« Alors Jani’, tu t’es trouvé un travail pour l’été ? » Pour la première fois depuis un mois, je ne roulai pas les yeux au ciel à la question. C’est tout à fait le contraire; je considérai mon paternel avec un regard fier, un petit sourire. Cela sembla même le surprendre.
« Oui, j’en ai trouvé un. » « Ah bon ? Quel genre de travail ? » « Danseuse. » J’avais répondu à cette question on ne peut plus banalement, dans un haussement d’épaules on ne peut plus classique. Je voulais lui montrer qu’il ne pourrait pas me provoquer, qu’il ne saurait pas me rabaisser. Je n’avais plus envie de l’entendre dire que je n’étais qu’une empotée qui ne saurait rien faire de sa vie. Pourquoi il réagissait comme cela ? Parce que je lui avais annoncé que je n’avais pas l’intention de m’inscrire à quelconque université, pas pour le moment, en tout cas. Je savais déjà que cela le mettait en rogne, mais certainement pas autant que ce que j’allais lui annoncer.
« C’est bien ma chérie. Mais où danseras-tu ? Dans une compagnie ? Pour des spectacles ? » Je souris doucement aux propos de ma mère. Bien souvent, elle était du côté de mon père, mais au moins, elle tentait toujours de laisser le bénéfice du doute jusqu’au bout. Malheureusement, je n’allais pas m’en sortir avec celui-ci, pas cette fois-ci.
« Non, au Barbarela Club. » Je vis un air confus se dessiner sur le visage de ma mère; elle ne sait pas du tout de quoi je parle. Mon père, lui, par contre, devint soudainement tout rouge et abattit son poing sur la table, avant de hurler, furieux :
« T’es tombée sur la tête ou quoi !? » Bien que j’avais sursauté au moment où il avait frappé sur le bois, je gardai une contenance pour lui montrer que non, j’étais sérieuse. Cela faisait des années que je disais que je voulais faire cela de ma vie; danser. Ce n’était pas comme si j’étais arrivée un soir à la maison et que j’avais proclamée que je deviendrais danseuse. Depuis que j’étais petite, c’était ce que je voulais faire, et Rio de Janeiro, leurs danses latines séductrices, avaient fait en sorte que danser dans un club était, en mon sens, tout simplement parfait. Je n’allais pas changer d’avis sur ce point à cause de mon paternel, c’était sûr et certain et ce, même s’il me dit :
« Janiyah. Tu n’iras pas là. » « Et pourquoi ? Tu m’as demandé de trouver un boulot, et c’est ce que j’ai fait ! J’ai même trouvé ce que je voulais faire ! Ne pourrais-tu pas être content pour moi, pour une fois !? » Le ton commença à monter, de son côté comme du mien. Nous balançâmes à tour de rôle nos arguments, jusqu’au dilemme ultime qui fut
« Tu as le choix. Tu ne prends pas ce travail, ou tu n’habites plus sous notre toit. » Persuadée que c’était cela qu’il allait me dire, puisqu’après tout, il ne s’était pas gêné pour faire la même chose avec mon frère dès que celui-ci a commencé à sortir un peu du cadre, je me levai calmement, même si j’avais envie de trembler de tous mes membres, puis je pris le peu de courage qui me restait pour dire
« Il reste plus qu’à aller faire mes valises alors » avant de quitter vers ma chambre que je verrais probablement pour une dernière fois, en route vers une nouvelle vie risquée et périlleuse, mais où, au moins, je pourrais faire ce que je voulais.
---------- « Jurez-vous de dire toute la vérité, rien que la vérité ? » Je ne saurais me remémorer les mots précis que l’homme prononça à ce moment précis, mais une chose était sûre, c’était que c’était si formel que cela me faisait peur. Par contre, je ne regrettais pas de m’être présentée en ces lieux. Je l’aurais regretté beaucoup plus si je ne l’avais pas fait. En effet, faire croupir un innocent en prison pendant encore cinq ans, alors qu’on savait qu’on pouvait faire quelque chose, définitivement, ce n’était pas dans mes cordes, et me connaissant, je savais que je serais venue bien avant aujourd’hui si j’avais pu, si seulement j’avais su ce qui s’était passé, ce qui était advenu d’Ezio pendant tout ce temps. Maintes fois, j’avais repensée à cette fameuse soirée, maintes fois, j’avais revu la scène jouer de nouveau dans ma tête, et maintes fois, j’avais regretté de ne pas savoir que faire, jusqu’à ce moment précis. Maintenant, je savais ce qui me restait à faire, et j’espérais simplement être à la hauteur, le faire correctement pour pouvoir libérer ce jeune homme de là, puisqu’il ne méritait pas son sort, que je le connaisse ou pas.
