Ce matin-là, Andeana s’était réveillée en un sursaut quelques minutes avant la sonnerie de son réveil. Les idées embuées, le cerveau brouillé après une nuit agitée. Elle se souvient avoir cauchemardée mais ne plus en savoir la cause exacte. Quoi qu’il en soit, il fallait aller vite : le salon n’allait pas tourner comme par magie. Les gouttes d’eau chaude filent le long de ses courbes, délaissant son corps fin quelque peu ankylosé. Le soleil allait dominer la journée, elle a enfilé un croc top noir, dénudant légèrement son nombril avec un jean clair, épousant ses fines jambes. Une fois sortie de la salle de bain, elle pouvait constater que l’appartement était encore très calme à cette heure. Il est vrai que Santiago avait des horaires plus tardives avec son travail au Leeloo’s, il était tellement rare qu’elle le croise de si bonne heure. Sauf peut-être pour rejoindre sa propre chambre… Avant de partir, elle avait pris un petit-déjeuner rapide, ses écouteurs sur les oreilles. Pas de façon plus délicieuse que de se réveiller le matin. C’est donc remplie d’énergie qu’elle est finalement allée travailler.

L’institut était beaucoup fréquenté ces derniers temps. L’été est bien là, il faut se faire beau. Surtout que le soleil perce très souvent sur Marple Spring. Elle avait eu une journée plutôt chargée mais toujours dans un calme serein. C’était pour elle un bonheur de travail dans une atmosphère aussi détendu et relaxante, pour rien au monde elle ne laissera ce calme si particulier. Sur les coups de six heure, il faisait encore un temps radieux. Elle a donc décidé de s’installer à la terrasse du Tayla’s Teahouse. Avant, elle alla chercher un livre qui se trouvait au fond de la boutique. Confortablement installée, les jambes croisées, ses doigts manucurés ouvrent délicatement l’ouvrage. Derrière ses verres fumés, elle est absorbée par les mots, malgré le monde qui se trouve sur la terrasse. Le salon de thé avait une réputation maintenant, victime de son succès. Soudain, elle est dérangée par le serveur, qui lui demande sa commande. Levant légèrement son canotier de la tête, elle lui offre un joli sourire. Un thé blanc et un moelleux au chocolat, un bon réconfort après un maigre repas de midi. Elle mange peu, Andeana. Beaucoup la sermonne, mais pourquoi manger forcément quand il faudrait ? Puis avoir peu d’appétit n’est pas un crime. Quelques minutes plus tard, le serveur lui apporte sa commande avant de s’éloigner d’un pas pressé. Elle porte la porcelaine à ses lèvres. Ce délicat parfum d’agrumes lui monte dans les narines avant que le goût si unique fasse pétiller ses papilles. Le thé est sa boisson préférée, pas de doute.

Alors qu’elle a le regard perdu à l’horizon de sa tasse, une voix vient perturber ce moment de volupté. Il a fallu qu’elle lève les yeux. Le grain de la voix de cet homme ne lui est pas inconnu, il est même unique à ses oreilles. Bordel. Elle a failli laisser tomber la tasse qu’elle a entre ses doigts fins. Pas là, pas ici, pas maintenant, jamais. Il ne pouvait pas être là, juste non. Elle a une demi-seconde pour réagir mais rien. Le néant. Son cœur se serre brutalement. Elle ne pas fuir, c’est trop tard. Elle pose sa tasse, sa main légèrement tremblante avant d’enlever ses lunettes de soleil. Son souffle se fait plus court, avant de rencontrer le regard de la personne qui lui fait fasse. Jack. Son Jack. Enfin, non, plus vraiment le sien. L’italien qui a fait chavirer son cœur, son premier amour. Celui qu’elle a quitté alors qu’elle venait d’apprendre sa stérilité, sur un coup de tête sans réfléchir. Il est beau, toujours autant que dans ses souvenirs. Peut-être plus encore. Elle ne sait pas, ne sait plus. Andeana se tient assise face à lui, le regard capté par le sien, ne pouvant décrocher un seul mot. Pitoyable, voilà comment elle se sent à cet instant. S’enfuir en courant serait son souhait le plus cher. La catastrophe.

