Mes doigts caressent la cicatrice que j’ai à l’aine tandis que je me regarde dans le miroir. J’ai toujours voulu être parfaite et me voilà avec un défaut sur le corps. Depuis ma plus tendre enfance, je m’efforcai d’être la plus parfaite du monde. Les cheveux brillants, toujours de bonnes notes, jamais un écart de conduite. Mais étant un être humain, me voilà avec ce tout petit trait blanc qui a tout gâché. Je pourrai bien sûr vous parler de mon enfance auprès d’une mère un peu malade qui a fini par périr de sa maladie. De mon père qui a demeuré inconsolable alors que je n’avais que dix-sept ans. Mes études de droit pour devenir avocate alors que je voulais devenir fleuriste. Je pourrais vous dire tout ça mais à quoi bon ressasser le passé n’est-ce pas ? Je me souviens encore de l’effet de ses lèvres sur ma peau. Bien des mois après. C’est fou non ? Et pourtant, j’en ai eu des conquêtes. On m’appelait le requin tant dans mon métier qu’auprès des hommes auxquels je m’intéressai. A vrai dire, à cause de mes antidépresseurs, je garde un souvenir assez flou de la période pré-agression. Comme si les cachets veillaient à effacer toute trace d’un passé dont je n’ai absolument pas honte. Non, j’assume entièrement d’avoir eu une enfance heureuse, une famille unie jusqu’à ma presque majorité et une mère qui repose au cimetière.

Je dirai que le premier nuage sur mon univers fut l’entrée de Marcy et de Jillian dans ma vie. Les deux pestes comme je les appelai. Est-ce que vous avez vu Cinderella ? Ça m’étonnerait qu’elle fût heureuse de l’arrivée de sa marâtre alors qu’elle batifolait dans la cendre. Non, du tout. Eh bien, j’ai ressenti la même chose en voyant arriver ses deux harpies avec leurs louboutins à la con. Je rêverai de leur crever un œil avec leurs chaussures. Marcy et moi, on se déteste. Et avec sa fille, c’est une haine bien vivace et visible. Tout le monde l’a ressenti. Mais je devais sourire alors je me suis pointée au mariage, tout sourire et toutes griffes dehors. J’ai regardé Marcy dire oui à mon père tandis que je rêvais de lui faire bouffer son voile. Pourquoi tant de haine ? Outre le fait qu’elle remplace ma mère, elle prend soigneusement le soin de me rabaisser dès qu’elle me voit. Du coup, je me suis encore plus attelée à devenir une parfaite comme elle le dit. Mes cheveux étaient toujours lisses, mes tenues impeccables. Je suis entrée dans un cabinet d’avocats de Détroit. J’ai pris soin d’avoir des tenues à ma taille pour une fois. Et je l’ai rencontré. L’homme avec lequel je me voyais terminer ma vie. Deen. Il était beau, avait un très joli sourire. A vrai dire, c’est assez drôle quand on y pense car je suis rentrée dans sa voiture. Je suis une piètre conductrice. On a pris un verre et on a couché ensembles. Pourquoi attendre ? Je devais le revoir. Je lui avais promis. Mais le destin en a décidé autrement.

Le métier d’avocat est bien dangereux. Il y a neuf mois, je me suis faite poignarder. J’étais en pleine plaidorie lorsque ce malade s’est jeté sur moi. Je me suis sentie partir et à mon réveil on m’a dit que j’avais passé trois mois dans le coma. Je me suis réveillée un peu perdue avec mon père à mon chevet. Plus de Deen. J’ai appelé et on m’a dit qu’il était avec sa copine. J’en ai beaucoup pleuré. Je me suis mise à fumer, à boxer aussi puis j’ai tout plaqué. Je suis allée à Marple Spring près de mon père. Là, j’ai trouvé un logement, nous avons acheté un local de fleurs au grand dam de Marcy –fuck you bitch- et j’ai commencé à vendre mes fleurs tout en créant des roses dans le jardin familial. Avec Jillian, nous ne nous sommes pas revues depuis des mois mais je me prends assez le bec comme ça avec sa mère. Elle déteste que je fume sous son nez. Connasse. Déjà que je vais devoir me taper la putain de réunion de famille pour leur faire plaisir. Jillian sera présente avec monsieur parfait et je viendrai avec ma plus belle robe et mes clopes. Ainsi que mon majeur pour lui planter dans l’œil à la première remarque.