« Je ne comprends pas pourquoi je suis ici… Je vais bien. Je n’ai rien à vous dire. Je sais que c’est mon père qui a insisté pour que je vous voie, je sais qu’il s’inquiète, mais je vais bien. Je n’ai vécu aucun traumatisme. C’était ma décision… J’ai quitté volontairement la maison, j’avais besoin d’espace et de respirer… C’est tout. Je peux partir maintenant ? » Amelia croisa ses bras sous sa poitrine et s’adossant davantage dans son siège. Son regard se posa sur la psychologue qui resta silencieuse quelques instants à observer la jeune femme devant lui. « Vous pouvez partir si vous en avez envie, mais vous savez que votre père vous attend dans la salle d’attente et qu’il va vous conseiller fortement de revenir. » Amelia grogna. La psy avait raison. Son père l’attendait et il allait refuser qu’elle sorte avant la fin de son heure de son consultation. Le désavantage d’avoir un père poule, mais surtout qui désirait contrôler sa vie… « Après nous ne sommes pas obligé de parler de cet événement. Nous pouvons parler d’autres choses… Comme de vous. Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? » Amelia cligna plusieurs fois des yeux avant d’hausser les épaules : « Rien… Je ne fais plus rien. Avant toute cette histoire, je faisais des études en droits… Je ne sais pas si je vais les reprendre. Je n’aime pas tellement ça. Je le faisais pour faire plaisir à mon père qui a espoir de me voir suivre ses traces. Je ne sais pas si j’ai envie… Je ne serai pas une bonne avocate. Avant, je travaillais au Leeloo’s Coffee comme emploi-étudiant, mais j’ai dû être virée à force de ne pas me présenter pendant plusieurs semaines. Ça ne me dérange pas. Même si l’équipe était cool, je ne me sentais pas tellement à ma place... » confia-t-elle d’une façon nonchalante. Elle avait seulement envie de rentrer chez elle et de ne plus jamais revenir ici. « Et comment ça se passait avec votre père avant votre… fugue ? » Amelia l’avait bien senti hésiter sur son dernier mot. Ce n’était pas une fugue. Tout le monde le savait, mais la brune continuait de le crier haut et fort. On l’accusait d’avoir reçu un lavage du cerveau. Était-ce le cas ? « Ça se passait généralement bien… » Pourquoi une jeune femme sans problème aurait quitté comme cela son domicile ? Pas de dispute, pas de froid qui aurait pu provoquer une fugue. « J’ai seulement eu besoin d’un peu d’espace, vous ne savez pas ce que c’est d’être moi et d’avoir mon père… Il est l’homme le plus gentil du monde, mais également trop protecteur. J’ai 24 ans et il me traite encore comme une gamine de 15 ans. Je n’ai aucune liberté, je dois passer mon temps sur mes études et je ne peux voir mes amis sans qu’il me le reproche… Il est rarement à la maison et pourtant il n’hésite pas à payer des hommes pour me surveiller et pour avoir un résumé de tous mes faits et gestes. Si ça ne lui plait pas, il m’appelle. Si je ne réponds pas, il rapplique. Je n’en pouvais plus. » dit-elle en roulant des yeux. Elle voulait seulement avoir un peu d’indépendance. Elle ne pouvait même pas penser à avoir son propre appartement. Jamais son père n’allait accepter. « Et votre mère ? Elle en pense quoi ? » L’américaine haussa un sourcil. Elle avait suivi la presse celle-là ou pas du tout ? Les journaux n’arrêtaient pas de dire qu’Amelia s’était rebellée, car elle n’avait pas eu la présence d’une mère dans sa vie. Ce qui était totalement faux. Certes, parfois, ça lui manquait. Elle s’amusait à imaginer sa vie avec sa vraie maman, mais ce n’était pas un manque. « Ma mère ? Je ne l’ai jamais connu. Elle est morte lorsque j’avais 4 ans. Je n’ai pas beaucoup de souvenirs d’elle, mon Papa n’a jamais voulu me raconter comment elle est décédée et il ne veut pas me parler d’elle… Il y a toujours eu que Riley et moi… Et cette connasse qui fait semblant d’être ma belle-mère, mais qui se fiche complètement de moi. Elle ne m’a jamais élevé. Je n’ai jamais existé. » La psychologue passa sa langue sur ses dents tout en fixant la jeune femme. Mal à l’aise, Amelia détourna le regard. Elle avait très peu souffert de la perte de sa maman. Elle était relativement jeune à l’époque et Riley avait su s’y prendre avec Amelia pour qu’elle ne souffre pas. Même s’il travaillait beaucoup et qu’il gérait un important cabinet d’avocats renommés, il avait toujours trouvé du temps pour