Je suis née dans le sang et la douleur. Si il était possible de garder des souvenirs de ses premiers instants sur terre, sans doute aurais je entendu les mots d'amour échangés entre mes parents, entre ma mère trop jeune et mon père trop amoureux. Blottie contre mon frère des mois durant, arrachée à lui dans l'urgence, le sang et les cavalcades des médecins. Autour de nous, on parlait accident et miracle, mais il n'y avait pour moi qu'une seule réalité : La main de Mathias dans la mienne, molle et bleutée, jusqu'à ce qu'un ange souffle sur ses lèvres et lui insuffle la vie. Cette main, je m'y suis agrippée à chaque coup dur qui s'est succédé dans notre courte vie. La mort de notre père, les os brisés en basculant dans les escaliers. La mort de notre mère, le coeur brisé en perdant l'amour de sa vie. L'âme en berne quand nous passions de foyer en famille d'accueil. Puis la délivrance de l'adoption. La chaleur d'une famille qui devient la notre et au creux de laquelle, enfin, nous découvrons le bonheur d'être installés. Ces parents qui n'étaient pas de notre sang, nous les avons aimés avec autant de dévotion que si ils nous avaient donnés la vie. Je me souviens encore de ces longues soirées que nous passions dans notre chambre, cachés sous nos draps, entrelacés jusque dans notre sommeil. Et de ce jour, ce fameux jour ou de rires en étreintes fraternelles, nos lèvres ont glissés et nous avons gouté au plaisir interdit de l'inceste. Quoi de plus naturel pourtant? Ton corps et mon corps sont issu de la même matrice. Tes mains ont cherchés les miennes et cette nuit là nous sommes devenus amants. Plus aucun secret l'un pour l'autre. Plus aucune pudeur. Tu es moi, je suis toi. Tu es l'amour de ma vie, Oh Mathias... Pourquoi personne ne veut comprendre?

Mais la ville est petite, les ragots vont bon train. On nous regarde, on nous juge, on nous méprise. C'est à l'âge de vingt ans que nous prenons la décision de fuir pour consommer notre amour loin des regards. L'extase d'avoir osé sauter le pas. La conduite, toute la nuit. Et comme dans un cruel cercle vicieux, c'est sur la route que soudain tout bascule. Le part brise est opaque sous les trombes d'eaux, ma tête dodeline, je sombre dans le sommeil quand le crissement des pneus me fait sursauter et qu'un choc assourdissant retentit. Une forme sombre heurte le parc choc et roule dans le fossé. Mathias sort de la voiture et revient un instant après, blanc comme un linge, et cette lueur dans ses yeux qui s'éteint... Oh mon frère...

Notre amour n'y resiste pas. Rien n'est assez fort pour combattre cette culpabilité, cette punition de dieu. Tu m'abandonnes du jour au lendemain et je reviens chez nous... Chez moi, le coeur brisé et l'âme morcelée. Je reprend ma vie dans ces murs qui autrefois abritaient nos amours. Je n'avance plus. Je stagne, je t'attends, je pleurs, je ne tente même pas de remonter la pente. Blottie dans mon chagrin et ma culpabilité, je tente de me racheter en prenant soin des autres. Oui mais... Oui mais, Mathias. Sans toi, comment oserais je espérer vivre?