C’est un beau lundi d’octobre 75 que Leonard est né, dans la magnifique bourgade de Nogent-sur-Marne, après seize longues heures d’accouchements. Il était le premier né, un garçon qui plus est, et fils unique par la suite d’un couple très bien comme il faut. Un chef d’entreprise anglais, tout ce qu’il y a de plus normal, et une femme de quinze ans sa cadette française, mère au foyer. Il vivait la semaine dans leur grand appartement à Paris, et le week-end dans leur petite maison de banlieue au bord de l’eau. Grand jardin, chats et chiens, il était difficile de plaindre sa condition de vie. Surtout éduqué par sa nourrice et sa mère, il ne connut son père que par bribe : c’est que pour son travail, il devait voyager souvent, partout, loin de chez eux, sans compter la paperasse, les rendez-vous, et la maîtresse ou deux qu’il entretenait à Singapour ou à New York. Il l’avait quelque fois par téléphone pour savoir s’il était toujours le premier de sa classe, ou s’il était sage, ou s’il savait déjà ses tables de multiplications. A son père, il voulait lui plaire. Il voulait le rendre fier, plus que fier. Il voulait le voir rentrer à la maison plus souvent, il voulait qu’il le complimente, qu’il le félicite, il voulait voir l’amour dans ses yeux, ce n’était plus un désir, ni un besoin, à a peine 5 ans, Leo était obsédé par l’admiration de son géniteur. Dès 6 ans, il avait supplié sa mère de lui apprendre à jouer du piano, dès 7 il s’efforçait de savoir lire et compter comme les grands, puis à 8, il atteint même l’exploit de sauter une classe. Mais ce n’était jamais vraiment assez bien. C’était surtout normal, ce qu’un enfant de bonne famille, très bonne famille, se devait de faire, être le premier en tout, partout, pour le père Seere, ce n’était qu’une banalité.

Leonard grandit donc, en étant très stressé, et en attente comme en besoin constent d’affection et de compliments. Non pas qu’il n’en recevait pas assez de ses professeurs, ou de ses amis, bien au contraire. Après tout, c’était un petit garçon ravissant, très beau même, intelligent et brillant pour son âge, sans compter son éloquence avancée et ses très bonnes manières.  Il avait du charisme, du charme, il savait où était sa place, et rester humble en toutes circonstances, son énorme manque de confiance en lui qu'il cachait aidant beaucoup à ne pas voir qu'il était, en effet, très doué. Mais tous le travail qu’il mettait chaque jour pour être aussi parfait n’était jamais pleinement récompensé, jamais pour lui. Sa mère non plus ne savait pas lui montrer qu’elle était fière de lui. Elle l’était, elle l’était vraiment ! Mais n’étant pas sûr de comment l’exprimer correctement, elle n’essayait pas souvent de le faire savoir. Sa façon à elle de lui montrer son appréciation, c’était surtout de le couvrir de cadeaux à chaque fois qu’il ramenait une bonne note, ou qu’il réussissait quoi que ce soit de positif.

Il mettait ses rêves de côtés pour pouvoir être comme ça ! Leo, ce qu’il voulait vraiment faire, ce n’était pas du piano, ou des peintures de nature morte, ou apprendre comment manger à table avec trois fourchettes six cuillères et quatre couteaux, lui il voulait être danseur. Comme à la télé, comme dans les films. Il voulait être dans des grands ballet à l’Opéra de Paris, ou bien dans des comédies musicales, au grand Hollywood, il voulait faire des claquettes américaines et chanter comme Fred Astaire. Faire du sport comme les gens dans Gym tonic. Ou alors il voulait faire de l’animation, comme les dessins anime qu’il regardait en prenant son petit déjeuner, pas les Disney non, les dessins animés du Japon que son père méprisait. Ce qu’il aimait beaucoup aussi, s’était de regarder sa mère s’habiller et se préparer le matin. Très souvent, il se glissait dans sa chambre tôt, et il s’agenouillait aux pieds de sa coiffeuse, pour pouvoir l’observer se poudrer, mettre son rouge à lèvre, son fard à joue, comment elle crêpait ses cheveux, enfilait toujours son tailleur en cottons, ses bas en nylons et ses jupes crayons. Il l’aimait beaucoup, sa mère, il l’aimait vraiment profondément, et elle était vraiment belle.