La jeune esthéticienne s’était levé aux aurores pour entamer une nouvelle journée de travail. Légèrement habillée, ce n’était pas de trop. Comme souvent en ce moment, le soleil brillait sur Marple Spring, elle savait qu’elle allait pouvoir en profiter une fois son travail terminé. C’est le cœur plutôt léger que la brune a quitté l’appartement, silencieux à cette heure matinale. C’est la folie, au salon. L’été, tout juste débuté, semble pousser les gens à se mettre sur leur trente-et-un, à se montrer sous leur meilleur jour. Comme l’apogée d’une année, un paroxysme là où tout est possible, où on se permet toutes les folies. Andeana souhaite que cela dure encore tout le long de la saison, juste avant qu’elle puisse aller en vacances, elle aura vraiment l’impression de les mériter. Il est maintenant six heures de l’après-midi, son canotier sur la tête et ses lunettes de soleil sur le nez, elle marche jusqu’au Tayla’s Teahouse. Ces ruelles qu’elle emprunte pour s’y rendre sont maintenant devenues une habitude, un rituel avant de reprendre le chemin de chez elle. Pour rien au monde elle se priverait du plaisir de goûter au meilleur thé de la ville. Avant de s’installer à la terrasse déjà bien remplie, elle est allée chercher un livre au fond du salon. Installée confortablement, la tasse fumante entre ses mains, elle savoure le moment, faisant véritablement abstraction de ce qu’il se passe autour d’elle. Jamais Andeana n’aurait pu anticiper ce qu’il allait se passer l’instant d’après, celui qui allait changer beaucoup de choses.

Une voix prononce son prénom, l’interpellant alors. Et quelle voix, il a fallu qu’une seule seconde à Andeana pour reconnaître ce grain de voix. Elle a levé les yeux, puis il était là. Jack. Elle avait doucement posé sa tasse sur la coupelle, presque tremblante. Sa respiration s’accélère progressivement. Son regard est capté par les pupilles claires de l’italien, son premier amour. Pas un mot ne peut filer entre les lèvres de l’américaine, bien trop tétanisée pour faire quoi que soit. L’envie viscérale qui la submerge dans un premier temps est la fuite. Jack n’a sûrement pas envie de la voir après ce qu’il s’est passé il y a maintenant des années. Lui croit toujours qu’elle l’a quitté à cause de la distance, autrement dit, une excuse bidon au premier abord. S’enfuir, et au galop. Pourtant, rien ne se passe. Jack est le premier à réagir, et elle était loin de penser qu’il allait fondre en larmes. Ce qu’elle voit devant ses yeux sombres la bouleverse profondément. Il lui faut livrer une lutte acharnée et sans relâche pour ne pas laisser couler les larmes qui lui monte subitement. Les yeux brillants, elle se pince doucement les lèvres, manquant de craquer devant son ex. « Tu… ça fait plaisir de te revoir ! » Ces mots, d’une banalité presque absurde face à la situation, vient fendre le silence gênant qui s’était installé entre les deux personnes. Le cœur d’Andeana, difficilement consolidé, vient se briser en mille morceaux, elle ressent alors une lancinante douleur dans la poitrine. Il n’a pas l’air d’être sarcastique, n’a pas l’air de s’énerver. Juste d’être anéanti subitement. « Ne reste pas debout, je t’en prie. » dit-elle alors que sa voix se casse, avant de désigner la chaise qui lui fait face. Ce sont les seuls mots intelligibles qu’elle arrive à prononcer. Il prend place en face d’elle. Andeana se redresse soudainement, comme tendue par la présence de Jack. Elle fixe maintenant ses ongles manucurés, posés sur ses cuisses. C’est véritablement maintenant qu’elle se rend compte qu’elle n’est pas en train de rêver, qu’il est bien là, partageant le même air qu’elle, le même espace vital. D’ailleurs, une stimulante odeur lui parvient. Une délicate odeur boisée, très masculine. Elle ferme les yeux sous cette senteur. Dieu merci, il n’a pas changé de parfum. Cette odeur entêtante qu’elle aimait tant à l’époque, celle où elle pouvait encore la respirer au creux de sa clavicule. Il est pourtant bien révolu, ce temps où tout paraissait si léger. Elle ouvre de nouveau les yeux, consciente qu’une nouvelle fois, le silence prend des proportions trop étouffantes. « Qu’est-ce que tu fais à Marple Spring, Jack ? » dit-elle, d’un ton qu’elle ne se voulait pas cassant mais c’est autre chose qui parle en elle à cet instant. Le mur qu’elle s’est érigé depuis qu’elle a appris sa stérilité. Ce mur qui l’empêche de pouvoir laisser son cœur s’emballer quand des sentiments amoureux pointent le bout de leur nez. Parce que, oui, jamais elle n’a pu oublier Jack. Même pas après les différentes relations brèves qu’elle a pu avoir avec des hommes. Là, elle tient à tenir Jack loin d’elle, loin du poison qu’elle peut représenter pour un homme qui compte fonder une famille. Sûrement le cas Jack à long terme, il ne sera jamais heureux avec elle. Andeana en a la profonde certitude.