Le quartier était convivial, les voisins sortaient et allaient frapper à la porte d'à côté pour s'inviter mutuellement à des barbecues. Les maisons n'étaient pas très imposantes, aucune façade ne faisait s'esclaffer de surprise. Ici, l'argent ne faisait pas le bonheur. L'amitié et la fête, eux le faisaient. Le couple Soriano avait eu un premier fils Alejandro, l'aîné. Ensuite, ils avaient accueilli un second fils, Rodriguo mais la mère continuait à espérer qu'un jour, le ciel lui donne une fille. Son souhait fut exhaussé et sa troisième grossesse lui offrit une petite frimousse adorable qu'elle nomma Mariana. Durant huit ans, la maison résonna de rires, de jeux et de conversations paisibles.

Ce fut au mois de juin que les premiers incidents furent rapportés. D'abord, il ne s'agissait que de petites bêtises comme des vols à l'étalage mais très vite, les évènements prirent de l'ampleur. Dans le quartier, les portes qui restaient autrefois ouvertes furent fermées à double-tour. Ceux qui en avaient les moyens achetèrent une alarme tandis que les autres se procuraient des armes en tout genre pour protéger les leurs. Le conte de fée mexicain tourna au film d'épouvante. En quelques mois à peine, le quartier était devenu morne et triste. Les Soriano priaient pour retrouver cette ambiance si chaleureuse qui avait fait leur bonheur les premières années de vie dans le coin. Malheureusement, cette prière-là ne serait pas exhaussée.

Le premier incident qui frappa la famille fut terrible. Après les cours, Alejandro avait l'habitude de traîner avec des copains. Ce jour-là, il rentrait tranquillement quand il croisa le chemin de deux hommes qu'il n'avait jamais vu auparavant. Ceux-ci le fixèrent longuement, le dévisagèrent même. Quand il passa à côté d'eux, l'un d'entre eux l'attrapa et le plaqua contre le mur tandis que l'autre sortait une lame de sous son blouson et menaçait le gamin de douze ans. Ils voulaient son argent et tout ce qui était susceptible d'avoir de la valeur sur lui. Alejandro eut l'idée stupide de résister et se débattit farouchement. Ce n'est qu'en sentant l'acier froid entrer dans sa chair qu'il comprit son erreur. Les deux individus ne se contentèrent pas de le planter, ils le passèrent violemment à tabac. Quelques heures plus tard, Alejandro atterrissait aux urgences et partait en salle d'opération, sans savoir s'il en reviendrait vivant.

Ses parents furent profondément choqués par cet évènement et Alejandro se sentit humilié et rabaissé. Il s'inscrivit à la boxe pour tenter de combattre cette sensation d'infériorité. A chaque combat, il revoyait ces deux gars qu'il aurait tué s'il avait eu le malheur de les recroiser. Très vite, des gens à la salle le félicitèrent pour sa hargne, son esprit combattif et ses poings puissants. D'autre part, la vie dans le quartier était devenue horrible. Les années s'écoulaient et les gangs ne faisaient que prendre de plus en plus de place dans la vie des habitants du coin. Alejandro refusait de laisser sortir son frère ou sa soeur tout seul et ses parents comptaient sur lui pour les protéger au-dehors.

Alejandro était en dernière année de lycée quand il rentra à la maison et retrouva sa mère en larmes, son père en état de choc et sa jeune soeur, occupée à stopper l'hémorragie de son frère. La sirène de l'ambulance n'arrêtait plus de sonner dans le coin depuis l'installation des gangs. A toute heure du jour comme de la nuit, les habitants entendaient ce bruit significatif et voyaient les lumières rouges et bleues à leurs fenêtres. Cette fois, les Soriano n'eurent pas la même chance. Rodriguo avait perdu trop de sang et les médecins ne purent rien faire pour lui quand il arriva à l'hôpital.

