Tu sais cette sensation étrange que l'on ressent au fond du ventre lorsqu'un vide dans notre vie est présent ? Eh bien moi, c'est comme si elle était remontée jusque dans ma gorge, avait semé quelques parcelles de ce trouble qui avait envahi ma bouche, puis était remontée se lover dans mon cerveau afin de le coloniser. Ce vide qui avait brûlé ma tristesse, pour ne laisser percevoir qu'une infinie colère contre le monde entier...

Le phénomène s'est déclaré il y a six ans maintenant. Lorsqu'à l'aube de mes onze ans, ma mère, se fit emportée par le cancer. Et alors que le reste de ma famille s'effondrait en larmes, je n'ai pas bougé, remué un sourcil ou je n'sais quoi. Je suis juste restée statique, dans le couloir de l'hôpital. Et j'ai regardé le cadavre de ma mère par la fenêtre de sa chambre côté couloir. Mon père a serré ma main, j'ai juste fait de même, mais je n'ai pas bronché. Comme si la mort n'avait pas d'impact sur moi, ou comme si la tristesse glissait sur ma peau. Papa tenta de garder la face, tandis que je continuais de vivre comme si de rien était. Comme si elle n'avait jamais réellement existé. Mon indifférence était telle, que mon père s'était demandé si j'avais réellement compris la situation, si je réalisais qu'elle ne reviendrait jamais. Pour toute réponse, je lui ai esquissé un sourire, le genre de sourire qui veut dire mais oui, qu'est-ce que tu crois ? Et c'est de ce sourire, qu'avait naquit la rage. Papa s'est convainc alors qu'il ne s'agissait là que d'une phase, le contre coup, que d'ici peu, tout sera revenu à la normale, que je redeviendrais sa princesse si gentille et sage. Bien trop tôt, il avait retrouvé le sourire, épousant une femme qu'il connaissait déjà d'un temps qui pour moi était reculé. Mais il n'avait pas vu venir le poteau rose, le fameux fil rouge de la destinée, car dès l'instant où il officialisa son bonheur, la princesse Fay s'évapora comme le souvenir de ma mère, lorsque de sa bouche, sorti le oui fatidique. Le oui qui fit exploser les dernières bribes de ma patience et de mon indifférence...

... Et cette douleur, cette explosion au fond de toi qui t'oblige à perdre face ? Lorsque tout te semble perdu et que ta colère est telle que tu as envie de tout briser. Lorsque tu aurais préféré mourir plutôt que d'avoir vécu ce que tu as vécu. Et qu'à cet instant, tu te sens aussi minable que le pire des vauriens, que tu te sens mort à l'intérieur...

Enfermée dans ma chambre, instant post mariage, les larmes surgissent de nulle part. Perlant sur mes joues, s'écrasant au sol, le cerveau en ébullition, de mes mains j'agrippe tout. Sur les murs, la décoration dégringole, les outils de bureau volent, ma bibliothèque renversée, déverse son contenu sur le tapi blanc. C'est la colère qui domine, je retiens des râles de douleur frénétiques au fin fond de ma gorge. Je m'écroule sur le sol, arrache ma robe que de toute façon, je n'avais jamais eu envie de porter. C'est comme si tout s'effondrait, d'un coup. Une crevasse qui s'élargit sous mes pieds, jusqu'à se dérober à moi, et je tombe, je tombe dans le vide infernal d'un avenir incertain. Et je grandis, dans cette tornade dont je peux sortir. Dont je ne veux pas sortir. Et me voilà à quinze ans, séchant les cours en passant par un trou dans le grillage, je goûte à l'alcool pour la première fois, ça me brûle la gorge, ça endort mon cerveau, je m'engourdis, je ne pense plus à elle, je ne pense plus à lui, je ne pense plus à rien, si, à une chose, ce mal de tête intense, cette envie de vomir si peu indulgente. Et la cigarette, artifice étouffant, mauvais pour la santé, à l'odeur si particulière qui s'incruste partout, impossible à cacher. C'est bien, ça énerve les parents, ça fout des tensions. Vois papa, vois comment j'évolue. Vois comment j'ai perdu espoir et vois comment je souffre. A travers mes vices et à travers mes actes envers celle qui pris la place de maman... Mais toi, tu ne vois que méchanceté, tu ne vois que vengeance. Et moi je souffre. Et tu ne le vois même pas.

