1983 La météo avait annoncé cette journée comme la plus rude de ce mois de février et elle ne s’était pas trompée. Dehors, la température avoisinait les -20°C, le vent était glacial et un épais manteau de neige paralysait la ville. Mais ce n’était pas le temps qui préoccupait Bao Huang. Le jeune médecin d’une petite trentaine d’années faisait les cent pas devant l’une des nombreuses chambres du Fairview Hospital de Cleveland. Derrière la porte de cette chambre, sa femme, Ling Huang, elle aussi trentenaire, dormait paisiblement, épuisée par les efforts qu’elle avait fourni un peu plus tôt dans la journée. Bao s’arrêta tout net à la vue du petit chariot qui s’approchait peu à peu de lui. son cœur battait plus vite et ses mains tremblaient un peu. Il avait attendu ça pendant neuf mois. Neuf interminablement longs mois. La sage femme qui poussait le chariot le stoppa juste devant lui et enfin, sa petite merveille était là. Et il était l'homme le plus heureux du monde.

1987 Ses petits sourcils sont froncés, la concentration est lisible sur son visage innocent. « Qu'est-ce qui vient après 'r' Tamzin ? » La petite regarde sa mère et se mord l'intérieure de la joue, incertaine. « 'S' ? » un air satisfait apparaît sur le visage de Ling et elle sourit un peu. « Tu vois quand tu veux... Maintenant tu vas jusqu'à la fin et on en aura fini avec l'alphabet. » Tamzin hoche la tête et termine de réciter son alphabet avec un large sourire sur la bouche parce qu'elle est fière d'elle-même mais surtout parce qu'elle va pouvoir enfin aller jouer.

1990 « Sous l’océan, sous l’océan… » Les mots sortent de sa bouche, aussi légers qu’un murmure. Ses jolies yeux marrons sont fixés sur l’écran de la télévision et ne ratent pas une miette de ce film qu’elle connait par cœur. Lorsque la chanson se termine, une petite moue apparaît sur son visage et c’est toujours sans quitter du regard la petite sirène qu’elle s’adresse à son père assis près d’elle. « Je veux être une sirène plus tard ! » Bao rit doucement, les yeux pleins d’amour et se penche un peu pour laisser un baiser sur son petit front. « Et tu serras la plus belle des sirènes mon cœur. » Le sourire qui se dessine sur ses lèvres d'enfant brille plus que tout au monde.

1995Tamzin est dans son lit. Ses yeux sont fermés mais de petites larmes s’en échappent encore. Ses deux mains sont pressées forts contre ses oreilles mais ça ne l’empêche pas d’entendre ce qu’il se passe dans le salon. D’entendre ses parents se disputer. c’est devenu une habitude. Tous les soirs c’est la même chose, ils se crient dessus, se déchirent et Tamzin reste dans le noir à pleurer toutes les larmes de son petit corps jusqu’à l’épuisement. Et ce soir ce n'est pas différent. Tamzin s'endort une nouvelle fois les joues humides, enterrée sous une montagne de couvertures sans savoir que bientôt, les disputes n'auront plus lieu d'être. Dans quelques temps, ses parents divorceront.

1999 Elle fait face à la grande baie vitrée du bureau de sa mère qui offre une jolie vue sur les buildings de New York City. Seul le bruit de sa mère entrain de taper sur son clavier couvre le silence. « Je veux aller vivre avec papa. » Le bruit s'arrête et Tamzin se tourne vers sa mère, qui la regarde un peu tristement. « Tu... Pourquoi ? Est-ce que j'ai fait quelque chose de mal ? » Tamzin s'avance vers sa mère en secouant la tête. « Non maman ! Bien sûr que non... » Ça ne semble pas pour autant soulager sa mère alors elle enchaîne. « C'est juste qu'ici, je ne me plais pas. C'est trop... Trop tout. » Sa mère hoche la tête, semblant comprendre ce que Tamzin n'arrive pas à expliquer. « Et tu penses que tu seras mieux à San Francisco ? » Tamzin hausse les épaules, incertaine de la réponse à cette question. « Ça pourra pas être pire qu'ici... Et puis, j'ai bien aimé être là-bas cet été ! » Sa mère acquiesce. « J'appellerai ton père pour lui en parler et ça ne devrait pas lui poser de problème. Mais je te préviens, si tes notes baissent, je te ferais revenir sur le champs ! » Un mois plus tard, Tamzin était à San Francisco et elle se sentait enfin un peu plus comme chez elle.

2005 Le campus de Stanford s'étend devant ses yeux et un large sourire illumine son visage. Tamzin est de retour chez elle et elle n'a qu'une envie, retrouver ses petites habitudes. « Pas trop nerveuse ? » Elle se tourne vers son petit-ami, son sourire ne la quitte pas. « Tu plaisantes ?! J'ai hâte ! » Il rit et la regarde avec tendresse. « Intello ! » Elle lui tire la langue et descend de la voiture pour commencer à décharger leurs affaires. Si ils se dépêchent, elle pourra aller faire un tour à la bibliothèque avant qu'elle ne ferme.

2009 « J'ai eu une proposition pour travailler en tant que professeur assistant... » Elle se tourne vers son fiancée, abandonnant sa lecture, et lui sourit. « C'est génial ! » Lui n'a pas l'air de cet avis et elle s'en rend compte immédiatement. « Pourquoi t'es pas content ? » Il passe une main dans ses cheveux, chose qu'il ne fait que lorsqu'il est nerveux. « C'est à l'université de Détroit... » Le sourire de Tamzin disparaît. « Oh... » « Comme tu dis... » Il passe une main sur son visage et Tamzin ne le quitte pas des yeux. « Je vais refuser. Je peux pas... » Elle se lève brusquement. « Non ! C'est ce que t'as toujours voulu faire, t'as pas le droit de refuser ! » « Et nous alors ? » Elle se rapproche de lui, pose une main sur sa joue. « On trouvera une solution. » Quelques mois plus tard, Tamzin trouve une place dans un cabinet d'avocats de Détroit et tout deux s'installent à Marple Spring.

2015 « Maître Huang ! » Tamzin s'arrête et se retourne, manquant de faire tomber les différents dossiers qu'elle tient dans ses bras. Elle lève les yeux au ciel quand elle voit son ex-fiancé s'approcher. « Professeur... »
Elle lui fait un petit clin d'oeil et il secoue la tête, un léger sourire aux lèvres. « Je voulais te présenter un nouveau professeur... » Elle remarque pour la première fois l'homme un peu gauche qui se tient à côté de son ami. Il lui sourit. « Je suis enchanté de vous rencontrer, il m'a tellement parlé de vous... » Elle lui sourit poliment avant de se retourner vers le wannabe-cupidon et de lui jeter un regard noir. « Je peux te parler deux minutes ? » Elle n'attend même pas sa réponse et le tire à l'écart. « Vraiment ? Encore ?! » Il s'apprête à répondre mais elle ne lui laisse pas le temps. « Combien de fois je vais devoir te dire d'arrêter de jouer les entremetteurs ?! Je suis pas intéressée ! » « Mais il est tout ce que tu aimes ! Cultivé, gentil, sérieux et en plus il est plutôt séduisant... » Elle arque un sourcil. « Il a l'air de te plaire, pourquoi tu sors pas avec ? » Il lève les yeux au ciel. « Je ne suis pas intéressée. » Ce sont les derniers mots qu'elle lui dit avant de rejoindre le nouveau professeur et de lui répéter exactement la même chose. Et puis elle reprend le cour de sa journée.