* 8 ans plus tôt *
Assise sur le carrelage froid de la salle de bain, je regarde le crépuscule s'élever par la petite lucarne au-dessus de la salle de bain.
Je tape la mesure des battements de mon coeur avec mon dos contre l'évier sous lequel je m'étais réfugiée.
Toujours réguliers. Si réguliers et pourtant si lents à mon sens.
Ce battement qui bourdonne dans mes oreilles, que je voudrait tant faire cesser.
Mes doigts serrent la lame entre mes doigts, entaillant doucement ma peau sans jamais toucher mes veines. Je suis incapable de décoller ma main du sol, comme si mon corps pesait une tonne.
Songeant vaguement que cette situation ferait un beau poème, je me surprend à sourire. Un sourire si rare sur mes lèvres que ça me fait tout drôle. Ce n'est plus aussi naturel.
Plus rien ne l'est après tout.
Le serait-ce à nouveau un jour ?
Même le ciel nocturne n'était plus qu'un amas d'encre amorphe sous mes yeux endormis.
Une fine larme s'échappe de mes yeux pour rouler sur mes joues. Elle poursuis sa course sur l'encolure de mon t-shirt d'un air aussi désespéré que mon humeur.
Clouée au sol, je ne suis qu'une pierre qui continue de couler dans un océan sans fond.
Je sais déjà ce que dirait mon père : « Qu'est-ce que j'ai bien pu faire pour que tu finisses comme ça ? » , l'air faussement désemparé en interprétant ce que j'ai finit par appeler " la papascarade " ou comment bien se faire victimiser pour obtenir la pitié des autres. C'est pas plus compliqué que ça, croyez moi. Procurez vous une bonne mine décomposé, une pincé de fausses larmes dans les yeux et la voix qui tremble devant la méchanceté d'une adolescente au coeur brisé.
Croyez moi c'est radical et ça vous entoure d'une bien belle foule s'exclament : « pauvre homme » ; « Quelle ingratitude » ; « Sa mère serait si déçue. »
Ma belle-mère, en bon petit toutou prête à tuer pour une friandise - et je ne blague même pas sur le double sens - hocherait ostensiblement la tête en me gratifiant d'une de ses remarques dont elle a le secret, celle qui vous fait froid dans le dos et pourrait réveiller un mort.
En battant des ciels, je chasse les larmes qui perlent au coin de mes yeux. Aussi dingue que cela puisse paraître, je n'ai jamais été très proche de mon père. Je sais je sais, c'est impensable mais c'est la vérité.
Ce qui me sert de figure paternel a quitté la maison du jour au lendemain pour batifoler le parfait amour avec sa nouvelle conquête, me laissant seule du haut de mes 7 ans avec une mère commençant déjà à souffrir des premières étapes d'un cancer ravageur qui va la tuer à petit feu.
Du haut de mes 7 ans, j'ai appris à tenir une maison.
Du haut de mes 7 ans, je savais me débrouiller.
Du haut de mes 7 ans, je me rendait à l'école toute seule.
Du haut de mes 7 ans, je me préparait à tout sauf à la perte de ma maman.
M'occupant de tout pour alléger sa souffrance, je ne me rendait compte de rien.
Elle est partis. paisiblement. Dans son lit d'hôpital, sans avoir conscience de tout ce qu'il l'entourait pour son dernier départ.
À mon tour, je suis partis. J'ai posé mes valises dans ma nouvelle famille...
Satan et sa servante. Et bien entendu, ma nouvelle demi-soeur si parfaite qu'elle faisait la fierté de mon père.
Grâce à elle, il en oubliait presque qu'il avait une fille à lui. Il m'oubliait tout simplement...
En très peu de temps, j'ai rebaptisé ma demi-soeur " la salope " sans m'en cacher, ce qui a dégradé, très étonnement, notre relation.
Je ne m'explique toujours pas aujourd'hui pourquoi dit donc.
Quoi qu'il en soit, j'ai longtemps jalousé cette belle blonde si parfaite, regrettant que mon père ne pose pas ce même regard plein de fierté sur moi.
Sans le faire forcément exprès, elle m'avait volé ma vie.
Sans vraiment le vouloir, malgré elle, elle m'avait tout volé.
Je voulais l'accuser de tous mes mots même si c'était franchement ridicule...
EN BREF. J'ai vécu pas mal de temps entourée de reproches, de comparaisons abusives entre la salope et moi-même, de remarques désobligeantes...
Le bonheur.
La cendrillon des temps moderne.
La lune perce les petits carreaux poussiéreux, éclairant un peu autour de moi. Je desserre la prise sur la lame de rasoir dans ma main, le " clic-clic " assourdissant dans ce silence de mort me fait frissonner.
* Aujourd'hui *
J'avais 15 ans au moment de tout ça. 6 ans que je faisait le dos rond sur ma douleur et mon stress palpable.
Je n'ai pas pu le faire, trop consciente que ça ne servait à rien. Que la souffrance s'évaporerait mais... pas comme ça. Ça ne doit pas ce passer comme ça.
Alors que je me relevait, j'avais l'impression que ma mère m'encourageait dans un coin de ma tête, me félicitant de ne pas baisser les bras.
J'ai pris sur moi pas mal de temps, ne faisant même plus attention à ce que l'on me disait. Comme si mon esprit s'était détaché de mon corps depuis ce jour.
Je me fichait de tout. Je me fichait du regard piquant de ma belle-mère, des moqueries de sa fille la salope de service. Je me fichait d'être le vilain petit canard aux yeux de mon père.
Je me fichait de tout, sauf de moi-même.
Je laissait mon esprit vagabonder dans les bouquins, ma seule planche de salue pour vivre d'autres vies que la mienne.
Plus intéressantes. Plus palpitantes...
J'ai accumulé les bouquins, investis dans une paire de patins à glace.. oui, le sport me permettait de relâcher le stress, et je n'ai pas choisi n'importe quel sport pour souffler un bon coup, j'ai choisis le plus beau de tous.
Et ça a duré plusieurs années...
Jusqu'à ce qu'ils s'en aillent. Ils ont déménagés à New York à mes 21 ans. Je suis restée, prétextant m'investir trop dans mes études pour pouvoir partir avec eux. Ça ne ne semblait pas arranger que moi, et tant mieux.
Pour eux, j'étudie pour devenir avocate...
La vérité est bien différente.
Et le jour où ils l'apprendront, ça va être apocalyptique.
Alors me voici, dans mon petit appartement, mes prêts, mon salaire empoché quand je travaille au café.
La vraie vie.
Je peux enfin commencer à vivre pour de vraie cette fois...