement qu’elle ne s’intéressait plus à elle, si paumée, si tourmentée. C’est peut-être qu’elle a eu des problèmes, des contraintes qui l’ont poussée à s’éloigner durant tout ce temps. Mais elle n’a pas l’air bien mal en point en cet instant. Au contraire, tout a l’air de bien se passer pour elle. C’en est presque agaçant pour une Alessandra écorchée qui finit par mettre des mots sur son ressenti. Peut-être aurait-elle dû réfléchir à deux fois avant d’ouvrir la bouche, peut-être devrait-elle chercher une explication, ou même seulement… Lui avouer son incompréhension. Sa tristesse de perdre du jour au lendemain l’une de ses plus proches amies. Mais, à la place, il n’y a que cette amertume, cette ironie acerbe dont elle sait si bien se servir. Cette ironie qui tente de cacher sa douleur, avec Alyson, avec tout le monde en réalité. Pendant un instant, Alex se demande si elle va réagir. La jolie rousse n’est pas du genre à craindre les confrontations mais… Elle ne pensait pas non plus qu’elle serait capable de briser leur amitié sans aucune explication. Mais elle finit par retirer ses écouteurs, signe qu’elle est décidée à lui répondre. Une réponse franchement décevante pour Alessandra. – Dommage. Elle est dure, elle le sait. Elle l’a toujours été. Mais elle ne le pense pas, c’est tellement évident qu’elle ne le pense pas. Elle est simplement en colère. Toutefois, elle continue de feinter l’indifférence. Elle aurait été plus crédible si elle s’était contentée de l’ignorer mais ça, c’est impossible. C’est plus le genre d’Alyson. Approchant son joint de ses lèvres, la belle tire une nouvelle taffe avant de reprendre très vite la parole. – T’aurais eu une bonne excuse au moins. Mais t’es juste la fille égoïste qui prend et jette ses « amis » comme des one shot qu'on trouve en boîte. Et elle y vient. Au cœur du problème. Aless’ n’a pas l’habitude de tourner autour du pot. Elle a toujours été directe. Malgré toutes les tentatives de sa famille pour lui apprendre que, parfois, elle devrait y réfléchir à deux fois avant de parler. Mais, surtout, elle est incapable de se contenir. Pas face à une fille qui était aussi importante pour elle, une fille qui l’a juste balancée de sa vie.