En dix ans d’incarcération, il avait passé de longs moments à se demander ce qu’il ferait à sa sortie, la première personne qu’il verrait, les premiers mots qu’il prononcerait, comme une renaissance qui l’attendait de l’autre côté du mur en béton. Il savait pertinemment qu’en sortant, personne ne l’attendrait vraiment, ou du moins, personne ne serait là pour le récupérer aux portes du pénitencier, aussi, il ne fut pas surpris en ne voyant pas arriver toute sa joyeuse bande d’anciens copains, depuis longtemps perdus de vue. Ils avaient tous fait leur propre chemin chacun de leur côté, explosés par une bombe nommée Nino. Et lui, sa vie, il ne savait plus quoi en faire. Il n’avait jamais été très bon rêveur, toujours rattrapé par la réalité de sa situation, et ce même avant la prison, mais aujourd’hui, c’était pire encore : les raisons de se lever le matins étaient bien maigres, il avait la réputation et la tête d’un criminel tout juste sorti de taule, de quoi rendre tous ses potentiels employeurs perplexes. Son seul but, pour l’instant, c’était de retrouver Alexie. Dans une petite ville comme Marple Spring, il ne lui avait pas fallu très longtemps pour trouver son adresse, et s’il aurait voulu frapper à sa porte immédiatement et lui parler, il avait été arrêté net en apercevant du coin de l’oeil son ex-petite-amie avec un autre homme que lui. Il n’y avait pourtant rien d’étrange à ce qu’elle ait trouvé quelqu’un d’autre après tout ce temps, mais il sentit son coeur bondir de douleur à cette vue. Il se recula alors, et partit simplement, avant de recommencer le même manège le lendemain, observant de loin celle qu’il avait tant aimée, et qui lui avait tant brisé le coeur.

Il repassa quasiment tous les jours dans les semaines qui suivirent, sans réussir à frapper à sa porte, continuant de la regarder en cachette, s’arrangeant pour disparaître chaque fois qu’elle tournait la tête. Il en arriva même à la suivre dans la rue, incapable de contrôler cette espèce de pulsion ridicule, à mi-chemin entre la peur et l’addiction. Elle avait bien changé, c’était comme une toute autre personne qu’il observait, bien plus adulte, bien plus sage, trop sage pour lui correspondre, à vrai dire. Celle qu’il avait connu avait disparu, ou se cachait bien profondément, si bien qu’elle ne semblait plus elle-même.

Il devait trouver un moyen de l’aborder, mais craignait qu’elle refuse de lui parler, sans compter que son petit-ami semblait toujours dans les parages. Il décida finalement d’écrire un lieu et une heure de rendez-vous et d’enfermer le papier dans une enveloppe à son nom, espérant que son petit-ami n’était pas du genre fouineur. Il déposa l’enveloppe dans sa boîte aux lettres et attendit patiemment le jour du rendez-vous. Il n’avait pas signé, préférant l’effet de surprise, et puis, elle ne serait peut-être pas venue en voyant son nom écrit. Le jour J, il se prépara sobrement, et rejoignit le lieu qu’il avait mentionné sur son papier : le lac Michigan, en honneur à leur première vraie rencontre. C’était un clin d’oeil qu’il appréciait, et il avait toujours aimé ce cadre, à l’abri des regards lorsqu’on savait où aller. Il ignorait si elle répondrait à l’appel, mais espérait que sa curiosité l’emporterait sur sa méfiance. Il s’assit au bord d’un ponton et observa l’étendue d’eau, apaisé par celle-ci. Ces dix années l’avaient énormément changé, il n’était plus le même homme, lui non plus.

Au bout de quelques minutes, il entendit quelques pas s’appuyer sur le bois derrière lui, et se retourna pour apercevoir Alexie, grandie, le visage marqué par les épreuves qu’elle avait pu traverser, tout comme lui. Il esquissa malgré lui un sourire, la rancoeur qu’il avait envers elle un peu plus présente maintenant qu’elle se trouvait face à lui. Sans se lever, il en finit avec le silence qui s’installait entre eux. « J’parie que tu t’attendais pas à ça en t’levant ce matin. » Ils n’avaient pas eu le moindre contact depuis qu’elle l’avait laissé derrière, depuis leur dernière entrevue, dans une salle froide réservée aux visites. « Ca fait un bail, hein, Lex ? » Il insista sur son surnom, comme pour lui faire comprendre qu’il lui en voulait encore amèrement de l’avoir laissé tomber. Il avait beau être heureux de la voir enfin, il avait passé dix ans à se demander pourquoi, à lui en vouloir.