Je regarde une dernière fois la vue s'offrant à moi. New-York City. Je tire sur ma cigarette, soufflant la fumée au dehors, je m'appuie contre l'encadrement de la fenêtre. Cette ville c'est mon berceau. Je l'aime forcément, mais je crois que je la hais encore plus. Elle m'a tout donné mais m'a tout pris aussi, dans un sens.

J'ai pas eu l'enfance dorée de tous les petits new-yorkais. Non, moi, j'ai toujours habité dans le Bronx. Un quartier pas franchement frais. La drogue, la violence, la prostitution, les gangs, et tout ce genre de petites choses qui feraient fuir les bonnes gens. Moi j'suis née là-dedans. Dans ce rejeton de la société.
Mes parents étaient fauchés, on vivait dans un trois pièces grand comme mon dressing actuel, ma mère s'occupait de moi et mon père bossait dans le bâtiment. Enfin, jusqu'à ce qu'il tombe dans les merdes, la coke ça détruit un homme. C'est pour ça que j'vais pas plus loin que la fumette, généralement. Ma mère a demandé le divorce, j'avais 6 ans. Mais il est mort avant que la procédure commence. Overdose, fléau du pays. J'avais 7 ans. Du coup ma mère s'est trouvé un job. Elle faisait le ménage chez les bourges. Ça rapportait bien. Mais pas assez pour les dettes qu'avait laissé mon géniteur.

J'ai appris à me défendre très tôt. J'étais plutôt balèze pour une nana. J'ai même foutu un de mes potes les plus costaud au tapis. Ça m'a coûté quelques griffures mais j'ai réussi. Et j'en étais fière, ah ça ouais. Comme un coq. Par contre, j'avais pas réussi à me défendre de l'intérieur. A défendre ce pauvre petit organe vital qu'est le coeur. J'étais incapable de le protéger, honte à moi.
À dix-sept ans, j'ai rencontré un mec. Il avait vingt-deux ans. James. Un blanc. Il avait cet air un peu innocent, mais carrément sexy. J'suis tombée raide dingue de lui, comme la plupart des nanas remarque. Il était beau. On est devenus amis, puis on est sortis ensemble. L'heureuse élue c'était moi. Pour moi c'était le grand amour, le premier, le seul, l'unique. C'est avec lui que je voulais vivre, vieillir à ses côtés, avoir des drôles, un chien, une maison à la campagne... Quelle naïveté. Il disait m'aimer comme un dingue, ne vouloir que moi, et pourtant tous les dimanches soirs il se tapait une pute. Et quand je l'ai découvert et que je lui ai balancé toute ma haine en pleine face, il m'a foutu la raclée de ma vie. Il m'a giflée, il m'a bousculée, il m'a mise K.O. Honnêtement, je ressemblais plus à rien. Je veux même plus me rappeler ça. J'avais que vingt-et-un ans bordel. J'étais seule au monde. Ma mère venait de décéder des suites d'une maladie, et sans ce connard je n'étais simplement plus rien. Alors j'ai été faible. La pire faiblarde que j'ai connue. J'ai accepté ses excuses, et je me suis remise avec. Il m'avait promis de mètre fidèle, qu'il ne voulait pas me faire de mal, mais qu'il avait trop pris ce soir là, et qu'il n'avait pas su se contrôler.

Puis ça a recommencé. On se disputait. Beaucoup. Et puis ça a éclaté. Très fort. Une bombe. Impossible de l'éviter, il était juste temps d'admirer les dégâts. Ça faisait mal. Très mal. Là je l'ai quitté, définitivement. Avec les p'tits boulots et les heures supp, j'ai réussi à me payer cet appart, que je m'apprête à quitter pour une ville meilleure. Une vieille tante blindée dont j'avais pas connaissance est morte y a quelques mois. J'étais la seule descendante de la famille Brown, du côté de ma mère, alors j'ai hérité de tout ce fric et de tout ce que possédait cette femme dont j'ignorais encore l'existence y a quelques jours. J'suis décidée à oublier cette merde de vie. J'veux essayer de repartir de zéro, tu vois. Pas sûre que ça marche, mais t'façon j'ai pas le choix, alors l'avenir nous le dira.


Je tire une dernière fois sur ma clope, ne quittant toujours pas New-York des yeux. Mademoiselle Braxton ? Vos valises sont chargées. Je me retourne. Merci Simon. J'écrase puis jette mon mégot par la fenêtre, refermant celle-ci je me dirige vers mon chauffeur, à l'entrée de l'appartement, auquel je jette un dernier coup d'oeil. Il fait beaucoup plus grand, en étant vide. Je referme la porte et suis Simon jusqu'en bas de l'immeuble, grimpant dans la grosse voiture qui m'attend.

Adieu New-York, bonjour Marple Spring.