Le bourdonnement de ses oreilles se répandit dans tout son crâne. Ses yeux n'affichaient pas la pénombre mais ses mains, figées, sur les câbles du camion. Pourtant, il n'était plus entrain de s'occuper du moteur. Non, il se sentait allongé sur le sol, le bras tordu derrière son dos, son autre main écrasée, sa tête renversée, ses jambes pliées contre des pierres. Pourtant il se voyait, attraper les câbles, prêt à rajouter un peu d'huile et à changer un joins. Les vibrations des alentours lui arrivaient de manière lointaine et effacée, comme si tout se passait dans sa poitrine. Son cœur battait tellement fort qu'il eu soudainement peur qu'il ne s’échappe de sa poitrine. Il revivait la réparation du camion en boucle jusqu'à ce qu'il se rende compte que ses paupières étaient fermées. Il voulu les ouvrir. Elles étaient tellement lourdes. Incroyablement lourdes. Un faisceau de lumière inonda sa vision et brouilla l'image des câble et du moteur. Le bourdonnement se mit par être accompagné d'un sifflement aigu... Ou était-ce là depuis le début ? Aucune idée.

Le soleil était juste au dessus de sa tête mais un frisson glacé se répandait dans tout ses membres. Il avait l'impression dérangeante que ses mains avaient atteint une taille énorme et allaient explosés. Ses jambes tremblaient sous la pression et il réalisa qu'il venait de se pisser dessus. Une panique primaire s'empara alors de son esprit. Comme un animal surpris, il voulu chercher une issue, un endroit où se réfugier, le temps de reprendre ses esprits. Son nom ? Son histoire ? Aucune idée. Il était un corps blessé qui cherchait à remédier à sa peine. La douleur devait être trop intense pour qu'il sente quoi que ce soit. Ses mains semblaient doubler de volume à chaque seconde et il tenta d'agiter les doigts pour faire disparaître cette étrange sensation. Son cœur continuait de tambouriner, sa respiration se fit plus rapide, comme un noyé cherchant à attraper l'air qui, pourtant, ne manquait pas. Le sable recouvrait son visage, le grattait, lui rentrait dans les yeux qu'il venait d'ouvrir. Le goût âcre de la pierre et du kérosène vint baigner à ses lèvres. Ce cocktail d'odeur et de saveurs le réveilla un peu mieux.

Il voyait à présent. Allongé, immobile, il sentit, aux vibrations du sol, que tout bougeait autour. Le camion qui devait les emmener à la frontière avec le Pakistan ? Il ne le voyait plus. Une roue se trouvait, un peu plus loin, gisant sur le côté, des signes de brûlure partout dessus. A présent, le sons commença à revenir, des bruits de mitraillettes, des cris, de femmes, d'hommes... Son cerveau sembla se rendre à peine compte de ce qui se passait. Où était-il ? Vers où devaient-ils aller ? L'identité d'Harley finit par lui revenir. Harley, 34ans, soldat pour les États-Unis d'Amérique. Le jour... Une terreur l'assailli soudainement quand il se retrouva incapable de se souvenir de la date. Des yeux il cherchait quelque chose, n'importe quoi, pour l'aider... Il voulu tourner la tête, pour voir d'où venaient les tirs, pour voir où étaient les autres, mais son corps refusait d'obéir. La lumière, le kérosène, le sable, les cris, les balles, le feu... Tout cela fut trop. Il referma les yeux. Encore les câbles, encore le moteur... Mais il y n'y avait pas que le moteur, n'est-ce pas ? Une panne... Ils avaient eu une panne au milieu d'un petit village. Ils s'étaient arrêtés. Les pannes étaient courantes dans le désert. Le lieutenant avait dit qu'il pouvait prendre son temps. Des femmes, des enfants, des vieillards... Des enfants...


Les yeux verts clairs, caractéristique d'une ethnie persécutée dans les environs. De loin, on pourrait croire que tout le monde se persécutait tout le temps dans ces pays-là. Sauf qu'il y en avait qui trinquaient plus que les autres. Les yeux verts. Et rouges. Elle avait pleuré. Non. Elle était ENTRAIN de pleurer. Normalement, du noir, du blanc et une troisième couche... Quoi ? Non non, ses idées se mélangeaient. Oui, ses habits étaient étranges. Les populations vivant dans le désert portaient trois couches de vêtements pour s'isoler de la chaleur. Du noir tout en dessous, du blanc, et une troisième couche... Mais le tout, très fin. Pourquoi ça lui revenait, tout d'un coup ?


Ses yeux se rouvrirent, quelqu'un avait parlé ?... Personne près de lui. Toujours le pneu au loin, qui brûlait... Harley comprit vite que ce n'était qu'un souvenir. La bombe... Le vent plein de sable avait balayé la tunique de la gamine, oui... Des câbles, des fils, alors que Harley réparait le moteur. Elle était passée juste à côté de lui. De l'adrénaline inonda son corps alors qu'une douleur sourde envahissait sa tête. Ses doigts frémirent. Il serra ses poings. Malgré un cou douloureux, il prit le risque de bouger la tête et d'entre-ouvrir les yeux. Il se figea. La gamine, elle était là, à côté de lui. Sa tête était renversée. Il ne voyait que ses cheveux et ses nattes mal nouées. Elle semblait paisible, sa tunique balayée par le vent. Il voyait ses épaules, immobiles. Il voulu tendre la main pour l'attraper, la tirer vers lui et la protéger alors que le son des balles se fit plus intense. Mais son bras ne répondit pas et une immense douleur lui répondit, lui arrachant un cris.

Une main, quelqu'un l’agrippe  par la poignée de son gilet tactique. Il se retrouve sur le dos, traîné sur le sol.




Le sol était solide, froid et glacial. Haletant, tentant de se débattre dans un combat imaginaire, Harley se fit récupérer par trois grands infirmiers de stature solide pour retourner à son lit. Il tremblait, se sentait extatique, diminué et paniqué. Son cœur battait trop fort dans sa poitrine et ça lui faisait mal. Ses mains tremblaient et bientôt, les infirmiers lui donnèrent une dose de calmant.


« N-n-n-n-non colo-lo-lonel, ç-ç-ç-ç-ça-a va-a tr-très bien... » Merde, il avait foiré. Il avait paniqué. Il se sentait stupide. Harley venait de bégayer à l'officier qui, d'un air contrit, lui souhaita un bon rétablissement avant de partir, les épaules basses et la mine abattue. Après la rééducation, et ses plus beaux efforts pour cacher ses crises, on venait lui annoncer qu'il était mit sur la liste des vétérans. Au ban pour le reste de sa vie, radié pour toujours du service de l'armée. Par une magie étrange, tous les blessés permanents du service de rééducation n'avaient qu'une envie : repartir. Harley ne savait pas pourquoi. Il était autant effrayé que désespéré à l'idée de repartir. Comme si il voulait retrouver, là bas, quelque chose qu'il avait perdu.