Je suis née un soir de février à la clinique de Marple Spring, près de Détroit. Mes parents, des entrepreneurs, venaient juste d’y acheter une maison. J’ai grandi seule, sans frère ou sœur, dans un univers plutôt confortable grâce à mes grand-pères qui étaient un banquier et un prestigieux chanteur de Broadway. Ma famille est originaire de New-York, enfin la génération de mes arrières-grands-parents du moins. Nous avons de lointaines origines anglaises et irlandaises. Mes ancêtres maternels sont arrivés aux Etats-Unis lorsque la famine avait touché l’Irlande et que le royaume Anglo-saxon invita les irlandais à quitter leurs terres pour rejoindre la Nouvelle-Angleterre où ils vivraient mieux. Bien sûr, désormais nous savons que tout cela n’était qu’un prétexte pour éviter que la famine impacte trop les anglais également. Cependant, mes ancêtres ont su rebondir sur leurs pattes et se construire une modeste fortune assez suffisante pour élever les générations à venir. La fortune de ma famille a surtout augmenté après le mariage de mes parents. Lorsqu’une famille avec un assez bon revenu se lie à celle de banquiers sur plusieurs génération, le résultat est sans appel.

Je n’ai pas quitté la petite ville de Marple avant l’université. La mort du meilleur ami de mon père, et parrain par la même occasion, à cause de d’une erreur de diagnostique m’a beaucoup affectée et m’a poussée à prendre le chemin de la médecine pour que les gens n’aient plus à faire face à ces erreurs. La chirurgie se révéla à moi peu à peu. Au bout de six années d’études, j’ai rencontré l’amour. Celui pour qui j’allais devenir Mme Barnes, Abraham. Si tout était rose au début, les choses se compliquèrent après la naissance de mes jumelles Alice et Natasha. Un soir que je rentrais du travail, Abraham m'annonça son adultère avec un autre homme. Cela m’a mise dans une colère folle et brisa la jeune femme que j’étais encore à cette époque. Le divorce fût demandé peu de temps après et je partis en lui laissant la garde des jumelles.

Je suis retournée à New-York, là où mes parents avaient de nouveau établit leur foyer. J’ai vécu avec eux trois ans avant de prendre mon propre appartement. Mes filles me manquaient, mais je ne pouvais pas les voir. Du moins, je ne le voulais pas. En effet, à trente ans, j’ai été diagnostiquée comme étant atteinte d’un cancer de la moelle épinière. Les nombreuses chimiothérapies et autres traitements avaient affectés mes mains qui se mettent depuis à trembler toutes seules parfois., affectant également mes capacités en neurochirurgie. Je ne voulais pas infliger l’image d’une mère malade à mes enfants, me rappelant l’effet dévastateur que cela avait provoqué pour une amie à moi en fac de médecine, alors qu’elle était adulte. Alors je me suis effacée de leur vie petit à petit.

Ne pouvant plus exercé mon métier, je me suis reconvertie en professeur théorique à la fac de New-York. Là-bas, je retombai pour la première fois amoureuse de l’un de mes collègues. Il m’apportait le soutien dont j’avais besoin pour vaincre la maladie. Cinq ans après le début de notre relation, je l’épousais, devant la belle-mère de son fils déjà adolescent. Je redécouvrais ce que c’était d’être une famille. Et au fur et à mesure, cela me poussa à me décider à reprendre contacte avec la mienne. Enfin, pas directement. Un jour, cela me prit et je décidai de me rendre à Marple Spring. La ville de mon enfance était devenu la nouvelle résidence de mon ex-mari. J’avais peur des représailles qu’il pourrait y avoir de la part de mes filles. Je me souviens être garée sur le trottoir d’en face la middle school et j’ai attendu. Je reconnus assez facilement la silhouette d’Abraham qui malgré le temps, n’avait pas tant changé. Je vis deux ravissantes petites filles courir vers lui, des sacs à dos trop grands pour elle. Leurs petites couettes, le sourire sur le visage. Elles étaient mes filles, pourtant elles comme moi étions de parfaites étrangères. Souriant à les voir heureuses, une larme vînt humidifier ma joue. Je restais là, cachée dans ma Duster noire, à les observer et imaginer ce qu’elles auraient à raconter à leur père de leur journée : des notes ? Leur nouvel amoureux ? Ce que leur professeur avait pu leur apprendre au cours de la journée ? Tant de conversations auxquelles je n’avais pas le droit.

Ne pouvant rester plus longtemps, j’ai rallumé le contacte de la voiture et j’ai quitté la scène sans être vue. Je me suis rendue chez mon amie d’enfance qui avait accouché d’un petit garçon. Tout le monde avait désormais sa vie de famille, c’est ainsi. Le temps passe. Elle m’apprit alors que le lycée n’allait pas tarder à manquer d’un directeur car il ne restait que deux années pour celui qui occupait le poste. Rentrée à New-York, ma décision était prise, j’allais faire les démarches nécessaires pour parvenir à me rapprocher de ma famille. Robert, mon mari, me soutenait pleinement. Il voyait qu’après huit années de souffrances à cause de mon cancer, j’avais enfin endormie la maladie grâce à ma greffe. Il voyait toujours la femme battante en moi et ce n’est pas lui qui allait m’empêcher d’atteindre mon but. Il est un mari aimant et attentionné. Les erreurs répétées de son fils l’ont poussé à me le confier, pensant qu’une petite ville lui ferait du bien pour changer de fréquentations, le temps que Robert puisse avoir une mutation à Détroit.

Une fois les diplômes nécessaires, j’ai pu postuler pour le poste de proviseur et je l’ai obtenu. Désormais, cela fait une année que j’exerce le métier de directrice du lycée de Marple Spring. Je tente petit à petit à retrouver ma place de mère sans pour autant brusquer mes filles. Même si mon retour semble avoir eu un côté néfaste sur Natasha qui n’obéit pas à ses enseignants. Mais cela serait-il un simple appel pour exprimer le manque d’une mère ?