Maksym aurait pu avoir une vie des plus banales. Une enfance toute simple dans une vie tranquille, une adolescence similaire – avec quelques crises de nerfs, évidemment, n’est-ce pas là la beauté de l’adolescence ? – et une vie adulte toute simple, à pratiquer un métier qui lui plairait. Bref, ce genre d’histoire qui ne vaut pas nécessairement la peine d’être racontée en long et en large.  Pourtant, ce n’est pas cela qui est arrivé. C’était bien parti pour, mais des bouleversements, trop de bouleversements, sont venus perturber cette vie qui aurait pu être banale. Non pas que celle-ci mérite d’être écrite dans un livre, mais elle nécessite plus que quelques lignes pour être racontée. Cependant, avant d’entrer dans les détails, voici le plus simple; Maksym est née dans une famille aimante dans laquelle elle est enfant unique. Sa mère était coiffeuse et son père travaillait pour une petite station de télévision locale. Ils n’étaient pas riches, mais ils ne manquaient de rien. Dans la petite maison blanche dans laquelle Maksym a vu le jour, celle-ci vivait sa vie, tranquillement, jusqu’à ce jour, très particulier, qui est venu tout bouleverser :

« Alors, peux-tu nous donner ton nom et ton âge pour commencer, s’il te plait ? » « Je m’appelle Maksym, et j’ai huit ans. » « Et qu’est-ce que tu aimes faire, Maksym ? » « J’aime beaucoup dessiner, jouer du piano, et jouer au ballon. » « Très bien. Ton papa nous a dit que tu jouais très bien. Pourrais-tu nous jouer quelque chose ? » Enthousiaste, j’acquiesçai d’un signe de tête, m’installant au clavier qu’on m’avait fourni pour l’occasion. Je réfléchis à ce que je savais par cœur, puis je commençai à jouer. Lorsque je terminai le morceau, je fus applaudie par mes parents, puis ces deux personnes qui me posaient des questions depuis tout à l’heure. Pendant un instant, je crus en entendre un chuchoter « Elle est parfaite… », mais n’étant sûre de rien, je me contentai de sourire quand on me dit : « Merci beaucoup Maksym, tu peux y aller maintenant, il y a des cookies qui t’attendent dans la salle voisine. » avant de repartir avec mes parents pour les manger, ces fameux cookies.

Maksym ne venait pas de passer un entretien ordinaire. En effet, ce qu’elle venait de faire, c’était une audition pour faire partie d’un groupe d’enfants choisis pour une série qui passerait sur les chaînes familiales. Cette audition, totalement imprévue, avait eu lieu, parce qu’un jour, la demoiselle avait accompagné son paternel à son travail, compte tenu qu’elle avait congé à l’école. Un de ses collègues, travaillant sur l’émission, l’avait alors vue, et avait réussi à convaincre son père de lui faire passer cette fameuse audition. Au début, ils ne s’attendaient pas à grand-chose, mais quelques jours après, ils reçurent un appel comme quoi Maksym avait été choisie. La nouvelle engendra une grande discussion et réflexion dans la famille, mais au bout du compte, ils avaient décidé d’accepter. Après tout, la mère de la demoiselle pourrait se trouver un autre emploi de coiffeuse et son père, avec quelques coups de fil, pourrait être muté dans la chaîne de télévision de la ville. C’est ainsi que la petite famille quitta pour Vancouver, au Canada, le lieu de tournage de la série. Au début, cet emploi du temps qui changeait tellement de celui tout simple d’écolière qu’elle avait bouleversa Maksym, mais rapidement, elle prit plaisir à être devant la caméra, et s’habitua à tout cela. Scolarisée à la maison entre deux tournages, elle profitait pleinement de son expérience, essayant ainsi une tonne de choses et s’amusant comme une folle. Plus encore, en raison de son apparence très jeune, Maksym est restée plus longtemps que tout autre enfant sur l’émission. En effet, certains, trop vieux au bout d’un moment, ne restaient que trois ans, quatre ans tout au plus, mais elle, elle a fait six ans, et rien ne l’empêchait de continuer, sauf cet évènement funèbre :

« Il faut que je parle à Maksym, c’est important. » Au début, le producteur protesta quelque peu, puisque tout était prêt pour tourner la scène qu’ils s’apprêtaient à faire, mais puisqu’il ne pouvait pas trop tenir tête à son patron, il acquiesça. Intriguée, je me fis demander de suivre ce fameux directeur, qui, à ma grande surprise, m’emmena dans un coin reculé, histoire qu’on parle en privé. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait, mais cette fois-ci, il n’était pas là pour me féliciter, je le savais par son regard, son air tellement triste, à un tel point que sans attendre, je lui dis « Qu’est-ce qui se passe ? » « Je ne sais pas comment te dire ça, Maksym… » Un silence pesant s’installa, et ne sachant pas le briser, j’attendis, sentant mon cœur battre plus fort de nervosité. « Il s’est passé quelque chose avec tes parents… Ils ont eu un grave accident de voiture… » « Quoi ? » Ma voix s’était immédiatement brisée. Je ne pouvais pas croire ce qu’il était en train de me dire, et pourtant, il ne s’arrêta pas, il poursuivit en ajoutant « Un chauffard a traversé l’intersection sur le feu rouge et ils passaient… Ton père n’a pas tenu le coup et ta mère est aux urgences… » « Non, ça ne se peut pas… » Incapable de me retenir plus longtemps, j’éclatai en sanglots, et ne trouvant aucun réconfort, je partis en courant, allant me cacher dans un coin pour pleurer toutes les larmes de mon corps.

