1. La descente aux enfers.

Le ciel étoilé semblait paisible, le calme régnait sur Détroit. Et pourtant, d'un coup, comme perdu dans la nuit, un brouhaha éclate. Cela commence par des pneus qui crissent, laissant une longue traînée noire sur la route. Un cri de femme strident. Le bruit de la taule de la voiture qui cogne contre le bitume, puis contre la barrière de sécurité. Le bruit des airbags qui éclatent. L'un de deux enfants à l'arrière de la voiture crie, hurle, sa tête saigne. Mais ce n'est pas le liquide rouge qui coule sur son visage qui l'interpelle. C'est plutôt l'absence de réaction de son frère qui l'effraye. Pourquoi il ne crie pas ? Pourquoi il semble encore dormir paisiblement comme il le faisait juste avant l'accident ? Elle s'égosille la voix "Maman, Dwayne dort, il faut le réveiller!", mais elle n'obtient aucune réponse. "Papa! Maman et Dwayne dorment, il faut les réveiller pour sortir de la voiture! Papa, réveille les, je n'y arrive pas!". Elle rencontre le regard de son père. Son père, son héros, celui qui était censé être le plus fort, le plus grand, qui avait solution à tous les problèmes. Et pourtant, pour la première fois, elle rencontre le désespoir et la peur dans les yeux de son paternel. Il ne sait pas quoi faire, ça se voit dans son regard et dans ses gestes. Il tente de se défaire de sa ceinture de sécurité, se bat en vain contre le vulgaire bout de tissu. Il ne dit pas un mot. Alors la jeune fille se tait elle aussi, elle se rend compte que son père n'est pas invincible et le silence règne à nouveau sur la nuit, jusqu'à ce que plusieurs sirènes se fassent entendre.

Extrait du journal de Detroit, 14 avril 2003.
Accident mortel sur la R23 : le conducteur s’était endormi.
Un terrible accident de la circulation a coûté la vie à un enfant la nuit dernière. Le conducteur, d’après les premiers éléments recueillis sur place, se serait endormi au volant, empiétant ainsi sur la chaussée de gauche. Juste au moment où arrivait en sens inverse une autre voiture. Le conducteur n’a pu éviter l’impact. Sous la violence du choc, les deux voitures sont projetées contre la barrière de sécurité.
Malgré tous les efforts déployés par les pompiers, Dwayne Wellington, 15 ans est décédé sur les lieux de l’accident.

Les Wellington connaissaient une terrible période. Monsieur Wellington n'avait que quelques égratignures, les airbags ayant supporté le choc pour lui, Madame Wellington s'en sortait avec quelques côtes brisées et Alexie était totalement cassée intérieurement. Elle avait l'impression qu'elle avait rendu son dernier souffle en même temps que son frère. Elle commença par arrêter de parler, puis elle s'éloigna de chacun de ses amis pour devenir une petite fille solitaire, en proie à un chagrin inconsolable. A 14 ans, alors qu'elle pensait ne pensait plus pouvoir ressentir une seule émotion, elle se mit à voler dans les magasins. Elle se sentit revivre : elle pouvait enfin ressentir de l'excitation, de la peur, du soulagement... des choses que Monsieur et Madame Wellington ne pouvaient pas lui payer et qui la faisaient se sentir humaine. Elle avait besoin du danger pour vivre au grand dam de ses parents qui ne comprenaient pas. Ils ne comprenaient pas qu'elle ne se sentait plus à sa place dans ce monde.