sa petite fille. Amelia ne s’était pas sentie seule. Elle l’avait accompagné parfois au travail et depuis son enfance, elle se pensait passionner par le droit. « Et votre frère ? » La brunette poussa un profond soupir et croisa ses bras encore plus fermement pour montrer qu’elle était fermée à cette question. Elle avait perdu son grand-frère d’amour il y avait douze ans. Ce dernier avait été renversé par un motard qui ne l’avait jamais vu qui marchait sur le trottoir. Amelia avait peut-être fait son deuil, mais elle n’avait pas envie de parler de lui. Pas à une pure inconnue qui ne connaissait rien de son frère. Comprenant qu’elle ne dirait rien, la psy enchaîna : « Parlez-moi de votre cousine plutôt. » Elle fronça les sourcils : « Pourquoi ? Je ne vois pas ce qu’elle a affaire dans cette histoire. Elle n’était pas présente. » Ça commençait à l’énerver. Pourquoi elle voulait connaître tous les membres de sa famille ? Oui, Amelia était très proche de sa cousine. Elle était comme sa sœur, mais pourquoi sa psychologue voulait savoir ça ? Ça n’avait aucun rapport. « Et ce soir-là… ? Il y a eu des témoins de votre enlèvement. » Amelia sentit son cœur s’accélérer à ce souvenir. Elle n’était pas seule ce soir-là. Elle avait quitté l’école pour rejoindre une amie et sur la route du restaurant, une camionnette s’était arrêtée devant elle, Amelia s’était retrouvée avec un tissu sur la tête et elle avait été balancée dans la voiture. « C’était arrangé… » souffla-t-elle. Oui, elle mentait. Rien n’avait été planifié. On l’avait enlevé, elle avait vécu l’enfer… Pourquoi ? Elle avait servi d’objet pour un coup d’argent. Son père étant réputé pour être dans les plus riches de l’État, des hommes avaient enlevé sa petite fille pour lui demander une rançon salée. C’était une façon de faire une pierre deux coups et d’atteindre également la nièce du Sénateur. Dans la tête de ses ravisseurs, tout aurait dû se régler en moins de 24 heures, mais il a eu un imprévu. Riley n’avait pas l’argent nécessaire. Depuis quelques temps, il était en déficit, dans le rouge, à deux doigts de la faillite. L’enlèvement s’était prolongé. Quelques semaines… 4 ? 5 ? 6 semaines ? Elle n’avait pas pu compter. Elle avait passé plusieurs semaines enfermée dans une chambre, dans un coin paumé de Détroit en espérant que son père pourrait la sortir de là… Sauf que le temps faisant son œuvre, la jeune Amelia avait commencé à sympathiser avec l’homme chargé de la surveiller. Dans les premiers jours, il avait été très dur avec elle, mais il avait fini par s’adoucir. Ils passaient toutes leurs journées ensemble, donc aussi bien discuter un peu non ? Sous ses airs de gros dur, elle avait découvert un homme adorable, drôle et gentil comme tout… Le pauvre s’était retrouvé impliqué dans cette affaire, car il avait fait la bêtise d’emprunter de l’argent au chef du groupe afin de pouvoir payer les soins d’hôpital à sa petite sœur malade. Il était celui en bas de la pyramide qui allait se faire arrêter si le plan tournait mal… Tomber amoureuse de son kidnappeur…? Étrange n’est-ce pas ? Pourtant c’est ce qui s’était produit. Au bout de quelques temps, il la laissa partir ayant développé à son tour des sentiments pour la jeune femme. Depuis, Amelia n'a pas eu de nouvelles. Est-ce qu'il avait été tué par ses supérieurs ? Est-ce qu'il refusait de prendre contact avec elle par peur ? Elle ne savait pas et ça l'inquiète de plus en plus car elle pense constamment à lui. Cet homme est dans sa tête. « Qu'est-ce que vous avez besoin de savoir d'autre pour dire à mon père que la rencontre fut concluante ? Oui, je suis maintenant enfant unique, non, je n'en souffre plus, je suis remise de la mort de mon frère. Oui, j’aime ma cousine, j'ai eu une enfance heureuse, sans problème. Avant cette histoire, je n'étais personne. Ma vie n'avait rien de palpitante et de trépidante. Elle était ce qu'il y avait de plus normal. Aujourd'hui, tout a changé et ça va changer encore. Cette histoire m'a donné envie de vivre, de profiter de la vie, d'essayer des nouvelles choses et de vivre des sensations fortes. La petite étudiante parfaite, première de classe c'est fini. Je vais vivre à présent. » Et sur ces belles paroles, la brunette attrapa son sac à main et quitta le bureau de la psychologue vers, ce qu'elle espérait, une nouvelle liberté.