Je dirais que c’est le jour où j’ai quitté New York avec ma mère que ma vie merdique a commencé. Je n’ai pas à me plaindre non, mais je n’ai rien à envier non plus. J’aurais voulu rester avec mon père … non avec ma sœur. Je n’avais que 6 ans quand elle est née, mais j’ai senti direct que ça n’allait pas aller bien. Je n’étais pas le petit garçon le plus sage, j’étais même assez hyperactif étant gosse. Mais on l’est tous à un moment donné non ? C’est ce que je me suis dit quelques années plus tard vu comment je me suis calmé. Ce qui m’a aidé aussi, c’est les coups de ceintures de mon père et l’indifférence de ma mère. Je me suis donc mis à aimer ma petite sœur, à la chérir, alors qu’elle n’était pas plus haute que trois pommes. On jouait ensemble, je lui apprenais ce que je savais, elle était si éveillée pour son âge, et pourtant je n’ai pas pu aller bien loin. J’avais dix ans quand le divorce fut prononcé. J’étais trop jeune pour y assister, et il y eut garde partagée. Mais totalement partagée puisque ma mère décida de m’emmener avec elle à l’autre bout du pays. Dans une petite ville du Colorado du nom de Montrose. Bizarrement, je m’y suis senti extrêmement bien rapidement. Les petites villes, loin de New-York, loin de la violente population, voilà ce qui me convenait.

Mais ma mère s’étant remariée, elle me délaissa complètement. Déjà que je n’avais jamais compris pourquoi elle m’avait emmené avec elle … Certainement parce que j’étais déjà grand et qu’elle savait que je pouvais me débrouiller sans elle. Mais ma jolie Rosie, elle me manquait tellement et je m’inquiétais presque tous les jours pour elle. Je me disais qu’elle serait bien plus douce et que notre père n’aurait pas besoin de lever la main sur elle. C’est comme ça que je finissais par me rassurer. Mais jamais totalement. Mon beau-père n’était franchement pas mieux que mon vrai père. Non, avec ma mère ils formaient le couple de bon à rien. Je n’avais que douze ans quand j’ai compris comment la vie fonctionnait. Mes notes ont dégringolé, j’aurais pu travailler j’aurais du le faire. Ils passaient leur journée à fumer, à boire et moi je payais les factures quand on le pouvait. Non loin des montagnes les hivers étaient froid, terriblement froid et il m’est arrivé plusieurs nuits à dormir qu’avec une simple couette et une bouillote. Pauvre et sans chauffage. Alors je me suis mis à voler. Pourtant je savais très bien que ce n’était pas bien. Mais la pression de ma mère, la faim constante, je ne savais pas quoi faire d’autre.

Tout se passait bien, jusqu’à mes 15 ans. J’avais déjà des meilleures notes, des copains et les factures payées. Mais le vol à l’étalage était devenu un tic, une très mauvaise habitude. Forcément, je me suis fait choper par l’épicier. Ce n’était pas le type le plus commode, non, tellement qu’il m’enferma dans sa chambre froide pour me donner une leçon. Sauf que le froid ne me faisait plus rien. Je sentais seulement les engourdissements du froid, mais j’attendais, j’attendais qu’il vienne m’ouvrir. Jusqu’à ce que cette si jolie fille vint m’ouvrir. C’était la fille de l’épicier. On était dans la même école, mais on n’avait jamais eu l’occasion de se parler. Elle paraissait autant choquée qu’outrée. Elle s’excusa des tonnes de fois mais je ne l’entendais pas. J’étais clairement en hypothermie. Et j’ai fini par me sentir mal. Ma vision s’était troublée et je ne me suis souvenu de rien jusqu’à mon réveil à l’hôpital avec la jeune fille, main dans la mienne.

On s’était marié très jeunes. Fous amoureux. Son père ne m’aimait pas, je voyais bien qu’elle était triste. Et pourtant j’arrivais à la rendre heureuse. Encore aujourd’hui je me demande comment. J'avais fini par me ranger et même devenir policier. J'avais ça dans le sang. Dire qu'à cause de mon enfance je ne l'avais pas ressenti plus tôt. Je me rappelle de ce jour où elle est revenue en pleurs de chez son père. Elle me parla de sa petite sœur. Elle s’en allait avec sa mère. Je n’avais pas tout compris, mais je soupçonnais au père d’avoir levé la main sur elle aussi. Ma femme a toujours eu un caractère bien trempée et elle m’a assuré qu’il ne l’avait jamais touché. Je la croyais. Je ne l’avais jamais vu avec de marques particulières. Le bonheur s’était finalement installé, même si par moment je ressentais sa tristesse par rapport à cette petite sœur perdue. Je comprenais parfaitement ce qu’elle ressentait, sauf que pour ma part, je n’avais plus de contact. J’ai longtemps hésité à la retrouver. Encore aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi. J’avais peur, peur de l’histoire que j’allais découvrir.

Sauf que mon bonheur s’arrêta de façon nette et horrible. Elle était enceinte, j’étais comblé, j’avais à peine la trentaine. Mais l’accident de voiture fut fatal. Pour elle. Le pire dans tout ça ? J’étais au volant. Là, j’ai commencé à me dire que ma vie n’était pas seulement merdique, mais totalement inutile. Je suis resté bien plus longtemps que prévu à l’hôpital, mais dans la section mentale. Ma dépression fut grande. Je n’avais plus envie de vivre, je me laissais mourir. Si les infirmières n’avaient pas été là, je serais six pieds sous terre aujourd’hui. 5 ans que cette connerie dura. Grâce à l’une de mes séances, j’eus alors un déclic. Elle n’aurait pas voulu que je me laisse aller, je devais reprendre du poil de la bête et je devais rejoindre ma petite sœur. Ce ne fut pas bien compliqué pour la retrouver, même si elle s’était mariée depuis, pour moi qui avait réussi à devenir l'adjoint du shérif de ma bourgade. Même si elle s’était enfuie de la maison. Je m’en voulais. J’ai toujours su que ça n’allait pas avec notre père, et je n’ai jamais rien fait pour venir la sauver. Aujourd’hui, j’arrive à Marple Spring.

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