« Oui, je le jure. » furent les mots qui débutèrent officiellement ce témoignage, bien qu’il ressemblât, aux premiers abords, beaucoup plus à un interrogatoire. En effet, dès qu’il en eut l’occasion, l’homme chargé de prendre ma déposition ne se fit pas prier, puis se lança en demandant :
« Comment connaissez-vous l’accusé ? », ce à quoi je répondis :
« Par des amis communs. Nous nous sommes retrouvés à la même soirée. » « Vous étiez donc présente au moment des faits ? » « Oui. » Le tout se poursuivit ainsi pendant de longues minutes pendant lesquelles j’expliquai la fameuse soirée, puis comment le tout était survenu. Ensuite, vint les questions ultimes; l’homme me présenta une photographie, un mugshot en me demandant :
« Reconnaissez-vous cet homme ? » Même si cela faisait dix ans que je ne l’avais pas vu, je n’avais pas oublié son visage. Après une soirée comme celle-ci, je ne pouvais tout simplement pas. Sans hésitation donc, je dis :
« Oui. » « Est-ce lui que vous avez vu tuer la victime avec un couteau ? » et encore une fois, sans attendre, je dis :
« Non, ce n’est pas lui. » Ce fut ainsi que ma déposition se termina, ou plutôt quand l’homme se leva et me dit :
« J’ai tout ce dont j’avais besoin Mademoiselle Montgomery, je vous remercie. », me laissant partir sans attendre plus longtemps. C’est ce que je fis, le cœur battant la chamade, espérant simplement que cela pourrait aider Ezio, me promettant même que j’irais le revoir si jamais il venait à être libéré.
---------- « Bordel, ma tête… » furent les seuls mots que je sus prononcer au moment d’ouvrir les yeux. En fait, je ne les ouvris même pas, ceux-ci s’obstinant à rester fermés, parce que définitivement, j’avais besoin de sommeil, de beaucoup de sommeil, de même qu’une boite d’aspirines et d’eau minérale. J’avais toujours aimé consommer de l’alcool, mais généralement, je n’abusais pas des tonnes, ou du moins, jamais autant que je ne l’avais fait la veille. Je ne savais pas combien de verres j’avais bu, mais j’avais la certitude que c’était beaucoup trop, puisqu’outre ce mal de tête qui me donnait envie de retourner sous la couette et y rester toute la journée, la soirée de la veille était floue. Je me souvenais vite fait que nous n’avions pas pu attraper notre vol pour Santa Monica, là où je vivais depuis maintenant six mois, puisque j’avais pris la décision de suivre Ezio à sa demande afin de travailler dans son nouveau club de strip tease, et le fait que je me sois complètement départie de mes vêtements me venait à croire que nous avions certainement pas chômé pendant la nuit, mais pour le reste, ce n’était pas clair. Bien sûr, à un moment ou un autre, cela le deviendrait, il me fallait encore un peu de temps pour cogiter, ou du moins, me réveiller pour être en mesure de cogiter un peu. Histoire de me donner un peu de courage, je décidai de m’étirer autant que possible – en gros, sans mettre un coup de poing à Ezio qui dormait à côté pendant la manœuvre – puis ensuite de me frotter les yeux pour me forcer à les ouvrir. Cependant, tandis que je m’exécutais, un objet solide vint frapper ma paupière, si bien que je m’arrêtai brusquement et lâchai un petit :
« Aïe ! » Là, je n’eus pas besoin de me forcer de quelconque façon pour ouvrir les yeux et trouver la source du problème. C’est alors que je vis soudainement une bague montée d’un joli diamant sur mon annulaire gauche. Comme si je ne comprenais pas la signification, je le regardai en fronçant les sourcils pendant quelques secondes. Puis, intriguée, je décidai finalement de me trainer hors du lit, pour trouver ce qui serait susceptible d’expliquer la présence de ce bijou à mon doigt. Tandis que je marchais en direction de la salle de bains – en faisant le tour de la chambre pour une raison que je ne pus m’expliquer – je tombai sur un papier sur une petite table. Je plissai un peu les yeux pour mieux le considérer, et c’est là que je vis, en haut de la page « Certificat de mariage » avec, plus bas, nos deux noms et signatures, à Ezio et moi. Là, il ne m’en fallut pas plus pour être totalement réveillée, puis m’exclamer, à voix haute :