Perdre un enfant est le pire cauchemar de tout parent mais le couple Soriano savait qu'ils n'avaient pas le droit de baisser les bras. Ils ne pouvaient se lamenter et abandonner Alejandro et Mariana quand ils en avaient le plus besoin. Alors, une décision fut prise. Ce rêve américain dont tout le monde parlait, eux aussi, ils le voulaient ! Ils se battraient pour ça et un jour, ils l'obtiendraient. La famille rassembla ses maigres économies, vendit jusqu'au dernier meuble pour tenter d'amasser une petite réserve d'argent puis déménagea. Adios Mexico !

La famille arriva au Nouveau Mexique, à Albuquerque. Les maigres économies disparurent bien vite dans la location d'une petite maison et dans leur implantation dans cette ville. Alejandro trouva très vite du travail pour aider ses parents, il ne se montra pas difficile et accepta tous les petits boulots à sa portée. Livreur, déménageur, serveur ou encore videur, le jeune homme apprit à porter toutes les casquettes et à se montrer multitâches. Mariana acheva ses études à Albuquerque mais comme pour Alejandro, la famille ne pouvait se permettre financièrement de lui payer l'université. Elle dut alors se chercher, à son tour, un petit boulot.

Ce fut à cette époque qu'Alejandro croisa son premier agent. Un jour qu'il s'entraînait dans une des salles de sport d'Albuquerque, il fit la rencontre d'un homme qui vint vers lui. Celui-ci lui expliqua qu'au vu de l'aisance d'Alejandro sur un ring, il aurait été trop dommage de ne pas le faire monter là-haut pour de l'argent. Attiré par ce qu'il pourrait offrir à sa famille s'il se prêtait au jeu, Alejandro accepta. Son agent lui trouva alors des petits combats, au début dans des salles miteuses où des bons-à-rien ivres morts beuglaient en le regardant combattre d'autres jeunots comme lui. Par la suite, il prit de l'expérience et gagna en popularité dans le milieu et put prétendre à de meilleures salles, de meilleures conditions de travail.

Jusqu'au jour où son agent l'informa qu'il y avait une occasion en or à saisir dans l'Illinois, à Springfield. Alejandro refusa net, ne désirant surtout pas abandonner sa famille. En représailles de ce qu'il considérait comme une trahison envers lui, son agent appela les services de l'émigration. Alejandro n'eut qu'à peine le temps de se retourner, il écuma tous les lieux où il pourrait trouver un nouvel agent et finit par en dénicher un nouveau. Celui-ci parvint à tirer quelques ficelles mais pas assez pour sauver tout le foyer Soriano. Alejandro et sa petite soeur furent alors séparés de leurs parents. Ceux-ci furent renvoyés au Mexique et firent promettre à leur fils aîné de prendre soin de leur petite Mariana. Alejandro et sa soeur prirent alors l'avion pour Springfield, saisissant finalement cette opportunité en or malgré tout.

Sa vie à Springfield ne lui plut malheureusement pas beaucoup, il combattait le soir et s'entraînait toute la journée. Son nouvel agent était beaucoup plus réglo que l'ancien mais exigeait le double d'effort de sa part. Alejandro se sentait dépassé. Sa petite soeur cherchait du boulot, elle aussi mais elle avait toujours été protégée et couvée et n'avait pas la même hargne qu'Alejandro. Fréquentant les mauvais milieux, elle tomba dans la drogue et son frère eut tout le mal du monde à la sortir de là.

C'est finalement après un véritable calvaire pour arracher à sa soeur à son dealer de petit-ami que le duo arriva à Marple Springs. Alejandro avait simplement cherché une nouvelle maison dans un endroit calme, paisible et où la tentation de partir en vrille ne secourait pas trop sa soeur. Au final, on lui avait proposé une maisonnette dans ce coin tranquille et le jeune homme avait aussitôt accepté. C'était pile ce qu'il leur fallait.

Depuis six mois, Alejandro bosse dur pour élargir sa clientèle en tant que coach sportif. Comme cela ne suffit pas à payer les factures pour le moment, il continue à combattre sur Détroit mais envisage de plus en plus de se retirer. Mariana se porte mieux, elle a trouvé un job de serveuse sur Detroit et parvient à joindre les deux bouts. Elle ne vit plus avec Alejandro et pour la première fois, il peut enfin penser à lui avant de devoir penser aux autres ...