ONE
«
Maman et papa sont morts et on ne les reverra plus comme papi et mamie hein Anne ? » Cette question, Anna avait redouté la poser. Tout comme elle avait redouté la réponse. Une réponse bien cruelle à entendre. Elle se souvenait parfaitement des évènements. Dans les moindres détails. Ce jour-là, elle se revoyait encore porter une jolie petite robe unie verte. Elle était assise sur l’un des sièges arrière de la voiture tout comme sa jumelle. Son père conduisait, sa mère regardait le paysage défiler par la fenêtre. Tout était presque parfait, un tableau idyllique d’une petite famille heureuse. Il ne manquait que la grande sœur Alice, partie à Londres, pour que tout soit parfait. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. La fin, elle vint à un carrefour. Un homme qui refusa la priorité aux parents des jumelles, un homme qui roulait bien trop vite. La voiture fut percutée et au réveil, les jumelles apprirent qu’il ne leur restait plus que leur grande sœur, Alice. Alice qui revint immédiatement de Londres. Anna et sa sœur n’étant pas majeures, la question de savoir ce qu’elles allaient devenir, où elles allaient vivre se posa. Bien entendu, une assistante sociale ne tarda pas à faire son entrée. Elle voulait que les jumelles soient placées en famille d’accueil. Cette femme avait à peine prononcé ces mots qu’Anne prit la main de sa sœur et elles coururent s’enfermer dans leur chambre. Anna sera sa sœur contre elle. Elle ne voulait pas être séparée de sa jumelle, c’était son tout. Une petite dispute s’en suivit entre l’assistante et Alice. Au final, Alice ‘gagna’. Anna resta avec sa jumelle et sa grande sœur. Le seul petit bémol fut qu’Alice dût suivre des cours du soir et trouver un job de serveuse, ne pouvant plus se rendre à Londres. Au final, les filles s’en sortirent bien. Beaucoup mieux pour Anne qui décrocha son bac à quatorze ans. Elle partir suivre des études universitaires à Dublin. Ca dura deux ans. Deux ans avant qu’elle ne plaque tout et ne revienne à Clifden. Anna, elle continua le lycée tranquillement. Elles étaient réunies, c’était le principal.
TWO
Les cheveux détachés, volant au grès du vent, elle a le sourire aux lèvres. Aujourd’hui, elle commence sa troisième semaine de stage dans le cabinet de Monsieur Wales. Ce stage se déroulait à merveille pour le moment. Après tout, ce n’était pas le premier qu’elle effectuait depuis le début de ses études. Elle en avait déjà réalisé quelques-uns et, à chaque fois, ses notes avaient été bonnes. Une fois arrivée devant la porte d’entrée, elle l’ouvrit sans prendre la peine de sonner. Monsieur Wales était déjà là de toute façon. Comme son premier patient de la journée vu le jeune homme installé sur une des chaises de la salle d’attente. Replié sur lui-même, il semblait avoir une grande admiration pour ses chaussures. «
Bonjour à vous ! » annonça la blondinette en passant devant lui tout en lui jetant un rapide coup d’œil, son éternel sourire sur les lèvres. L’inconnu releva les yeux quelques secondes avant de les baisser tout aussi vite. Anna crut entendre un faible ‘Vous aussi’ mais elle n’en fut pas sûre. Elle pénétra dans le cabinet en lui-même et salua Monsieur Wales déjà installé. «
Ah, Mademoiselle O’Malley. Vous allez bien ? Le premier patient est déjà là. Vous pourrez le faire entrer dès que vous aurez préparé vos affaires. » Anna hocha la tête et s’exécuta de suite. Elle fit entrer le jeune homme qui fuya son regard. Avait-il un soucis avec la gente féminine ? Avait-il peur des femmes ? Trop timide peut-être ? Des questions qui se bousculaient dans l’esprit de la jeune femme. Il s’installa à la place qui lui était désignée et Anna en fit de même juste à côté de son ‘maitre de stage’. «
Alors Adrian, comme tu as pu le constater, il y a une jeune femme avec moi. Elle s’appelle Anna O’Malley, c’est ma stagiaire. Elle suit des études de psychologie. Je sais que ce n’est que la deuxième fois que l’on se voit. Si jamais tu ne veux pas qu’elle assiste à notre entrevue, n’hésite pas à le dire, il n’y a aucun problème. » Il s’appelait donc Adrian. Le dit Adrian leva les yeux et ceux-ci se plantèrent directement dans ceux de la jeune femme. Elle ne lâcha pas le contact, ce n’était pas son genre. Ce fut lui qui ‘craqua’. «
Je … J’aimerai qu’elle ne soit pas là. » Quoi ? Pardon ? Anna ne comprenait pas vraiment. C’était bien la première fois qu’un patient demande à ce qu’elle n’assiste pas à l’entrevue. Sans attendre que Monsieur Wales le lui dise, Anna se leva et quitta la salle sans jeter un regard en arrière. Elle ne revint dans la pièce qu’une fois Adrian partit. «
Ce n’est pas contre vous Anna. Je ne peux pas vous parler de son cas à sa demande mais je vous le redis : il n’a rien contre vous. » La jeune femme acquiesça.