« EZIO ! » dans le but de réveiller mon petit-ami, ou plutôt mon mari, si je me fiais à ce papier. Finalement, je ne me trompais pas; tout me revint tout à coup; le pari, la chapelle, le moment coquin dans l’ascenseur. Nous nous étions bien mariés hier soir ! Légèrement choquée pour le coup, je ne sus faire mieux que de me retourner vers mon époux, fraichement réveillée, puis me précipiter en sa direction, le papier entre mes mains, pour lui dire :
« Putain Ezio… On s’est mariés hier soir ! » ---------- « Tous les passagers à destination de Détroit doivent se présenter pour l’embarquement. » « Ça y est, j’embarque. On se voit dans quatre heures mon amour. » fut le dernier message que j’envoyai à Ezio depuis mon téléphone avant de désactiver celui-ci le temps du vol. Après tout, je n’avais pas droit de l’utiliser dans l’avion, alors rien ne servait de le garder allumé plus longtemps, puisque tout ce dont j’aurais envie, ce serait de céder à la tentation de le regarder et envoyer une tonne de messages à mon mari pour lui dire à quel point il me manquait, à quel point j’avais hâte de le voir. Je me doutais qu’il le savait déjà, et la réciproque était aussi vraie, mais pourtant, je ne me lasserais probablement jamais de le lui mentionner. Il fallait simplement que je prenne mon mal en patience. Quatre heures, et je pourrais le voir. Quatre heures, et nous pourrions finalement nous poser, commencer cette nouvelle vie à deux. Nous n’avions pas nécessairement besoin d’un renouveau, mais la vie nous avait donné une chance de commencer ailleurs, et nous avions pris la décision de la saisir. Enfin, elle s’était plutôt présentée à Ezio dans un premier temps, lorsqu’il avait eu cette offre pour s’occuper d’un club à Marple Springs, non loin de Détroit. Incertain que le tout fonctionnerait, il avait choisi de s’y rendre seul pour un petit moment, moment qui, bien qu’il ne durait que depuis quelques jours, m’avait paru tout simplement interminable. Je n’avais pas su l’attendre à Santa Monica bien longtemps, seule dans notre maison. Au bout du compte, puisque les choses marchaient plutôt bien, nous avions pris la décision de nous installer, pour le temps que nous le pourrions. Nous ne savions pas ce qui nous attendait, nous ne savions pas où nous serions le lendemain, je ne savais même pas encore si j’allais apprécier ce nouveau club où, évidemment, je danserais, c’était déjà décidé, mais pourtant, je n’avais pas peur. J’appréhendais ce moment, mais c’était d’une bonne façon. Pourquoi ? Parce que je savais que peu importe ce qui se passait, nous serions deux. Cela faisait plus de six mois que j’étais avec Ezio, et pourtant, c’était la première fois que cette évidence me confortait. Pourquoi ? Parce que pour la première fois de ma vie, je savais que je pouvais me reposer sur quelqu’un, quelqu’un qui m’avait accepté comme j’étais, et surtout quelqu’un que j’aimais. À présent, je n’avais plus aucun raison de reculer, sauter à pieds joints dans cette nouvelle aventure. Je n’hésitai même pas : Sitôt mon téléphone placé soigneusement dans mon sac, je me levai de ce banc où j’étais assise depuis maintenant une heure, passai ma main discrètement sur mes fesses pour les dégourdir un peu, puis je m’approcher de la porte, ma carte d’embarquement à la main, montant dans cet avion qui me menait en direction de cette nouvelle ville, de cette nouvelle vie.