Sa mère succomba à ses blessures quelques heures plus tard, mais au moins, Maksym eut l’occasion de la voir une dernière fois, lui dire qu’elle l’aimait. Cependant, ce ne fut pas assez pour qu’elle soit en paix avec elle-même. Perdue dans une ville qu’elle ne connaissait pas tant que ça, finalement, parce que sa vie se résumait à la maison et le studio de production, elle ne se vit pas continuer. Âgée de quatorze ans, elle ne pouvait pas rester seule, et elle ne se voyait pas aller vivre chez un de ses collègues, parce qu’elle le savait; dès qu’ils auraient l’air trop vieux, on mettrait fin à leur contrat, et plus rien ne les lierait. C’est ainsi qu’elle décida de se retirer de l’émission, puis retourna vivre à Marple Springs avec ses grands-parents, qui y étaient toujours. C’est ainsi qu’elle tenta tant bien que mal de vivre son deuil, en reprenant une vie normale. Elle expérimenta ce que c’était, le lycée, tenta de vivre comme une adolescente normale, et ce fut ainsi qu’elle tenta tant bien que mal de s’en remettre, même si une blessure béante était toujours présente dans son cœur. Toutefois, puisqu’elle savait que ses parents ne voudraient pas qu’elle reste en arrière, qu’ils préfèreraient de loin qu’elle aille de l’avant, elle tenta de se trouver des projets, des ambitions, dont elle ne parla à personne, ou du moins, pas avant le moment de choisir ce qu’elle ferait après le lycée.

« Alors, comment ça va, les cours ? » J’avais trouvé cela étrange que grand-mère me pose la question comme cela, alors que normalement, elle se contentait de me demander comment s’était passée ma journée, ne s’occupant plus de mes résultats scolaires depuis longtemps, puisque jamais elle n’avait de réprimandes de la part de mes enseignants. Malgré tout, je lui avais répondu en disant : « Hum… Ça va bien, pourquoi ? » « Tu auras ton diplôme bientôt, je me trompe ? » « Nana, que veux-tu me dire ? » Je n’étais pas dupe; quand elle commençait à poser des questions, chose qu’elle faisait rarement, c’était qu’elle avait quelque chose à dire. Elle aussi n’était pas dupe, elle savait que je ne voulais pas qu’elle tourne autour du pot. Elle poussa un petit soupir, et dit : « Eh bien… Ton grand-père commence à être fatigué et on a du mal à tenir la maison… Mais on ne veut pas qu’on pense que nous voulons te mettre dehors, ce n’est pas du tout le cas ma chérie… » Un petit sourire apparut sur mes lèvres, et je déposai ma tasse de thé pour prendre ma grand-mère dans mes bras, histoire de la rassurer. Pourquoi devrais-je être vexée ? Elle avait pris soin de moi pendant tout ce temps, je ne pouvais pas lui en vouloir, c’était impossible. Après l’avoir embrassée sur la joue, je finis de la rassurer en lui disant : « Ne t’en fais pas nana. Trouve-toi une belle maison de retraite, vous le méritez. Je vais aller vivre sur le campus de l’université, ne t’en fais pas pour moi. Et je viendrai vous visiter, c’est promis juré ! »

Ce fut ainsi que la discussion se lança et pendant laquelle Maksym avoua à sa grand-mère qu’elle avait envie de travailler avec les animaux et que par conséquent, elle visait d’aller à l’université en zoologie. Quelques semaines plus tard, elle reçut sa lettre d’acceptation de l’université de Détroit, ce qui lui permettait de rester toujours près de Marple Springs. Elle fit quatre ans d’études, puis elle se trouva un emploi dans un zoo de Détroit, lui donnant ainsi suffisamment d’argent pour se payer un logement à Marple Springs. Après tout, c’était sa ville natale, celle ou elle avait passé une bonne partie de sa vie. Elle n’avait pas envie de la quitter, elle se sentait bien. Maintenant, sa vie est redevenue banale, mais ce n’est pas pour lui déplaire, bien au contraire. Elle adore son métier, elle adore sa colocataire avec qui elle partage le logement depuis deux ans, pourquoi devrait-elle se plaindre de quoi que ce soit ?