« Ma petite puce, tu es certaine de le vouloir ? » J'esquisse un faible sourire tandis que je termine la préparation de mes affaires avec le plus grand soin. Je m'apprête à lui répondre, mais elle reprend la parole. « Je veux dire, mon ange, tu n'as pas à partir aussi loin pour faire tes études. Il y a beaucoup de fac acceptable ici, tu sais. » Mon sourire s'agrandit. Je ne sais même plus le nombre de fois qu'elle m'a servit le même discours. Jouant à la perfection le rôle de la mère inquiète, à l'opposée du comportement de mon père. Lui semble me supporter, approuvant mon choix de prendre mon envole malgré l'inquiétude que je peux parfois lire sur son visage.   « M'man, ce n'est pas la première fois qu'on en parle et j'ai vraiment envie d'y aller. C'est une chance, une opportunité pour moi d'étudier tout en découvrant le monde. » Prononçant, ces mots, je me tourne pour lui faire face. Je tente de la rassurer, d'appuyer les arguments que je ne cesse de lui répéter encore et encore depuis plusieurs mois à présent. Je ferme ma valise, la dépose sur le sol et dépose une main sur le bras droit de ma mère. Il est temps qu'elle comprenne que c'est ma décision avant tout et qu'être accepté à Harvard retient du miracle. Je suis une excellente élève, mais tout de même, ce n'est pas la même chose. Finalement, la résignation se dessine dans son regard qui s'emplit déjà de larmes. « Bien. Mais, je veux que tu me promettes de nous appeler tous les jours sans exceptions. Sinon, je te ramène de force si c'est nécessaire. » Je ris. Elle est sérieuse et je ne doute pas qu'elle achète un billet d'avion juste pour me ramener à Paris si j'oublie de l'appeler ne serait-ce une seule fois. Alors, j'acquiesce tout en la serrant dans mes bras.
Les séparations sont longues, dures et douloureuses. Je ne reviendrais pas avant les prochaines vacances et même si les appels se multiplieront dans la semaine, ma mère rechigne à me laisser partir. Mon père dépose un simple baiser sur le sommet de mon front, me serre dans mes bras et la larme à l'oeil, il me soutient. Ma mère, elle, ne veut pas me lâcher, profitant de chaque second jusqu'à ce que le départ soit imminent. Les derniers passagers montent à bord de l'avion et c'est avec un geste de la main, plein d'émotion, que je suis le mouvement. J'attends cet instant depuis si longtemps et pourtant... Pourtant, les larmes me montent aux yeux avant de déborder une fois à ma place.

« Arrêtes donc de regarder cette bague, tu vas l'abîmer. » Une voix moqueuse s'élève à mes côtés, transperçant mon coeur. Une voix que je ne pourrais jamais oublier et qui en toute simplicité me rend heureuse. Je délaisse à contre-coeur la somptueuse bague qui orne mon doigt depuis deux jours à présent et sourie à l'homme de ma vie avant de l'embrasser avec fougue. « C'est méchant de se moquer comme ça. Je n'arrive toujours pas à réaliser qu'elle soit là. » Mon coeur s'accélère lorsque je me souviens de sa proposition. Une demande toute en simplicité comme j'en ai toujours rêvé. Il m'enlace tendrement, passant une main protectrice et bienveillante dans ma chevelure flamboyante. Il m'embrasse à son tour.  « On va être en retard. » A peine eut-il prononcé ces mots, que je reprends lentement conscience de l'heure qu'il est. Je jette un coup d'oeil paniqué à l'horloge et me prépare avec hâte sous le regard amusé de mon aimé.  « Tu te moques un peu trop de moi ce soir, Seth. » Un rappel à l'ordre qui semble l'amusé de plus belle. Il dépose un baiser sur mon front et se prépare à son tour. Tous deux étudiants en médecine, tous deux en internat et tous deux de services. Je ne me souviens même plus quand toute cette routine à commencer. Cela m'importe peu. Je l'aime. Vivre à ces côtés m'apportent un bonheur infinie. Prête, je prends place à ces côtés dans la voiture. La musique s'élève dans l'habitacle et se mêle à nos rires, nos voix. Je le regarde un instant. Je me projette dans notre avenir, repense à notre passé. Rencontrés à la fac d'une manière des plus ordinaires, ce fut le coup de foudre. Immédiatement, j'ai su qu'il était le bon et certainement l'unique. Des rendez-vous maladroit, notre premier baiser, notre première dispute, nos instants de joies. Je me souviens de chaque instant en sa compagnie, ne souhaitant rien de plus que d'en vivre de nouveau. « Tu recommences à fixer. A quoi penses-tu? » Une question. Plusieurs réponses, mais l'une d'entre elles est des plus évidentes.  « Je t'aime. » Je prononce ce mot d'une voix claire et assurée. Ce n'est pas la première fois qu'il l'entend et certainement pas la dernière. Un sourire niais se dessine sur mon visage. Sa réponse est immédiate. « Moi aussi, je t'aime. »   

