« Alors, cette journée ? » Lissandra eut cette petite moue embêtée comme si répondre à cette question était limite une corvée et moi, j’éclatai de rire. Je n’allais pas faire comme ces parents vexés qui désiraient absolument tout savoir de la journée de leurs enfants. J’avais seize ans, j’avais passé cet âge depuis très longtemps déjà. Toutefois, parce qu’il me fallait bien embêter la jeune femme quelque peu, cette phrase me semblait juste parfaite pour engager la discussion, idéale dans le contexte actuel, puisque je venais tout juste d’attendre Lissandra devant l’école. Nos parents et ses parents avaient prévu de manger ensemble ce soir, les deux familles ensemble, et du coup, on m’avait imposé d’aller prendre la demoiselle à l’école. Cela ne m’avait pas gêné, son école étant à côté de la mienne, d’autant plus que la connaissant depuis ce qui me semblait être toujours – enfin, depuis qu’elle était au monde – je m’entendais bien avec elle. C’était peut-être pour cela qu’elle ne sembla pas se gêner pour finalement répondre à ma question, même si celle-ci était destinée à la pure taquinerie à la base, en me disant :
« Ne m’en parle pas ! Les garçons sont tellement idiots dans ma classe ! » Surpris, mais plus qu’amusé de voir comment elle semblait confiance à ce sujet, je ne pus m’empêcher de demander :
« Ah bon ? » afin d’en savoir un peu plus. C’est là que j’appris :
« Trop ! Il y en a un qui a passé de la journée à manger de la colle ! Et un autre qui a demandé une autre fille en mariage avec une bague en papier mâché, c’est dégoûtant ! » « De quoi, la demande ? » « Non, le papier mâché ! » Ce fut plus fort que moi, je ris de nouveau. J’adorais l’entendre parler de la sorte, c’était si divertissant, surtout qu’elle semblait en avoir encore et toujours à dire sur le sujet. Attentif, je l’écoutai alors ajouter :
« C’est pas mignon du tout ! Sérieusement, si mon mec me demande en mariage avec du papier mâché, pas moyen que je dise oui ! » « Ça n’arrivera pas. » J’étais toujours dans la blague me concernant, mais ce que je venais de lui dire, je l’avais affirmé sur un ton plus sérieux, tellement que ses sourcils se froncèrent, et elle en vint à me dire :
« Comment tu peux en être si sûr ? « Parce que plus tard, c’est moi que tu vas épouser, et je n’aurai pas une bague en papier mâché. » Amicalement, elle me frappa sur le bras, me faisant comprendre que je n’étais qu’un idiot. Nullement vexé, je ris une dernière fois, et je passai tout naturellement ma main autour de ses épaules tandis que nous continuâmes notre chemin vers la maison de ses parents pour y passer la soirée.
---------- « Dawson, je suis enceinte. » La nouvelle tomba telle une bombe sur moi. Quand ma petite-amie m’avait dit qu’elle voulait me parler, qu’elle voulait que je rentre à la maison alors que c’était serré, puisque je n’avais qu’un jour de congé, jamais, au grand jamais, je ne m’étais attendu à une nouvelle de ce genre. À vrai dire, je ne savais pas à quoi j’aurais dû m’attendre. Les choses étaient un peu étranges entre nous ces derniers temps, et pour une fois, je pouvais clamer que ce n’était pas ma faute. À vingt-huit ans, j’avais finalement réussi à me faire une raison comme quoi je n’aurais pas Lissandra, devenue une jolie jeune femme épanouie qui n’avait pas besoin de moi, celle qu’elle considérait probablement comme son grand frère depuis sa naissance. Évidemment, mes sentiments avaient changé, mais j’avais fini, avec difficulté, à me faire une idée, et alors que je commençais à être heureux avec Alexys, celle-ci avait commencé à s’éloigner, sans que ce soit trop grave, et arrivait maintenant avec cette nouvelle. Il y avait de quoi être choqué et ne pas savoir comment réagir, non ? Et pourtant, Alexys ne semblait pas partager mon avis, puisqu’elle me pressa en lâchant un désespéré :
« S’il te plait, dis quelque chose… » « C’est génial ! » Pourquoi j’avais dit cela ? Parce que je pensais sincèrement que c’était la meilleure chose à faire. Après tout, pourquoi pas ? Nous étions tous les deux relativement matures, stables. Bien sûr, un enfant n’était pas dans mes plans immédiats, mais s’il arrivait maintenant – dans neuf mois, on s’entend – je savais que je serais prêt. Convaincu par ces mots d’encouragement à moi-même, je fis un large sourire, et je lâchai un juvénile
« On va être parents ! » et je m’approchai pour la prendre dans mes bras et l’embrasser, mais elle se recula instantanément, me laissant tout juste une seconde pour me rattraper et ne pas tomber face contre terre dans ma précipitation. Heureux, je devins soudainement inquiet, et ce fut mon tour de la presser en affirmant :
