17 Décembre 1995, Londres
Des cris. Des hurlements. Des larmes. Et la peur, omniprésente dans le bloc opératoire tandis qu'une future mère se faisait charcuter. Les médecins étaient pressés, autant dire qu'ils ne faisaient pas dans la dentelle. D'après la dernière échographie, le bébé avait le cordon ombilical enroulé autour du cou : s'ils n'agissaient pas rapidement, l'enfant allait mourir asphyxié. Après de longues minutes de découpages intempestifs, la consécration vînt enfin : les premiers cris de l'enfant.
-C'est une jolie petite fille madame Weaver -Je peux la voir ? Gémit timidement la jeune femme. Rapidement, la sage-femme approcha le bébé enrubanné dans des langes à sa mère tremblante.
-Bienvenue Jamie, murmura celle-ci. Puis elle regarda une inconnue emmener son enfant loin d'elle.
-Vous la verrez tout à l'heure, ajouta l'obstétricienne avant de quitter la salle. Le plus dur était fait.
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23 Juin 2004, Londres
Jamie-Lynn regardait le ciel étoilé sans savoir que penser. C'était la dernière nuit des étoiles filantes ce soir. Avec l'aide de son père, elle avait installé une nappe et des coussins dans le jardin pour profiter du spectacle. Son père, allongé dans l'herbe, lui répétait en souriant que sa grand-mère maternelle, morte deux semaine auparavant, était montée quelque part là-haut. Mais où ? C'était tellement grand le ciel, tellement vaste pour une enfant de neuf ans. Et puis, à quoi bon chercher de toute façon. Cela faisait bien longtemps que son mère avait arrêté de faire semblant, elle. Elle se décourageait, progressivement, se murant dans la solitude et la tristesse. La perte de sa mère l'avait profondément touchée.
-Dit maman ? -Oui Jamie ? Elle tourna pensivement sa tête vers la fillette, le regard éteint.
-Elle est où grand-mère ? La mère de la demoiselle leva alors les yeux vers le ciel, ne sachant que répondre. Elle regarda passer une étoile filante. Puis une deuxième quelques secondes plus tard. Après quoi, elle haussa les épaules et enfouie sa tête entre ses genoux sans plus rien dire. Son père l'a prit alors dans ses bras en souriant.
-Tu vois l'étoile tout la haut ? A gauche ? La demoiselle hésite quelques instants sans vraiment quoi répondre.
-Oui, je crois. -Et bien c'est elle ta grand-mère, répondit doucement son paternel. Cette réponse semble convenir à la jeune fille qui se blottit dans les bras de sa génitrice, les yeux pétillants d'étoiles. Oui, ils étaient heureux tous les trois.
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09 Septembre 2012, Londres
-Plus qu'un tour Weaver ! Dépêchez-vous ! Et plus vite que ça sinon vous m'en ferez encore deux autres. Jamie voulut répondre mais une violente quinte de toux la coupa dans son élan. Elle s'arrêta, la tête basse, les mains sur les genoux, tentant tant bien que mal de reprendre sa respiration. Peine perdue. Elle étouffait, littéralement ! Plus elle inspirait et moins elle avait l'impression d'avoir d'air dans les poumons, comme un ballon de baudruche percé qu'on tenterait en vain de regonfler. Et sa respiration était sifflante, si bruyante que l'on entendait qu'elle à travers tout le stade.
L'asthme est vraiment la pire des poisses, pensa intérieurement la jeune femme tout en essayant de recouvrer son souffle. Entre-temps, le professeur s'était rapproché d'elle. Il lui donna une grande tape dans la dos.
-Allez Weaver ! Sinon je vous préviens que je vous colle. La jeune fille hocha la tête, incapable de répondre, avant de se remettre à trottiner. Un pas après l'autre, elle avançait. Tout dans sa tête était brumeux et confus, chacune de ses respirations sifflante et angoissante. Elle ne pouvait plus avancer, plus respirer, et il lui semblait voir le paysage danser devant ses yeux. Elle fit encore un pas avant de s'effondrer sur la piste, le souffle coupé, la tête vide, plus capable de rien.
