Assise sur un banc de parc du Marple Square Garden, je tentais vainement de réchauffer mes mains entre mes cuisses. Venant du sud du pays, je ne m'étais pas vraiment attendu à ce qu'il fasse si froid en arrivant. J'allais certainement devoir aller faire du shopping afin de me trouver des vêtements plus chaud et surtout un manteau et des bottes plus appropriées. Dire que j'avais quitté les chaudes plages de Tampa Bay pour me retrouver dans cette petite ville nommée Marple Spring. Nom que je trouvais plutôt ironique étant donné que nous étions en hiver et que la température était toute sauf celle du printemps... Je regardais les passants alors que j'avais l'impression que mon nez était en train d'engourdir par le froid. Et dire que c'est ici que j'étais née. Ma mère biologique s'était peut-être assise sur le même banc que moi à regarder les gens passer, se demandant quel genre de vie ils vivaient. Peut-être était-elle enceinte de moi lorsqu'elle était venue s'asseoir ici, se demandant si elle allait me garder ou non... Malheureusement pour moi, sa décision ne fut pas en ma faveur puisque d'aussi loin que je me rappelle, j'ai vécu dans des familles d'accueil... Vécu... c'est un mot un peu grand pour décrire ce que j'ai réellement eu comme expérience. Je devrais plutôt dire survie, car c'était ça, en réalité. Toute ma vie n'avait été qu'une question de survie. Et me voilà maintenant à tenter de retracer cette mère qui n'avait jamais voulu de moi. Et que je n'étais pas certaine qu'elle veuille seulement me rencontrer. Était-elle toujours en vie? Ou la mort l'avait-elle emporté? Tout ce que j'avais réussi à apprendre sur moi malgré mes nombreuses recherches était Marple Spring. Peut-être cette froide ville allait-elle m'apporter les réponses tant désirées.

Mes yeux se posèrent sur une petite fille avec ce qui devait être son père. Ils semblaient si heureux ensemble alors qu'il venait de lui acheter un chocolat chaud dans l'espoir de la réchauffer un peu après avoir fait du patin ensemble sur la glace de l'étang gelé. Je sentis les larmes brûler mes yeux alors que des souvenirs malsains emplissaient mon esprit. Lorsque je n'étais qu'une petite fille, les seules fois où un homme m'avait offert quoi que ce soit, c'était dans l'intention d'abuser de moi… Je sentais encore sur ma peau ses mains rêches parcourir mon petit corps alors que je mangeais la « pomme d'amour » au caramel qu'il venait de m'offrir. La petite fille que j'étais tentait en vain de se concentrer sur sa pomme alors qu'elle sentait l'entrejambe de son père adoptif se durcir sous elle… Oh… il n'y avait jamais eu de pénétration, mais cela avait suffi à briser cette partie sensible en moi, laissant envolé ma jeunesse beaucoup trop tôt… Ce fut dans la première famille que j'ai eu la malchance de grandir. Puis il y a eu la deuxième famille où les deux adultes me criaient après chaque fois que je parlais trop fort, que je marchais trop vite ou que je ne mangeais pas toute mon assiette. La troisième ne fut pas mieux alors que c'est sous les coups de la mère que je devais tenter de faire mon éducation. Il n'est pas étonnant que j'eus quelques retards d'apprentissage tellement j'avais peur et que la pression était grande sur les épaules de la petite fille que j'étais. À l'adolescence, je me fis envoyer dans un centre de redressement afin de régler mon « problème » de comportement. Bien vite, mes notes scolaires recommencèrent à monter et je pleurais de moins en moins souvent le soir lorsque je me couchais. Jusqu'à temps où ils me jugèrent apte à réintégrer une nouvelle famille. Dans cette dernière, la performance était de mise. Je devais étudier matin et soir sans arrêt. Si j'avais en bas de quatre-vingt-dix pour cent, je me faisais sévèrement punir… Les bleus inexpliqués sur mon corps forcèrent les autorités à m'envoyer dans une autre famille. C'est dans cette dernière que je retrouvais enfin mon répit. Je pus enfin souffler un peu et avoir pour la première fois une vie « normale ». Sauf avec les garçons. Ça, c'était une tout autre paire de manches. J'étais jolie et j'attirais le regard avec mes beaux cheveux longs et mes yeux bleus. Je n'avais pas besoin de m'habiller sexy pour que les jeunes adolescents tentent de m'avoir dans leurs bras. Bien que je me laissais séduire, je n'allais jamais jusqu'au bout avec ses derniers. J'avais tout simplement un blocage. C'est pourquoi je n'eus jamais de réel petit ami. Même si certains ont tenté de forcer les choses… Je me demande si je serais assez forte un jour pour passer le pas avec un homme. Il est peut-être préférable de ne pas y penser!

Je secouais la tête en essuyant doucement mes yeux afin de ne pas me bâcler le visage de mon maquillage légèrement trempé. Ma dernière famille m'avait au moins permis de faire des études supérieures et ainsi devenir infirmière. La vie difficile que j'ai vécu m'a au moins donné une chose : l'envie d'aider les autres et rendre leur calvaire un peu moins pénible. Quoi qu'il en soit, ma jeunesse quasi absente a faite celle que je suis. La jeune femme un peu méfiante qui n'ose pratiquement pas approcher les gens par elle-même. Mais qui est tellement naïve qu'elle doit sans cesse se demander si les gens sont sincères avec elle ou non… Oui, vous l'aurez compris, j'ai beaucoup plus de faciliter d'approcher une femme qu'un homme. Après tout, quel mal une femme pourrait-elle me faire? Mais lorsque l'on me connaît réellement, je deviens alors la jeune femme bavarde et pétillante qui ne cesse de parler. D'ailleurs, quand je suis stressé, je n'arrête pas de parler. Ce qui est parfois étourdissant à ce qu'il paraît. Mais ça fait partie de mon trait de caractère!

C'est à l'université que ma vraie personnalité ressortie enfin de ma coquille. Pour la première fois, je me faisais de vraies amies avec qui je m'entendais à la perfection. La dernière famille d'accueil dans laquelle j'avais atterri me considérait comme leur vraie fille et ils m'aidèrent même à payer mes études. C'est aussi à cette période de ma vie que je prenais plaisir aux temps des fêtes et à Noël. Je commençais à m'épanouir et à devenir une jeune femme si attachante.

Je remarquais au loin une jeune femme qui semblait bien triste. Bien qu'elle ne parlait pas, ses yeux disaient tout. Je me levais enfin de mon banc de parc et me dirigeais vers un des marchands ambulants. Je lui achetais deux chocolats chauds et j'allais en porter un à la demoiselle qui me regarda avec surprise. Je lui fis un sourire tendre en lui passant mon numéro de cellulaire. " S'il y a quoi que ce soit, n'hésite pas à communiquer avec moi. " Elle ne sut pas quoi que répondre et je n'attendais rien en retour non plus. Mais je savais que si jamais elle avait besoin d'aide, elle aurait au moins une porte de sortie. Même si elle ne me connaissait pas. Lorsque j'avais son âge, j'ai rêvé trop souvent que quelqu'un me tende la main pour ne pas faire la même chose lorsque l'occasion se présente. Puis je retournais à ma voiture. Il était maintenant temps que je me trouve un endroit où rester en attendant de me trouver un appartement et d'avoir un peu plus d'argent…

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