Il arpente les hauteurs, il serpente ces sombres allées de ciel noir perçu entre les murs de nuages déchirés. Les yeux fixés sur ce plafond céleste, il observe les étoiles tomber, puis il s'arrête, au bord.
Le tintamarre de la ville vient alors lui taper les tympans, martelant son crâne. Un flot de souvenir s'y déverse. Les relents d'éclat brumeux qu'exhale la ville endormie se reflètent dans ses pupilles, et les brûlent. Alors il ferme les yeux.


Première Pièce.
S'étirant comme un fauve sous ce même ciel à l'aube, elle grondait sourdement. Vibrant, ce râle caverneux marqua son réveil matinal qu'elle finit en s'ébrouant dans un nuage d'échappement grisâtre. De glace, c'était son être tout entier qui s'effarait aux aléas de temps et de la vie, elle, ses abords ne bronchaient pas, cernés par les eaux et les montagnes. Justement, de là, deux yeux humains la toisaient, et leur petit corps si frêle la supplantait. Elle étouffa un souffle de rire entre ses alcôves, car ici se tenait Bergen, cité phare du royaume Norvégien.

Des lèvres s'entrouvrirent, deux yeux s'écarquillèrent d'horreur, un cri d'épouvante s'échappa de la gorge de la mère de l'enfant. « Charleston ! Pour l'amour du ciel descend de là ! »
Ainsi réveillé par les cris de sa mère et des voisins certes accoutumés à la situation, le concerné releva une paupière. Allongé sur le toit de sa maison, un bras passé derrière la nuque, et sans but de descendre aucun, il croisa les jambes. Il était bien ici, le corps perdu dans les atmosphères de la ville, le cœur bercé par le vent glacial et salé.
« Charles s'il te plaît, descend, tu vas te tuer. » Le ton d'Astrid avait été plus doux, ses yeux caressant étaient levés sur lui et lui intimaient avec fermeté et tendresse de venir la rejoindre. Le jeune garçon soupira, du haut de ses huit ans il rêvait de liberté, mais n'avait jamais osé vraiment désobéir à sa mère par peur de la blesser ou la rendre malheureuse. Sa relation avec elle était presque fusionnelle, bien qu'elle soit quelque temps trop étouffante. Il se laissa rouler, dégringoler le long de la toiture en pente, avant de s'accrocher à la gouttière et atterrir lestement dans une flaque. Des bras chaleureux l'entourèrent et l’entraînèrent chez lui.

Ici, il se sentait bien, son cœur était dans la paix dont chaque enfant est tacitement en recherche. Sa mère et ses amis comblaient aisément le vide laissé par son père quelques années plus tôt. Ses amis, son club des 5 à lui, la bande où il trouvait sa place. Bien que jeunes, ils étaient liés par des liens forts et solides. Il voyaient en eux ses frères et sœurs, des engueulades et des fous-rires avec la famille qu'il n'a jamais eu. Ses meilleurs amis, la bande avec qui faire les 400 coups. C'est avec eux qu'il partit à la conquête du monde, avec eux qu'il se retrouva en punition, avec eux qu'il courut les rues de Bergen, une passoire en guise de casque, un balais comme épée, une bassine pour bouclier et son imagination pour fidèle destrier.


Seconde Pièce.
Ce qui devait arriver arriva. Sur le chemin de l'âge, les divergences apparurent et les rapports changèrent entre lui et certains de ses amis. Certains se sont éloignés et d'autres s'étaient accaparés une part de son cœur. Parmi ces derniers, Brunehilde. De ses yeux malicieux et son esprit d'aventurier, la brave et charmante Brunehilde avait prit la place la plus importante. Plus jeunes ils étaient comme des rivaux se lançant ses défis à chaque occasions... le premier qui rit à perdu, le premier qui arrive là-haut à gagné, le premier qui tombe à l'eau à perdu, le premier qui touche le ciel à gagné. Puis des années plus tard, entre deux éclat de rires et un sourire taquin ; « Le premier qui tombe amoureux à perdu ! » Aussitôt, le pauvre Charleston perdis.