Un cris. Un bruit. Un crissement. Un choc. Des paroles rassurantes. De l'eau dans mes poumons. L'air me manque. Je sombre. Les ténèbres. Le froid. Le souffle glaciale de la mort. Un étau. Une douleur. Plus rien. Je me réveille, épuisée, sans force. Les derniers instants me reviennent. Une larme coule le long de ma joue. Je sais. Il n'est pas nécessaire de prononcer ces paroles douloureuses. Je le sais. Mon coeur est meurtris, sa présence n'est plus. Mon ange a quitté mes côtés pour d'autres horizons. Une voix s'élève à mes côtés. Je ne l'écoute pas. Je veux être seule. Elle persiste et je détourne le regard. Les mots se perdent dans mon esprit en compagnie de mes pensées. Je veux sombrer de nouveau, retrouver le souffre glaciale et apaisant qui m'engouffrait auparavant. Une main passe dans ma chevelure. La main est glacée, froide, douce, délicate, maternelle. Je la reconnais. Je souviens des nombreuses fois où elle a tenté de me rassurer. Je repense à tous ces souvenirs. Ils se mélangent à tant d'autres. Plus récent. Plus douloureux. Les larmes s'enchaînent, se multiplient. Je souffre. Mon coeur souffre. Mon corps souffre. J'ai mal partout, emplis de courbature et de bleus. Je détaille mes bras, pâle. Je n'ai jamais été aussi pâle. Toutes les expressions ne seraient pas assez forte pour décrire ma pâleur. Je connais toutes les expressions?! Non, bien sûr de non. Dans ce cas, peut-être que l'une serait parfaite pour me décrire. Mais, peut-être pas. Un nouveau contact me fait perdre le fil de mes pensées. Je détourne le regard et reconnais celui de ma mère. Bienveillant, inquiet, maternel. Elle m'a déjà regardé ainsi auparavant. Non. Jamais avec autant d'intensité et de peine. Derrière elle se tient mon père. Son regard est le même. Ses traits plissés par l'inquiétude. Je ne l'ai jamais vu comme ça. Il se montre toujours fort, intouchable. Je ne l'ai jamais vu pleurer. Si. Une fois, lors de mon départ. « Ma puce... Comment te sens-tu? » Une question qui ne trouve pas de réponses. Mon esprit divague dors et déjà. Je fixe le médecin qui entre dans la pièce. Grand, ancien, pas complètement vieux. Je me surprends à le détailler avec une trop grande attention avant de m'attarder sur la poussière que l'on peut apercevoir dans la lumière. J'enchaîne et multiplie les observations comme si je découvre le monde. J'entends, à mes côtés, le médecin me questionner. Je lui réponds. Vaguement. Avec difficulté. Mes pensées se perdent dans ma gorge, la moitié est prononcée. Mes phrases semblent étranges, mais je passe à autre chose.  

« Alors, Mademoiselle Nightingale. Votre vie à Marple Spring, vous plait-elle? » Demande le psychiatre confortablement installé dans le fauteuils non-loin de moi. Aussitôt, mon cerveau enchaîne les réponses possibles. Je m'y plais. Je pense. Parfois. C'est calme. Apaisant. Stressant. Joyeux. Unique. Loin de tout. Je ne sais comment décrire cette ville. Je me suis installée ici il y a quelques mois à présent. Des cartons traînent toujours dans mon appartement. Je n'ai pas envie de ranger, de me plonger dans les souvenirs qui y sont entassés. Je ne sais même pas si je me sens bien ici. J'avais besoin de m'éloigner de tout, de tout le monde. La solitude. Elle ne me fait pas souffrir. En suis-je au moins capable?! Je ne suis plus sûr de rien depuis qu'il a quitté mes côtés. Tout me semble si fade, si flou, si sombre. Mes pensées s'enchaînent et se multiplient, sans le moindre intérêt. « Je ... Je ... Je crois que.... » Incapable de trier mes pensées, de mettre à plat mes sentiments, mon esprit dérive de nouveau. Je n'arrive pas à m'exprimer. Je n'aime pas m'exprimer. Il y a trop de mots. Non. Il n'y a pas assez de mots. Non. Je ne sais plus. Mon esprit s'embrouille de plus belle. « Ne forcez pas, prenez votre temps. » Des mots. Toujours des mots. Ces paroles en elles-mêmes semblent vouloir dire tous autres choses. Il me pousse à parler encore et encore. Je ne veux pas. Mais, je n'ai pas le choix. Il n'est jamais entièrement notre. Je le sais. J'en suis certaine. Son regard sur moi, pendant une heure tous les deux jours, m'obligent à parler. A évoquer souvenirs et sentiments que je ne peux exprimer. « Unique. » Ma réponse. Un seul et unique mot, rien de plus. Je ne sais que dire de plus ou plutôt j'ai beaucoup trop à dire en plus. Mais, c'est sur ce mot que se termine la séance. On se salut, prévoit notre prochain rendez-vous pour le surlendemain et nous nous sommes quittés. Je ne m'attarde pas, fuis et me glisse dans les rues de la petite ville. J'erre, les heures passent, mes pensées s'enchaînent jusqu'à la nuit tombée et bien plus encore.