2. La renaissance

Elle s'était bien entourée, pendant deux années. Elle avait trouvé des personnes aussi paumées qu'elles. Ces relations lui convenaient, ils volaient ensemble, se défonçaient de temps en temps, buvaient, sortaient mais ne savaient rien les uns des autres. S'ils se faisaient prendre, c'était chacun pour soi, si l'un d'entre eux allait mal, il dégageait. Elle ne pensait pas avoir besoin de plus, elle pensait se suffire à elle-même. Et puis vint un soir où elle vit un groupe de mecs. Des petits merdeux bruyants. Elle était allée commander une bière, juste à côté d'eux, histoire d'engager la conversation et voir s'ils en avaient autant dans le froc que ce qu'ils laissaient paraître. Puis, tout s'est passé très vite, un sifflement, une gifle, le silence. Pour qui la prenaient-ils? Pour qui se prenaient-ils? Le regard assassin et sans un seul mot, elle était retournée s'asseoir dans son groupe. Le choc passé, les garçons s'étaient remis à faire du bruit, ensemble. Alexie, elle, les observait du coin de l’œil. Ils avaient l'air bêtes et cons alors pourquoi avait-elle une irrépressible envie d'aller se rechercher une bière ? Quelques jours après, elle les avait recroisé au lac. Ils l'avaient abordée, elle avait fait la dur, elle avait tiré sur leur joint. Pleine d'arrogance et de fierté elle avait défié du regard chacun d'entre eux. S'en était fini d'elle, elle avait ouvert une faille, elle ne se suffisait pas à elle-même, elle avait besoin d'une famille... et elle venait de s'en trouver une.

Elle ne mis pas longtemps à prendre part aux frasques des garçons. Elle se sentait invincible à leurs côtés, capable de tout, capable de ressentir du bonheur, de la joie et même de l'amour. Elle savait qu'elle était plutôt appréciée par chacun des membres du groupe, mais elle, elle n'avait d'yeux que pour un seul. Celui qu'elle aurait suivi dans n'importe quoi, n'importe où. Le jour où il avait posé ses lèvres sur les siennes, elle avait découvert la sensation d'être une femme, de se sentir désirée. Elle s'était déjà perdue dans les bras de quelques hommes, mais là, tout était différent. Ca avait été une relation fusionnelle, sensationnelle. Elle avait une famille, un homme qui l'aimait et même si leur mode de vie paraissait plutôt marginal, elle était à nouveau heureuse.

3. Devenir adulte

Nino avait été arrêté. Il n'était plus à ses côtés. Le ciment du groupe n'était plus là. Alexie et les garçons n'avaient plus aucun repère. Alors qu'ils pensaient que rien ne pouvait les atteindre, ils tombaient de haut. Que faire maintenant? Que faire quand l'homme que vous aimez se retrouver derrière les barreaux? Que vous savez qu'il ne ressortira pas avant 10 longues années? Qu'il doit souffrir? Qu'il doit se sentir seul? Qu'il est loin de vous et que vous vous sentez abandonnée? Détruite à nouveau, Alexie se sentait d'autant plus perdue à chaque fois qu'elle allait voir Nino en prison. Même s'il gardait la tête haute quand elle venait le voir, elle savait, elle savait qu'il était terrifié. Elle était terrifiée elle aussi. Terrifiée pour lui et pour elle, se demandant quand est-ce que se serait son tour de se retrouver enfermée? A 18 ans, alors que son copain s'était retrouvé en prison et que son groupe avait éclaté, elle était retournée chez ses parents, la tête basse, en pleurs, perdue.
Ils l'avaient accueillie les bras grands ouverts, à la condition qu'elle n'ait aucun contact avec ce "gang" comme ils aimaient appeler sa bande d'amis. Elle avait accepté sans rechigner, elle ne verrait plus Nino. Elle ne pouvait pas le regarder dans les yeux et lui dire qu'elle avait peur et qu'elle s'était résignée à redevenir la fille modèle de ses parents, tout ce qu'elle avait détesté pendant des années. Elle se laissa faire, oubliant le risque, l'adrénaline. Après tout, nombreuses sont les personnes qui acceptent de vivre une vie monotone et ennuyeuse. Alexie ne voulait plus avoir mal. Elle ne voulait plus vivre une troisième perte.
Alors elle s'était trouvée un job à l'accueil du Melly's Hotel, elle avait habité chez ses parents qui lui avaient appris à vivre comme une vraie Wellington. Elle avait rencontré un garçon gentil, de bonne famille. Il avait été charmant lors de leur rencontre, lui avait ramené des fleurs lors du 3e rendez-vous, avait attendu le 5e pour l'embrasser. Il l'avait écoutée, il avait accepté son passé, il l'aimait, elle le trouvait de bonne compagnie. Il n'y avait pas de passion, certes, mais elle savait qu'avec le temps, elle oublierait la sensation qu'elle avait quand Nino l'embrassait. Elle savait qu'elle arriverait à l'aimer, parce qu'il était gentil avec elle.