« Alex’, qu’est-ce qui se passe ? » Des larmes se formèrent sur ses joues, elle croisa les bras sur sa poitrine et tapa sur pied de nervosité, augmentant ainsi grandement mon inquiétude. Cependant, je ne dis rien, la laissa essuyer maladroitement un de ses yeux et dire, d’une voix brisée :
« Je… Je suis désolée… » « De quoi ? Merde, Alexys, ne tourne pas autour du pot ! » Je commençais quelque peu à m’emporter, je le reconnaissais, mais je ne savais faire autrement. Puis, ce fut à elle de hausser le ton, et de dire :
« Il n’est pas de toi ! » Cette seconde bombe tomba alors, mais elle fut pas mal plus douloureuse que la première, à un tel point qu’elle me fit tout à coup sentir petit, tout petit dans la pièce. Ma voix se brisa à son tour, puis je dis
« Qu… Quoi ? » « Pendant que tu étais parti dans l’Ouest… J’ai… Je suis sortie et j’ai trop bu et… » Je ne la laissai pas finir son propos. Je passai mes mains dans mes cheveux pour ne pas faire quelque chose que j’allais regretter. Je ne l’entendis même pas ajouter
« Tu sais, je connais Jackson depuis longtemps… Il a le droit de savoir qu’il est père… » « Ramasse tes affaires. » « Quoi ? » « Ramasse tes affaires. Quand je reviendrai, je ne veux plus te voir ici. » Sans lui laisser le temps de protester de quelconque façon, je sortis de la maison en claquant la porte, regardant ma voiture les larmes aux yeux, décidant à ce moment précis que plus jamais je ne pourrais avoir confiance en quelconque femme. Il était tout simplement impossible que je sois en mesure d’aimer quelqu’un d’autre. La seule à qui je m’étais ouvert m’avait laissée pour un autre, comme ça. Au moins, cela expliquait pourquoi elle avait été distante, et voilà pourquoi je ne m’étais pas montré plus indulgent. Je n’en avais pas envie, je n’avais plus envie de rien à ce moment précis.
---------- « Monsieur Reynolds, comment vous vous sentez par rapport au fait d’être blanchi sur cette affaire ? » Quelques flashs et murmures vinrent briser ce silence que j’avais installé dans cette conférence de presse, puis après un haussement d’épaules, je répondis :
« Soulagé, je suppose ? Mais j’ai toujours su que je n’avais rien fait, alors c’est un juste retour des choses. » J’avais prononcé ces mots sans aucune pointe d’arrogance, en toute sincérité, en tentant tant bien que mal de cacher mon exaspération. Je pensais que les salles de conférence, les journalistes, tout cela, c’était fini depuis un mois maintenant. Pourtant, je m’étais laissé convaincre de faire une dernière apparition, une toute dernière, histoire de mettre les choses au clair, et ne pas partir avec une « réputation souillée » comme mon agent me l’avait dit. Je me doutais bien que c’était parce qu’il voulait être payé une semaine de plus, mais je m’en moquais bien; il était au courant depuis longtemps d’à quoi s’attendre.
« Avez-vous reparlé à monsieur Gribbs depuis l’incident ? » « Non. Je crois que s’il a quelque chose à me dire, il saura me rejoindre, mais je considère que ce n’est pas à moi de faire les premiers pas. » J’avais tellement l’habitude de sortir ce genre de jolies phrases toutes bien préparées que cela me dégoûtait. Cependant, tout passa crème, encore une fois. En tout ça, ça passa mieux que si je lui avais dit que je m’en moquais, que la honte était sur lui maintenant et qu’en vérité, je ne pouvais que le remercier de m’avoir ouvert une porte de sortie. Ce n’était pas que j’exécrais ce sport que je pratiquais depuis presque dix ans maintenant au niveau professionnel, mais plutôt parce que j’avais maintenant l’occasion de faire autre chose de ma vie. Certes, se faire accuser à tort de se droguer pour une histoire d’hormones versées dans une bouteille d’eau avant un test d’urine, ce n’était pas la meilleure des alternatives, mais c’était mieux qu’une blessure ou bien autre chose. Plus encore, avec la découverte comme quoi je n’y étais pour rien, je pouvais sortir en douceur, en beauté, tandis que le blâme retombait en entier sur cet homme qui, en mon sens, n’aurait jamais mérité autant d’attention.
« Maintenant que votre suspension a été levée, comptez-vous reprendre l’entraînement bientôt ? » Cette fois-ci, pas de réaction répétée ou quoi que ce soit du genre; un large sourire fendit mes lèvres. Cette question, je l’attendais depuis que j’avais mis le pied dans cette pièce, et je n’hésitai pas une seconde à y répondre en affirmant :
« Non. Pour moi, le football professionnel se termine aujourd’hui. J’ai pris la décision de me retirer du sport. » Les murmures se transformèrent en exclamation. Tous les journalistes présents commencèrent à me bombarder de questions, mais puisque j’avais l’intention de mettre un terme ici et maintenant, je me levai, prononçai un dernier :
« Merci beaucoup. » avant de quitter la pièce, un poids en moins sur les épaules, prêt à entamer une nouvelle vie, celle que j’avais toujours voulue, heureux de pouvoir finalement me la permettre.