Bien sûr, après l’école primaire, il était plus que logique de mettre Leonard dans un collège réputé de Paris, où il était à nouveau le premier de sa classe. Il brillait dans les langues, l’anglais, l’allemand, le français, le latin, il était très bon aussi dans les matières scientifiques, mais ce qu’il n’aimait pas, et dans quoi il n’était certainement pas aussi doué que le reste, c’était l’E.M.T, pas quand il apprenait à coudre, ou à faire les tâches ménagères, ça il adorait, non, c’était l’autre partie où il devait apprendre la technologie.  C’est aussi pendant ses années collège que Leonard se découvrit un certain… penchant pour le sex masculin. Non pas qu’il trouvait les femmes banales ou répugnantes au contraire il les trouvait, et les trouve encore à ce jour ravissante, bien plus agréable à regarder que les hommes, et plus douce à aimer, mais son cœur n’était pas de son avis. Néanmoins après des années à entendre autour de lui qu’être attiré par les hommes, c’était une maladie, malgré sa déclassification comme tel un peu avant ses 6 ans, il était compliqué d’aller de l’avant dans ses désirs, sans compter le sida faisant de plus en plus rage, que tout le monde qualifiait de maladies de gay. Et plus qu’autre chose, il cacha pendant très longtemps cette partie de lui, préférant se concentrer sur l’attirance physique et platoniquement émotionnelle qu’il ressentait vis-à-vis des femmes. Il en avait du succès d’ailleurs, beaucoup de succès, surtout avec les habits chics que sa nourrisse lui apprenait à coudre en cachette pour ne pas que sa mère ou encore pire son père ne découvre son amour de la couture à a peine 11 ans, son walkman et sa mobylette, ou encore ses yeux bleus verts, et ses cheveux blonds cendrés.

Une fois sortie du collège, arrivant dans un autre lycée réputé de Paris, Leonard découvrit les plaisirs du sexe au détour d’une boum. Il avait tout juste 15 ans, ce n’était rien d’extraordinaire, la fille était gentille et mignonne… Non, ce qui le marqua vraiment, c’était au courant de la même année, à une autre soirée, où cette fois ci, c’était avec un garçon qu’il s’était laissé aller. Il était plus vieux que lui, peut-être 18 ans, ce n’était pas aller plus loin qu’un peu d’oral, dans les toilettes, mais rien que ça l’avait mis dans un état impossible à calmer, réveillant tous ses vieux démons. Parce qu’il ne voulait pas être gay. Il ne voulait pas aimer plus une simple pipe à une nuit entière avec une fille. C’était indécent. Ce n’était pas bien. Il évita donc par la suite de recommencer, dans l’espoir d’encore oublier, il avait commencé à fumer des cigarettes en cachette, un peu de drogue avec ses amis, il s’était aussi mis encore plus intensément à la couture, il s’autorisait même à faire du cosplay, dans sa chambre. Ses costumes n’étaient pas géniaux, mais il en était vraiment fier, sa vieille nourrisse aussi les trouvaient tous fantastiques. Il essaya aussi d’oublier ses questions existentielles quand sa mère fut diagnostiquée avec un cancer du sein. C’était soignable, mais la tumeur qu’elle avait été grosse, très grosse. L’opération était à risque, elle l’a pris, et heureusement malgré une santé très fragile par la suite, elle en survécu. Leonard réussi à trouver l’amour, ou ce qui s’en rapprochait le plus à ses 18 ans, une fille de son âge, très gentille et adorable, elle aussi d’une famille plus ou moins aisée, que son père soit fier de ses choix romantiques autant que de son bac B qu’il avait empoché avec un score presque parfait. Il s’engagea par la suite dans une fac d’économie et de droits, pour être assez qualifié aux yeux de son père et être capable de reprendre convenablement l’entreprise familiale, sa mère fit une rechute à laquelle elle ne put survivre, entraînant Leonard dans une profonde dépression. Sa nourrisse elle aussi morte de vieillesse quelques années avant n’étant plus là, Leo se retrouvait donc complètement seul à devoir gérer un tel fard d’eau, il avait alors 20 ans. Il y avait sa petite amie, évidemment, mais ce n’était pas assez, il avait perdu quelque chose, quelque chose en lui de précieux.