... Et, et puis t'as l'impression d'être invisible. Comme si tout te passait au dessus. Que t'as l'impression que tout le monde s'en fou, que t'es tellement au fond du gouffre que tu n'as pas les mots. Que tu veux t'exprimer mais que t'as l'impression que quelqu'un te serre la gorge, jusqu'à t'étrangler, que tu ne peux même plus pleurer...

Dix sept ans déjà. C'est étrange comme le temps passe. J'ai presque tout oublier de maman, mais ma douleur n'a fait que s'agrandir. Comme si j'avais peur. Peur de ne plus du tout la connaître, de ne plus savoir d'où je viens, à qui je ressemble. Je ne suis plus que l'ombre de moi même, une sale gamine, dont le sac à dos est rempli d'alcool et d'herbe, sale gamine qui, tard dans la nuit, sillonne les rues de Marple Spring pour rentrer chez moi, perchée sur une planche à roulette, les bras tendu sur les côtés, comme si je volais, espérant être libre, la clope pincée entre les lèvres. C'est triste n'est-ce pas, ce que la vie a fait de moi. Je rentre enfin, dans cette maison où je n'ai pas l'impression d'être chez moi. Et ils m'attendent, eux, le couple heureux, dont la vie est belle, et dont l'un, a oublié la souffrance. Moi je n'oublis pas, je n'oublie pas pour lui, je n'oublie pas pour moi, je n'oublie pas pour maman. "On s'inquiétait" Je ne dis rien. Je repasse en boucle les paroles autoritaires de mon père. On s'inquiétait. Je pose mon regard sur Trish, retroussant le nez et fronçant les sourcils, dégoûtée. On s'inquiétait. Oui, toi, tu dois t'inquiéter, elle ne peut pas, elle n'a pas le droit. Elle n'est rien, rien qu'une poussière dans le cosmos, une infime particule dans l'univers. La regarder me fait mal. La regarder aux côtés de mon père me fait mal. "Ah ouais ? Ben allez vous faire foutre tout les deux. Et surtout toi d'ailleurs." Le doigt pointé vers mon père, je renifle. Il est blessé, tant mieux. Mais il ne comprend pas, jamais. Il ne sait pas. Il ne répond pas, il s'en va, il n'a plus rien à dire, comme d'habitude. Je le déçois, je le sais bien, et d'un côté, je m'en fou, je me fous de tout ça, de ce qu'il peut penser de moi tant qu'il morfle autant que j'ai morflé. Peut-être qu'il comprendra. Elle, elle est restée. Et je la regarde, elle, bien heureuse dans son cocon, mais elle n'est rien, elle n'a rien. Elle est un monstre. Dont-il est l'esclave. Comment a t-il pu ? Comment a t-il osé ? Je le déteste, je la déteste aussi, mais plus que tout, je les déteste eux, je les déteste ensemble, pendant que maman pourrie sous Terre, sans que depuis son enterrement, il n'ait parlé une seule fois d'elle. Le goût acide du mépris reprend alors le dessus, et je m'avance, respirant un grand coup, avant de cracher aux pieds de Trish. "Tu ne la remplaceras jamais. T'es juste une vieille meuf qu'a profité d'un gros  con quand il avait besoin de soutient c'est tout. Crois pas qu'il t'aime, il a juste besoin d'se vider les couilles."

... Tu t'es déjà fait couler un bain, t'être mis dedans jusqu'à immergé ton visage ? As-tu déjà ouvert les yeux sous cet habitacle éphémère ? As-tu déjà entendu gronder, au fond de toi, les battements de ton coeur ? Te demandant si tu devais rester là, ou ressurgir des profondeurs obscures...

Adossée contre la porte de la salle de bain, face à la baignoire, un gant entre les mains, je retiens mes larmes, mes gémissements, ce cuter que je tien en main, une larme de sang scintillant à la lumière du plafonnier, cette nouvelle coupure à la naissance du sain. En dessous, pour plus d'intimité. Pour plus de secrets. Je me déteste. Je déteste ce destin qui m'a enlevé ma mère trop vite. Je le déteste lui, surtout, de n'avoir pensé qu'à lui. Enlevant mes vêtements, faisant couler l'eau brûlante, je la laisse danser sur mon corps et en parcourir les moindres recoins, la douleur sous mon sein, je laisse les larmes couler, invisibles.

... Et maintenant ? Et maintenant je n'sais plus. Je n'ai jamais su.