Lian naquit le dix-sept décembre mille neuf cent quatre-vingts dix au Bellevue Hospital, en plein cœur de New-York. Fille de Lei et Chang Huang, deux chinois expatriés aux États-Unis, elle vit le jour par une belle soirée d'hiver, après seulement huit mois de grossesse. Cette arrivée inopportune lui valut d'ailleurs un petit séjour d'une dizaine de jours au service de néo-nativité de l'hôpital avant qu'elle ne puisse retrouver les bras de ses parents. Cadette d'une fratrie de quatre enfants, la petite Lian devint rapidement le centre de l'attention familiale. Si, à première vue, il paraissait plutôt difficile de lui accorder le surnom de "beau bébé" à cause de peau pâle et de son corps frêle, il n'en demeurait pas moins que ses grands yeux bleus faisaient craquer plus d'un adulte. Ses grands-parents étaient d'ailleurs fous d'elle et ne manquaient jamais une occasion de jouer les baby-sitters. Quant à ses géniteurs, on ne trouvait pas deux couples aussi heureux qu'ils ne l'étaient dans tout New-York. Ils avaient d'ailleurs de grands projets pour leur fille, leur petite "fleur de lotus".

La demoiselle grandit ainsi paisiblement jusqu'à son adolescence, entourée d'une famille soudée et aimante. Mais le drame vint tout chambouler.

Lian avait quatorze lorsque ses parents décidèrent de se séparer. Sa mère, désireuse de compenser toutes les années "gâchées" auprès de son bon à rien d’époux, plia bagage et abandonna sa fille sans un regard. Après cela, la vie de la jeune femme bascula lentement du paradis à l'enfer, principalement à cause de son père qui plongea peu à peu dans la paranoïa et la psychose. De peur de voir son enfant lui filer entre les doigts à son tour, il devint sur-protecteur avec elle. Il se mit à contrôler ses moindres faits et gestes au point de l'étouffer, la tuant à petit feu. Progressivement, il la priva purement et simplement toutes les sorties et les contacts qui rythmaient son quotidien, la cantonnant aux quatre murs de sa chambre, aux corridors du collège et aux cours de natation synchronisée que Lian prenait depuis toute petite. Une fois, la jeune femme tenta vainement de se rebeller contre l'autorité paternelle en faisant le mur, mais les conséquences qui s'en suivirent à son retour lui firent passer l'envie de recommencer. Il ne la battit, non, il n'aurait jamais osé lever la main sur sa fille. Mais il fit pire encore : il la priva pendant toute une longue semaine de son seul plaisir dans la vie : la natation. C'est à ce moment-là qu'elle comprit l'ampleur de sa situation : son paternel avait tout pouvoir sur elle. Si Lian faisait le moindre pas de travers, osait dire quelque chose qui lui déplaise, il avait la capacité de réduire les lambeaux de sa vie à néant. Alors elle se contenta de courber l'échine et d'attendre que le temps passe en rêvant du jour où, à nouveau, elle serait libre.

Son calvaire dura trois ans. Trois ans de tortures psychologiques et de souffrances morales. Trois longues années avant qu'un miracle ne se produise enfin, avant que sa mère ne refasse irruption dans sa vie. Alors qu'elle n'y croyait plus, cette dernière lui tendit la main et la sortit du guêpier dans lequel son paternel l'avait lentement entrainé. Après un long et éprouvant procès, Mme. Huang réussit à obtenir la garde de sa fille. Désireuse de repartir de zéro, loin des ruines encore fumantes de leur ancienne vie, elles déménagèrent à Detroit. Le retour à la vie normale fut long et douloureux pour Lian. Du jour au lendemain, elle se retrouvait confrontée à une liberté totale, quelque chose qu'elle n'avait encore jamais connu ! Qui lui donnait le vertige. Mais il fallait aller de l'avant et, progressivement, la belle recommença à apprendre à vivre. Grâce au lycée, elle eut la chance de se trouver un bon groupe d'amis. Sans la harceler de questions, sans chercher la petite bête, ils la prirent sous leur aile et lui firent goûter aux joies de l'adolescence. Tout semblait parfait dans ce petit tableau, si ce n'est la rancune que Lian avait accumulée envers sa mère pendant les trois longues années de son absence. Elle lui en voulait d'être partie, de l'avoir abandonné aux mains de son psychorigide de paternel. Et la jeune femme ne réussit jamais à lui pardonner complètement. Lorsque Mme. Huang décida de fonder une nouvelle famille avec un professeur d'histoire, la demoiselle fût mise à l'écart. Se sentant de trop, elle décida alors de quitter la maison pour déménager à Marple Spring, une petite ville tranquille où un poste de professeur des écoles était à pourvoir.

Elle était en ville depuis trois ans lorsque sa vie fût de nouveau chamboulé par la plus belle des rencontres. Celle de l'homme de sa vie. C'était un vendredi soir. Lian rentrait chez elle après une soirée à Détroit lorsqu'elle se fit sauvagement attaquer dans la rue. Son agresseur, un gamin d'une vingtaine d'années, voulait lui voler ses effets personnels. Alors que la jeune femme s'effondrait sur le trottoir après un coup de poing dans l'estomac, un inconnu surgit de nul part et assomma le voleur d'un coup sur la nuque. Il aida ensuite la belle à se redresser et la porta littéralement jusque chez elle afin de s'assurer qu'elle arriva saine et sauve. Puis il disparut de sa vie comme il y était entrait, sans un mot. La jeune femme ne connaissait rien de lui si ce n'est sa profession, professeur de Français. Son nouvel objectif dans la vie consistait désormais à le retrouver.