C’était sur un coup de tête assez brusque qu’il décida par la suite de tout quitter à peine quatre mois après les faits. L’appartement de ses parents à Paris, la fac de droits, tout. Parce qu’il en avait assez, et que lui, il ne voulait pas vivre pour son père et en mourir. Il était certain que s'il avait été un meilleur mari, plus présent, moins égoïste sa mère n’aurait jamais fini aussi malade et ne serai jamais morte en souffrant autant. De toute façon, rien n’était assez bien pour lui, alors quitte à ne jamais être le fils idéal dont il rêvait, pourquoi pas tout foutre en l’air, et faire ce dont il avait vraiment envie. Pour la danse, il était un peu trop vieux, pour l’animation aussi même s’il restait un bon artiste, et qu’il savait très bien peindre, il allait devenir tailleur, et styliste, se faire une place entre les Karl Lagerfeld et les Jean Paul Gautier.  Et il excella une nouvelle fois en la matière, parce qu’il était passionné, et qu’il l’avait toujours été.

Il ouvrit sa première boutique indépendante au cœur du Marais cinq ans plus tard, avec l'héritage que sa mère lui avait laissé. Il était marié, sa vie était enfin comme il le voulait. Il n’avait plus vraiment entendu parler de son père depuis deux ou trois ans, mais ça n’avait plus beaucoup d’importances. Il était styliste, il avait du succès, sa femme l’aimait et il aimait sa femme. Ils pensaient même à fonder une famille !

Pourtant le destin s’acharna une fois de plus sur Leonard, et sa femme vint à mourir dans un accident de voiture l’enfonçant profondément dans une phase très autodestructive de sa dépression. Il fumait énormément, il était à cinq paquets par jours, il buvait et sortait tous les soirs, il couchait avec n’importe qui, homme femme, peut importait. Il lui fallut bien trois autres années pour se remettre, à 28 ans. C’était tout bête, son déclic. Il s’était réveillé pour la énième fois dans le lit d’un parfait inconnu, et il réalisait à quel point il foutait sa vie en l’air, alors que ni sa défunte mère, ni sa femme n’aurait souhaité ça. Il décida donc pour se remettre en état de fumer moins, d’arrêter de boire à tout va, de manger sain, de courir, et surtout de faire un tour du monde d’au moins cinq ou six ans. Il voulait découvrir d’autres horizons que la France et l’Angleterre, se mêler aux autres, découvrir leur culture, et surtout leur mode, le style de ces pays si différent du sien, et peut-être y implanter une nouvelle boutique, pour un peu d’air frais. Il s’en alla donc après avoir laissé sa boutique dans les mains de son assistant un peu partout en Europe, pour commencer. Il apprit les langues des pays sur le tas, avec les natifs, se débrouillant de mieux en mieux au fil des ans. Il eut quelques aventures, plus ou moins sérieuses, surtout des hommes, ne se sentant plus capable d'aimer une femme.

Il dû prendre au moins deux ans de sa vie pour faire le tour de toute l’Amérique, le rêve de son enfance. La Floride, surtout la Californie, Hollywood. Il s’était même décidé en rentrant en France qu’il voulait vivre là-bas, à L.A. Et c’est ce qu’il fit quand il retourna en France, malgré la violente crise économique mondiale. Avec l’héritage de sa mère, et le petit pactole qu’il avait réussi à économiser avec les années à vendre ses créations, lui n’était pas particulièrement touché, faisant partie de la classe supérieure riche. Du coup, ni une ni deux, il s’en alla poursuivre son rêve américain. Et là-bas non plus, il ne mit pas beaucoup de temps à se faire un petit nom. Oh, il ne détrônait certainement pas les plus grands clairement pas, mais il était assez bien vu par une communauté assez grande pour que sa vie continue bien tranquillement.

Pourtant, un peu avant ses 40 ans, ayant fait le tour de la ville, et de l’état, Leonard se retrouvait triste, stressé, frustré. Il ne savait plus séduire, il n'avait plus eu d'aventures ou de petits amis depuis un an... Certains appellent ça la crise de la quarantaine, lui, il avait juste l’impression de recommencer à avoir un épisode violent de dépression. Et il ne supportait pas ça. Il se sentait soudainement vieux, gros, plus du tout populaire ni aux courants des dernières modes. Non pas qu’il faisait moins de vente, bien au contraire, mais il se sentait mal, et après une remise en forme intégrale physique (dont il n’avait pas vraiment besoin, n’ayant pas perdu ses bonnes habitudes d’une décennie avant.), il se mit en tête de déménager dans un état du nord, plus exactement, il commença à rechercher une ville tranquille, petite, où il pourrait prospérer, et se sentir vraiment chez lui.

C’est ainsi qu’il y a deux ans, par hasard il découvrit Marple Spring. Dont il n’avait jamais entendu parler, comme multitude d’autres bourgades tranquilles dans les alentours, et après un an à louer un petit appartement en centre-ville, et étudier les citadins, il décida de s’y installer, en y ramenant bien évidemment sa boutique.