Sally & Kaelynn

" Baby, won't you make a believer out of me I've been in the dark for so long that I can't see Tell me all your beautiful lies one last time Dress me in your favorite disguise, I've been blind Well every night I fade Into the chaos of this world I made When I was in between "

Arrivée en tout début d'après-midi, j'avais presqu'aussitôt entamé la routine qui se dessinait comme étant la mienne depuis plusieurs semaines. J'avais commencé par mettre un peu de vie en posant un disque sur la platine vinyle qui distribuait toute la musique des lieux. J'avais porté mon attention sur un album méconnu de Sonny Rollins, Way Out West. Au son du saxophone du maître, j'étais allée chercher mes cahiers de cours et mes bouquins puis m'étais installée à l'une des tables pour bosser. Moi qui avait toujours détesté l'école cela me faisait tout drôle de remettre ça dix ans plus tard. La tâche bien que pénible me semblait pourtant l'être moins qu'à l'époque. Peut-être y voyais-je ajourd'hui une application concrète à ce que je faisais dans la vie contrairement aux calculs d'intégrales et autres dérivations de Madame Eger, une de mes anciennes prof de maths acariâtre.

La fatigue me pénalisa beaucoup dans l'exécution de mes devoirs de la journée. Quelque part entre quatorze heures quarante cinq et quinze heures trente il y avait eu comme un moment d'égarement. C'est en rouvrant les yeux et en relevant la tête dans les lieux devenus silencieux que je réalisais ce qu'il s'était passé. La position peu favorable au confort de ma nuque me tira une vilaine grimace et j'essayai de masser la zone sensible sans grand effet. J'eus à peine un regard pour mes feuilles d'exercices et décidait finalement d'aller me faire un café. J'en avais besoin. De ça et d'une cigarette, cela irait mieux après. Sans beaucoup de courage, je me remis au boulot à peine une demie-heure, il était déjà seize heures passées il fallait que je prépare l'ouverture. Oliver qui devait m'aider pour ça ce soir serait en retard. On était jeudi, il était toujours en retard ce jour-là. Je ne lui en tenais pas rigueur.

A l'heure prévue, tout était fin prêt et j'ouvris les portes de l'établissement au public. Les premiers clients entrèrent bientôt et je m'occupais d'eux avec l'efficacité qu'Andy m'avait apprise. Ils n'attendirent pas leur consommation longtemps et Oliver arriva finalement pour prendre son service en s'excusant pour son retard, comme chaque jeudi.  « T'inquiète je sais que je ne peux pas compter sur toi. » raillai-je avec un demi-sourire. A force de l'entendre il avait fini par comprendre que je plaisantais. Je profitai du faible nombre de clients pour confier la maison au jeune serveur.  « Je vais me préparer, appelle-moi si jamais tu as besoin. »  Car avec tout ça, j'avais gardé ma tenue un peu décontractée pour accueillir mes premiers clients. Pas que j'impose une tenue règlementaire pour le bar mais mon t-shirt était un peu trop délavé et abîmé pour la mixologue que j'étais. Il me fallut un quart d'heure pour enfiler un débardeur noir à sequins argentés. Lui qui m'allait comme un gant quelques mois plus tôt apparaissait un peu trop ample à présent. Depuis que j'avais repris l'affaire d'Andy, j'avais perdu sept kilos. Avec la méthode Kae je mettais à l'amende toutes les techniques de régimes de la Terre. Tu veux perdre du poids rapidement et efficacement ? Lance toi et créée ton entreprise ! Effets garantis. Ce n'était pas très bon pour la santé mais tous ces régimes miracles ne le sont-ils pas tous ? Je camouflai mes os devenus plus saillants par une veste de tailleur noire dont je retroussais un peu les manches. C'était simple mais plus ou moins efficace. Après quoi je pris le temps de me coiffer un tantinet et de me maquiller avec suffisamment d'anti-cernes et de fond de teint pour empêcher la peau à la teinte anormalement grisâtre sous mes yeux de respirer. Un rouge à lèvre rouge vif sur mes lèvres, deux pschitts de parfum pour parachever mon oeuvre, une clope et j'étais prête à entrer dans l'arène.

Je quittai mon bureau, fermai la porte d'un tour de clé et traversai la salle pas encore pleine à craquer pour indiquer à Oliver que j'allais fumer. Il me fit signe d'approcher comme soulagé de me voir enfin arriver.  « Ne regarde pas mais y'a ta mère au comptoir » me glissa-t-il en faisant un discret mouvement de tête en direction de sa position. Je me figeai et restai interdite quelques secondes avant de regarder par dessus son épaule. Merde.  En dix années de métier c'était bien la première fois que ma génitrice venait me voir sur mon lieu de travail. « Elle a commandé quoi ? » Oliver me fit l'historique de son entrevue avec Miss H.  Merde. Je penchais la tête sur le verre de gin qu'il avait commencé à servir et secouait la tête. « Non non, tu ne sers surtout pas ça à quelqu'un comme ma mère. Elle est anglaise et s'y connaît... » fis-je avant de prendre le verre à peine rempli et de le descendre d'une traite. J'avais besoin de courage. « Je m'en occupe. » Je soufflai un bon coup avant de m'approcher de ma mère pour la saluer. Ce n'était que ma mère pas un immense dragon crachant des flammes. Voilà, je devais voir maman comme elle devait être à savoir une cliente comme les autres. Oh mon dieu je vais me faire cramer... Non je suis ici chez moi, j'ai des flèches et une épée et même le Faucon Millénium, je suis armée, ce soir je terrasse le dragon s'il n'est pas gentil.  A mesure que j'approchais je me sentais redevenir une gamine, mon coeur frappant plus fort et plus vite contre ma poitrine, ma bouche s'asséchant et mes mains devenant moites. « Bonsoir Maman. Qu'est-ce que je te sers ? » lui demandais-je avec un sourire tout à fait professionnel.