Ça fait quelques semaines que Joyce dort au Melly's Hotel. À chaque fois qu'elle veut sortir, le courage l'abandonne. Comme si elle avait une fuite tout au fond de la baignoire, que ses priorités et ses certitudes s'envolaient. Elle ne peut pas se pointer comme une fleur et lancer : « Salut, Vijayan, tu te souviens de moi ? Tu m'as fait un gosse ! »
Elle veut juste qu'il soit au courant, que son enfant ait une figure paternelle à laquelle se raccrocher, même si il ne veut pas de lui. Joyce est bien trop gentille pour abandonner le bébé à la naissance. Elle le gardera parce qu'elle en a décidé ainsi, même si elle n'a pas les moyens de s'en occuper. Elle peut essayer de lui donner une vie alors qu'il n'est qu'un accident.
Sauf que si elle continue ainsi, elle est partie pour aller voir le père dix ans après la naissance... Elle n'est pas ici pour rien, il faut qu'elle lui parle. Elle s'est renseignée sur son adresse, se souvenant de son nom par bonheur. La seule chose qu'elle se souvient de lui, d'ailleurs. Le reste est confus ; le nombre de nuits qu'elle a passé avec lui, par exemple.
Elle espère ne pas se tromper en allant le voir, ne pas le découvrir au milieu d'une grande famille. C'est en tremblant qu'elle prend son sac à main, caresse doucement son ventre qui commence à s'arrondir et sort de sa chambre d'hôtel, rangeant ses clés dans sa poche.
Ce n'est qu'une fois dans la rue qu'elle recommence à douter. Mais c'est inutile de ressasser ce qu'il a pu se passer de toute façon. Il est trop tard pour faire demi-tour. Elle se prendra sans doute une gifle mentale, quelque chose dans le genre. Si elle savait.
Joyce décide de marcher jusqu'à destination, malgré la chaleur et la poussière des rues. Elle déteste l'été. En fait, elle déteste toutes les saisons, plus ou moins. Elle prend une grande inspiration et continue sa route, refusant de se laisser aller à la panique.
Elle a beau avoir envie de pleurer, de tout laisser tomber et de crever en silence, elle n'en fait rien. Elle peut y aller pour sa mère qui n'est plus là. Morte ou vivante ? Elle ne le saura jamais. Mais elle veut faire ça pour elle, avancer quoi qu'il arrive, parce qu'elle sait que c'est ce que sa génitrice aurait fait. Elle l'espère.
La jeune femme repère bientôt l'immeuble où vit Vijayan McKinley. Un petit coup de stress, mais elle entre et monte les escaliers jusqu'au bon étage. Là, elle ferme les yeux et prend une grande inspiration. Trouvant la bonne porte, elle frappe trois petits coups.
Et attend.

Spoiler:

Joyce n'a pas à attendre longtemps. La porte s'ouvre quelques secondes plus tard et elle découvre avec soulagement Vijayan planté derrière. Elle est certaine que c'est lui, elle s'en souvient assez pour le reconnaître.
Elle reste quelques temps figée sur le perron, comme si elle venait de se prendre une douche froide en pleine face. Elle ignore comment réagir ou répondre à la question. Doit-elle se montrer directe ou le cuisiner un peu ?
Elle préfère ne pas se pencher sur la question au risque de tomber définitivement dans la peur et de devoir fuir ce couloir, cet immeuble, cette vie. Elle prend quelques secondes pour rassembler ses pensées et se dit que la meilleure façon de commencer la discussion, ce serait de demander s'il s'agit bien de Vijayan. Non pas qu'elle en doute, mais elle tient à ce qu'il sache qu'elle le connaît. Au moins un peu. Et puis, il n'a pas l'air de la reconnaître et elle comprend pourquoi. Ça fait quatre mois, et il a dû coucher avec un bon nombre de filles depuis.
« Euh... Salut... Vijayan ? » Sa voix tremble et elle aimerait paraître plus sûre d'elle, seulement il lui est impossible de changer de comportement sans perdre la face.
Inspirer, expirer. Tout va bien se passer.
Inspirer, expirer. Espérons juste qu'il ne lui claque pas la porte au nez. (ça rime)
Joyce ne lui laisse pas le temps de réagir et reprend, complètement tendue : « Je viens parce que... parce qu'on s'est rencontré à Detroit il y a quelques mois.. »
Impossible de continuer. La jeune femme se compose un léger sourire gêné, attendant peut-être que Vijayan la laisse entrer, qu'il réagisse.
Elle a tellement envie de le planter là et de partir en courant. De faire confiance à son instinct et d'oublier tout ce qui s'est passé, parce que ça ferait trop mal.
Et Joyce elle en a assez de souffrir pour les autres. D'abord, un fœtus vient squatter son ventre. Dans son immense bonté, elle décide de le garder, alors si le père refuse d'assumer, elle lui coupe les couilles. Ou elle vient le hanter tous les jours de sa vie jusqu'à ce qu'il accepte de s'occuper du gosse.
Faut pas l'énerver Joyce. Même si pour le moment, elle ne comprend pas trop ce qui se passe.

Joyce qui stagne. Qui essaie de déceler les failles de Vijayan, de trouver ce qui semble si différent comparé à ses souvenirs. Il n'est pas comme avant, il n'est pas comme lors de leur rencontre. Elle se mord la lèvre, hésite. Est-ce qu'elle doit s'excuser et faire demi-tour, ou bien attendre qu'il la fasse entrer, qu'il la jette dehors ?
La réponse n'attend pas et lui fait l'effet d'une gifle. Violent. Chaotique. Il n'est pas Vijayan ? Mais qui est-il alors ? Est-ce qu'il se fout simplement de sa gueule ?
Joyce n'a même pas le temps de trouver une explication logique qu'il lui propose d'entrer. Ce qu'elle fait sans grand enthousiasme et par pur souci de politesse. Si elle avait eu le choix, si le futur bébé dans son ventre n'avait pas existé, elle serait partie en courant. Elle ne serait même pas venue a Marple.
Elle regarde le bordel dans le salon mais ne fait aucun commentaire. Une tanière de célibataire, elle en est certaine. Elle prend une grande inspiration et attend que le soi-disant Elijah revienne, un sourire aimable un peu forcé aux lèvres. Elle s'apprête à lui demander une bière puis se souvient de ce qui grandit en elle et change d'avis, un peu effrayée.
« Un jus de fruits ça ira, merci... »
Joyce entend des bruits dans la pièce d'à côté et doute une fois encore. Une conquête qui se réveille ? Le vrai Vijayan ? Elle est perdue, et n'ose pas le faire remarquer. De toute façon ça doit bien se lire sur son visage.
Elle pousse un léger soupir mais se fige en voyant entrer la copie exacte de celui qu'elle cherche. Joyce n'a pas l'impression de comprendre quelque chose a la situation, aussi garde-t-elle un air hagard. Elle met quelques secondes a reprendre ses esprits, jetant un coup d’œil a Elijah puis à l'autre, agacée. Elle n'aime pas qu'on joue avec ses nerfs.
« Oui, je suis Joyce. Est-ce que quelqu'un peut m'expliquer pourquoi vous êtes deux et de surcroît totalement identiques ? »
Elle est un peu étonnée que Vija se souvienne de son prénom étant donné qu'il devait être complètement ivre le fameux soir où il s'est invité dans son lit, mais elle ne s'en formalise pas. Elle n'arrive pas a réagir correctement à la situation. Il lui faut un temps d'adaptation, a Joyce. Et si elle s'était trompé de frère ?
Elle n'ose même pas y penser.

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