Les années passèrent. Le temps avait révélé ses facilités en sciences et langues étrangères, il avait ainsi pu enjamber quelques années de cours jugées « vaines ». On commençait alors à placer bon espoir en lui, en son cerveau plus précisément. Dès lors débutait une lutte entre Charles et la pression du monde. Ce fut dans cette ambiance terne et amère que naquit sa fille. Contre toute attente, Brunehilde avait enfanté, voici un nouvel être, de lui. Il resta positif. Bien sûr, un enfant de la femme qu'il aimait ne pouvait que le rendre heureux, seulement, après la béatitude, l’inquiétude reprenait ses droit. A seize ans que pouvait-il faire ? Astrid lui interdisait formellement d'abandonner sa vie pour son enfant, à croire qu'elle n'avait jamais entendu parler de l'hôpital qui se fout de la charité. Lui était prêt à le faire, si seulement il pouvait être doué pour autre chose qu'étudier. Pour le moment il n'était pas capable d'offrir à Brunehilde et sa fille une vie décente. C'est pourquoi elles s'en allèrent.


Dernière Pièce.
A vrai dire, son avis n'avait pas été réellement sollicité. Charles s'est vu être ballotté d'un côté un l'autre, comme une méduse au beau milieu des vagues. Ses rapport avec Brunehilde s'aggravèrent et empiétèrent sur ceux qu'il avait avec sa mère. L'une l'accusait de ne pas aimer leur fille, l'autre de cracher sur les efforts qu'elle avait fait. Tous les jours, tous les soirs, il n'en dormait plus. Pour lui, la seule échappatoire à cette situation angoissante n'était autre qu'étudier. Il contournait le chemin qui le mènerait à se perdre parmi les cris de sa fille et de sa copine, il choisissait la bibliothèque. Tout ce qu'il désirait n'était que de pouvoir se concentrer suffisamment sur les problèmes d'algèbre afin d'oublier ce qu'il cherchait à fuir. Comme un nuage menaçant au dessus d'un embrun asphyxiant, le malheureux se vit offrir une opportunité de celles qui ne se représentent pas deux fois. Le dilemme se fit plus pressant. Tiraillé de tous côtés, ce fut finalement Brunehilde qui choisit pour lui.
Il rentra chez lui, tard. Les valises avaient été faîtes, déposées dans l'entrée. A peine les avait-il aperçus qu'il avait deviné le scénario qui suivrait. Mais savoir ne sauvait rien, il courut dans la chambre de sa fille. Corps perdu et cœur battant. Il était prêt à lancer milles et une promesses. Prêt à se mettre dans ces mêmes situations qu'il fuyait. Prêt à tout pour qu'elles restent prêt de lui. Il tomba à genoux sur le pas de la porte.
« Écoute Charles... »
Elle lui expliqua mieux que n'importe quelle démonstration pourquoi elle partait, avec qui elle partait. Il était gentil paraît-il, ils se sont rencontrés dans le port, il a un travail, il est gentil, compréhensif, attentionné, lui. Il était parfait pour elle, parfait pour sa fille. Alors elles partaient. Et lui ?
« Tu dis au revoir à papa chérie ? »
Il esquissa un sourire terne, et détourna le regard.
Une effroyable sensation accabla son cœur, l'émotion des adieux désespérés, la morsure de l'abandon déchirant son être.


Parmi les étoiles citadines de la ville, une lueur ardente consumant le tabac dans un doux craquement. Il crache des volutes de fumée blanchâtres, des voiles immaculés pour la nuit souveraine. Le temps  s'est évadé, il est maintenant si loin. Insaisissable. Comme tenter d'attraper l'horizon. Il soupire et passe une main désinvolte dans ses cheveux, achevant le deuil de sa vie passé. Après tout, il est bien ici, à Marple Spring.