Je suis née à Lyon, il y a de ça vingt-quatre ans, deux petites minutes après mon frère jumeau. On entend partout que le deuxième bébé sorti, est l’ainé, ce qui ferait de moi l’ainée, et je trouve assez bizarre. Enfin, je ne vais pas parler de science, ce n’est pas du tout mon truc et puis, je ne sais même pas si c’est la vérité. Nos parents avaient eu du mal à nous avoir, et l’arrivée de deux bébés ne leur plaisait pas vraiment. Non, en fait, pour être franche, c’est plutôt le fait qu’il y est une petite fille dans le lot, qui ne leur plaisait pas. On nous à donner à tous les deux, des prénoms américains, car papa est américain, de Marple Spring, plus précisément. D’après papa, ça aurait fait étrange, des prénoms français, à côté d’un nom américain. Je crois qu’il ne faut pas essayer de comprendre ses raisons. De toute façon, papa a toujours raison, c’est comme ça. Enfin voilà, jusqu’à l’âge de quatre ans, tout allait bien. Certes, j’étais toujours celle à qui on reprochait tout, alors que mon frère était plus turbulent que moi, mais dans l’ensemble, tout allait bien. Nous étions une famille unie. Et puis, un jour, dans la cour de l’école, Owen s’est plaint de douleurs dans l’abdomen. Sur le moment, personne n’y a prêté attention, dans une cour d’école, les enfants jouent, ils courent, pour les adultes présents, ce n’était rien d’autre qu’un point de côté. Sauf que, au bout de plusieurs minutes, Owen s’est effondré, sans connaissance. Il a été transporté en urgence à l’hôpital et on lui a détecté une grave malformation cardiaque. Une malformation qui aurait dû être détectée beaucoup plus tôt et qui, à l’évidence était passé inaperçue. J’étais beaucoup trop petite pour comprendre ce que ça signifiait, je sais juste que, dès le moment où cette maladie a été découverte, on m’a mise de côté. Mon père et ma mère s’occupaient à peine de moi j’étais le plus souvent chez la voisine, elle me préparait gentiment à manger, parce que sinon, on m’oubliait. On me reprochait que mon frère soit malade, clairement, ils auraient préféré l’inverse. C’est comme ça que je le ressentais, bien que la gentille voisine dît le contraire. Je crois qu’elle ne voulait pas me faire de peine, mais c’était trop tard. J’avais beau être une enfant, je n’étais pas stupide. Owen ne pouvait pas subir d’opération apparemment, je ne sais pas pourquoi. Je n’ai jamais su pourquoi. Il allait très souvent à l’hôpital, quand c’était le cas, on me laissait chez la grand-mère, et je n’avais pas le droit de poser de questions. Évidemment, à l’école, c’était une catastrophe, je n’arrivais pas à suivre, car personne ne s’occupait de m’aider à faire mes devoirs. J’arrivais à passer en classe supérieur de justice, parce que, d’une certaine façon, je n'avais pas le choix. Ils étaient eus été capable de me reprocher d’être une imbécile, parce que je n’étais pas capable de suivre, alors qu’Owen, malgré sa santé, en était capable, lui. Je n’en ai jamais voulu à mon frère, ça n’était pas de sa faute. D’ailleurs, il s’en voulait beaucoup de l’indifférence de nos parents, à mon égard. À de nombreuses reprises, il leur a parlé, mais à chaque fois, ils n'avaient aucune réaction, à la place, je me faisais engueuler parce que j’embêtais mon frère. À dix-huits ans, j’ai obtenu mon baccalauréat, filière STT, au rattrapage et je n’ai pas voulu continuer mes études, ce qui bien sûr, a fait beaucoup parler. J’ai été embauchée comme serveuse dans un petit restaurant situé tout près du campus universitaire. Régulièrement, j’y voyais mes amis, mais ça ne me dérangeait pas. Je n’ai jamais été douée pour les études, ça ne m’intéressait pas et ça ne me plaisait pas non plus. Dans le même temps, étant majeur, j’ai quitté le domicile familial, je vivais en colocation avec ma bande de potes. C’était la fête tous les jours, malgré les cours. J’étais souvent fatiguée, on mangeait mais, mais c’était toujours mieux qu’à la maison. Voir tous les jours des reproches dans les yeux de mes parents, ce n’était plus supportable. C’est pendant l’un de mes services que j’ai fait la connaissance de Lazlo, un jeune homme de mon âge, un Américain originaire de la ville où mon père est né. Drôle de coïncidence, n’est-ce pas ? Entre nous, le courant est bien passé et nous sommes devenus amis, je dois dire qu’il ne me laissait pas indifférente, mais je ne disais rien, parce que je savais que lorsque ses études seraient terminées, il repartirait. Néanmoins, je me suis beaucoup confié à lui sur ce que je vivais avec ma famille, la maladie de mon frère, l’attitude de mes parents, ce genre de choses. J’avais besoin de parler avec quelqu’un et j’ai trouvé en lui une oreille attentive. Son diplôme en poche, il a quitté Lyon pour retourner dans sa ville natale. C’était il y a quelques mois. Après son départ, l’état de santé de mon frère s’est dégradé et il y a tout juste un mois, il s’est endormis et ne s’est pas réveillé. Malgré moi, j’espérais que son décès permettrait à mes parents de se souvenir qu’ils avaient une fille, en bonne santé, elle et qu’elle ne demandait qu’un peu de leur affection, mais c’est tout le contraire qui s’est produit. Ils m’ont tout simplement reproché la mort d’Owen, comme si c’était de ma faute. J’ai fini par craquer et sur un coup de tête, j’ai téléphoné à mon oncle, à Marple Spring. Le frère de mon père est veuf, excentrique, bref, un peu comme moi et il a aussitôt accepté de m’héberger. Il m’a trouvé un travail de serveuse dans un petit café. Voilà trois semaines que je suis arrivée et je me sens mieux. Libérée du poids que mes parents m’ont fait porter pendant toutes ces années. Et puis, j’espère revoir Lazlo aussi …