Assis sur ton canapé, le cigare dans la bouche, ton verre de bourbon à la main, tu fixes la cheminée dont le feu crépite. Dehors, il fait froid. Vous êtes en hiver, à l’approche des fêtes de Noël. Cette période te rend nostalgique, à ta façon. Tu n’es pas prêt à l’admettre, mais tu te remémores les quelques souvenirs que tu enfouis précieusement dans ton esprit tandis que les flammes réchauffent ton corps engourdi. Ils ne te sont pas précieux, contrairement aux dires des gens biens. Les tiens, ils sont plus sombres et difficiles à gérer. Ce n’est pas pour rien que tu te réfugies sur la bouteille, durant le mois de décembre. Ca te permet de tenir le coup. D’effacer, le temps de quelques minutes, les images qui défilent encore sous tes yeux. T’es pourtant suffisamment âgé pour encaisser. C’est ce que tu te dis, évidemment. Malheureusement, il semblerait que ta mémoire ne soit pas d’humeur à te laisser en paix. Alors, tu prends une gorgée du liquide qui brûle ta gorge et tu fermes les yeux, repensant à ces événements qui ont fait de toi l’homme que tu es aujourd’hui.

Tu n’as jamais connu les bras chaleureux d’une mère aimante. La tienne, c’était une traînée. Une femme mariée, qui n’a pas su garder ses cuisses fermées. D’origine russe, elle était l’épouse d’un homme puissant du pays, établi aux Etats-Unis. Mais elle s’ennuyait, n’était pas assez valorisée par celui à qui elle a juré fidélité. Alors, elle est tombée enceinte de son amant : Ulderico Genovese. Malheureusement, lui aussi avait une épouse et un fils légitime. Cependant, elle n’a pas su se résoudre à avorter. Bien qu’humiliée par son cher mari, elle a mis au monde l’enfant que tout le monde a toujours considéré comme « le bâtard » : toi. Oui, c’est ainsi que tu as poussé tes premiers cris déchirants, perdu entre deux familles qui se sont déchirées. T’avais rien demandé, c’est vrai. Pourtant, la haine à ton égard fut de la partie. Et, préférant t’abandonner, ta mère a fichu le camp de la maternité aussi vite qu’elle a pu. Et c’est Ulderico qui t’a reconnu et offert un foyer, bien qu’il n’ait jamais rien eu de chaleureux.

Du coup, tu as grandi avec ton demi-frère, Silas, ton père et ta « belle-mère », Anna. Autrement dit, tu n’étais pas tellement le bienvenue aux yeux de cette femme qui te détestait ouvertement. Tu ne méritais aucun traitement de faveur, aucun geste tendre. Rien. Tu n’avais le droit que de respirer, à peine de vivre. Dès qu’elle le pouvait, elle te le rappelait et les coups se mettaient à pleuvoir sur ton corps d’enfant. Ulderico prenait de temps en temps ta défense mais c’était plutôt rare. Le seul qui eut un peu de douceur pour toi, c’était ton demi-frère. Bien qu’il ne s’opposait pas à la colère de sa mère, il était du genre à t’offrir des biscuits en cachète alors que tu étais privé de dessert. Alors, malgré vos différences et les tensions électriques de la maison, une amitié fraternelle se développa entre vous. D’autant que Silas était déjà bien plus âgé que toi, avec tes dix ans de moins.

En devenant plus vieux, Silas devint ton rempart face à Anna. Il la remettait en place, ne la laissait pas te frapper jusqu’à ce que tu tombes dans les pommes. Non. Il disait que, malgré tout, tu étais également un héritier de « la famille » et qu’il fallait, de ce fait, te respecter. T’éduquer en conséquence. Tu ne compris pas tout de suite de quoi il en retournait. Mais dès que tu eusses quatorze ans, Silas et Ulderico vinrent t’expliquer les fondamentaux de la vie qu’ils menaient. Parce qu’ils n’avaient rien des gens biens. Ils étaient de l’autre côté de la frontière, entre le Bien et le Mal. Oui, ils étaient les dirigeants d’un important trafic de drogue et menaient une vie dangereuse. Et ils décidèrent de t’y impliquer, à leur façon.

Dès lors, ta vie fut différente. Tu fus placé dans une école privée, hautement réputée, malmené par tes professeurs et les exigences paternelles. Tu pris de nombreux cours de sport, afin de renforcer ta condition physique. Tu iras même jusque sur les bancs universitaires, en parallèle de tes activités illicites. Les étudiants étaient ravis de pouvoir se fournir en poudre blanche ou « médicaments anti-stress ». Tu avais de quoi alimenter la plupart de tes amis et bien au-delà. Très vite, tu t’es fait un petit nom et une réputation, ce qui ravit ton père. Pour la première fois, tu découvrais ta place et tu menais tes affaires sans éveiller les moindres soupçons. Tu fus alors diplômé, dans le domaine des finances, et tu retournas à Détroit – la ville de ton enfance – pour y aider « la famille ».

Après quelques années, Silas et toi avez décidé de vous installer à Marple Springs. C’était un endroit calme, parfait pour écouler quelques produits et y mener des affaires discrètement. La planque était alors idéale ! Surtout que vous cachiez la totalité de votre trafic grâce à la chaîne de magasins que vous possédiez. Un monde parallèle, finalement, à ce qu’il se passait véritablement. Hélas, la vie décida de te jouer un mauvais tour supplémentaire. Lors d’une transaction particulièrement difficile, Silas fut abattu. Ton frère, le seul sur lequel tu pouvais compter en ce bas monde, venait de perdre la vie. Ta rage fut dévastatrice et tu juras de le venger – ce qui se fit, des mois plus tard. Mais, très vite, le meilleur ami de ton frère – un trafiquant d’armes sévissant dans le coin – vint à ta rencontre. Il eut un deal à te proposer, afin de dissimuler encore d’avantage vos activités illicites : un mariage arrangé. Avec sa fille. Bien qu’elle soit très belle, et plus jeune que toi, Ausra avait un caractère bien trempé et cela ne te plaisait pas. Ceci dit, Ulderico pensa également qu’il s’agissait-là d’une excellente opportunité pour vous d’unir vos forces et de faire penser à la police que vos rencontres clandestines du passé étaient liées à cet « amour » naissant. De plus, le père d’Ausra avait une requête plus personnelle : tu devais veiller sur son héritière. La prunelle de ses yeux. Tu acceptas alors de l’épouser, même si cela ne t’enchantait pas. Et elle non plus.