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10 Septembre 2012, Londres
Jamie se réveilla dans une chambre d'hôpital toute blanche, vide, angoissante. Le genre d'endroit qu'en temps normal, elle aurait fuit comme la peste.
-Jamie, mon cœur ! La jeune fille sursauta en entendant la voix tremblante de sa mère. Celle-ci déposa en baiser sur son front avant d'ajuster les couvertures sur le corps perfusé de sa fille unique.
-Ma puce, j'ai eu tellement peur pour toi. Comment tu te sent ? La demoiselle voulue se redresser mais elle se laissa choir aussitôt, les forces lui manquaient. Elle lança alors son sourire le plus convainquant à sa mère, pâle comme de la craie.
-Ça va, ça va. Ne t'en fait pas. -Ton école nous a appelé pour nous prévenir que tu avais fait un malaise en cours de sport et que tu étais à l'hôpital. Quelle bande d'abrutis ! Quand je pense qu'ils ont failli te laisser mourir étouffés parce que ces incapables n'arrivent pas à repérer une crise d'asthme. Jamie s'était enfoncée dans son oreiller, croulant sous les couvertes les yeux mi-clos. Elle essayait tant bien que mal de faire abstraction des jacassements de sa mère : elle la comprenait totalement, elle était inquiète pour sa fille, rien de plus normale. Mais la chose dont la jeune fille avait le plus besoin en ce moment, c'était de repos, et pas de blablatage.
-[...] On part pour Marple Spring après-demain. Jamie-Lynn se redressa dans un sursaut.
-Comment ? Elle étouffa une quinte de toux avant de regarder sa mère, hébétée.
-Le médecin nous a dit que tes crises allaient continuer, voir s'empirer. La seule chose à faire s'est de partir à la campagne. La jeune fille aurait voulu refuser, protester, se débattre. Mais elle n'en avait pas la force. Au lien de ça, elle a hocha la tête, prête à obéir. Elle se laissa retomber sur son lit mollement. Après tout, comme pour presque tout chose en somme, la décision ne lui appartenait pas.
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12 Février 2014, Marple Spring
-Jamie ?! Jamie?! La jeune femme leva les yeux au ciel avant de quitter son perchoir sur le rebord de la fenêtre. Elle ajusta jean noir trop large qui tombait sur ses hanches avant de dévaler les escaliers pour rejoindre ses parents dans l'entée. Ils revenaient tout juste d'une énième soirée de charité.
-Ah, tu es là ! Le visage de sa mère s'illumina en la voyant et elle déposa un baiser affectueux sur sa joue tandis que son mari déposait leurs vestes sur le portemanteau.
-Cette soirée étaient magnifique. La demoiselle hocha la tête tandis que sa voix intérieure ne pouvait s'empêcher de crier :
dépêchez-vous, que je puisse retourner lire ! Elle afficha son plus beau sourire avant d'accompagner sa génitrice jusqu'au salon pour qu'elle puisse s'affaler sur le canapé.
-Nous avons croisez un collège de ton père ce soir. La jeune fille haussa les sourcils.
-Tu aurais du venir, nous nous sommes follement amusés. Le père de Jamie, son journal à la main, s'installa confortablement sur son fauteuil sans plus prêter attention aux commérages de son épouse.
-Les McKinley ont un fils de ton âge, vous formeriez un magnifique couple tu sais. -Mam... Elle avait à peine commencé à répondre que son géniteur lui coupa la parole, abaissant son journal pour regarder la petite famille.
-Mais c'est une très bonne idée Anna ! J'en parlerais demain à mon collège et nous n'aurons qu'à organiser une rencontre. Ils s'entendront à merveille. Jamie acquiesça, se leva puis repartit s'enfermer dans sa chambre. Encore une nouvelle série d'ennuis en perspective pour elle.