THREE
La seconde fois qu’elle vit Adrian, ce fut dans une librairie. Elle s’y était rendue car elle avait besoin d’un livre pour l’un de ses cours. Il lui tournait le dos mais elle n’eut aucun mal à le reconnaître. Elle s’approcha doucement de lui et jeta un coup d’œil par-dessus son dos. Il avait un libre entre les mains. Anna reconnut immédiatement de quoi il s’agissait. Baudelaire. Les Fleurs du mal. L’albatros. «
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage prennent des albatros, vastes oiseaux des mers … »commença-t-elle dans un français approximatif. Adrian sursauta et se retourna vite fait pour lui faire face, faisant tomber au passage le recueil de poèmes. Anna fut plus rapide que lui et le ramassa. «
Tiens. » dit-elle en lui tendant le bouquin. Le jeune homme ne bougea pas d’un pouce, se contentant de la regarder mais en veillant scrupuleusement à éviter son regard. «
Je m’excuse, je n’aurai pas du te faire peur de la sorte… » En même temps, ce n’était pas méchant ce qu’elle venait de faire. «
Tu reprends le bouquin ou tu me comptes me laisser attendre le bras lever comme ça jusqu’à la fermeture ? J’ai pas envie d’attraper une crampe moi… » Anna aurait très bien pu le déposer sur la pile de livres présente à côté du jeune homme mais non. Sans savoir vraiment pourquoi, elle voulait le faire réagir. Elle voulait qu’il lui parle. Adrian attrapa vite fait le bouquin et le garda bien serrer dans sa main. «
Merci. » Ah ben voilà. Un remerciement. «
De rien. Tu aimes bien Baudelaire alors ? » lui demanda-t-elle doucement. Essayer de faire la conversation comme si de rien n’était, voilà ce qu’Anna voulait faire. Cependant, quelque chose lui disait qu’Adrian n’allait pas facilement coopérer. Justement, il hocha la tête, les yeux dans le vague. Bon, elle n’allait pas baisser les bras de suite. «
Tu sais, je ne mords pas. Tu peux me parler … Me regarder aussi. J’ai pas de sabre laser ou je ne sais quoi à la place des yeux. Je suis gentille, on le dit tout le temps. Oh et je parle beaucoup aussi. J’aime bien parler. Ecouter aussi vu ce que je veux faire comme travail … » Sans aucune gêne, elle le détaillait du regard, l’observant tranquillement de haut en bas. Elle fronça les sourcils en remarquant qu’il portait une blouse à manches longues. Il faisait chaud dehors, pourquoi diable portait-il ça ? «
Désolé… » entendit-elle murmurer. «
Je suis pas très causant. Tu… Tu me mets mal à l’aise en fait. » avoua-t-il d’une petite voix. Elle le mettait mal à l’aise ? Sérieux ? Anna fut surprise par cette révélation. «
Comment ça ? » Il bougea d’un pied à l’autre avant qu’elle puisse de nouveau entendre le son de sa voix. «
T’es une femme. » Ben oui, il ne fallait pas être devin pour le deviner ça … «
Les femmes et moi, ça ne colle pas. En fait, n’importe quelle relation. Je suis pas fait pour ça. » Et sans qu’elle n’ait le temps de répondre quoique ce soit, il fila, abandonnant au passage le livre. Il fallut quelques secondes à Anna avant qu’elle ne réagisse de nouveau. Elle secoua la tête. Il avait vraiment un problème ce mec … Non, elle ne pouvait se permettre de parler de cette manière. Elle prit le recueil de poèmes et machinalement, elle se dirigea à la caisse pour le payer. Elle l’offrirait à Adrian la prochaine fois qu’elle le verrait. Elle se mordit la lèvre juste après. Ce n’était peut-être pas une bonne idée. Après tout, c’était en quelque sorte son patient dans un sens. Mais au fond d’elle, quelque chose la poussait à le revoir. Elle voulait savoir ce qu’il n’allait pas chez lui, elle voulait l’aider. Voilà tout. C’était dans sa nature de toute façon. Ce fut avec l’esprit rempli de questions qu’elle rentra à la maison. C’était étrange de constater à quel point son humeur pouvait se dégrader une fois qu’elle était chez elle. A l’uiversité, chez Monsieur Wales, ça allait mais à la maison … Marple Spring. Ce n’était pas ta vraie maison. Ta vraie maison, elle se trouvait à Clifden. Point barre. «
Tu as l'air heureuse. » Ta sœur, le sourire aux lèvres, toi installée dans le divan, en train de lire du Baudelaire. «
Tu ne l'es pas toi ? » A part les études, le stage et … Adrian, … Qu’avais-t-elle vraiment ici ? «
Je ne sais pas. » «
Anna... » Elle haussa les épaules et replongea dans sa lecture. Elle était de nature optimiste, elle n’avait qu’à se dire que cela allait aller en s’améliorant voilà tout. Essayer le plus possible du moins.