Alessandra & Fallon

And you were strong and I was not

La nuit était tombée depuis bien longtemps déjà quand Fallon quittait enfin le travail. Enfin, si se déshabiller était considéré comme un travail. Elle était plutôt considérée comme un objet, là-bas, et après tout, être un objet était très certainement la chose qu’elle savait faire le mieux. Elle travaillait dans ce club depuis un mois seulement, et elle avait pourtant le sentiment que cela faisait des années. Elle avait l’impression que cela faisait des années qu’elle était au fond, tout au fond du gouffre, sans pouvoir en sortir. En réalité, c’était peut-être le cas, d’un enfer à un autre, les choses n’étaient pas tellement différentes ici. Si ce n’était que le monstre qui passait son temps à la frapper et à la terroriser n’était plus dans sa vie. Mais, elle n’avait finalement pas besoin de lui pour se détruire, Fallon, elle y parvenait très bien toute seule. Ce soir en était encore une belle preuve, puisqu’à peine le club quitté, la jolie brune avait senti ses mains commencer à trembler. Le manque. Voilà ce qu’elle ressentait, le manque. Parce que depuis qu’elle était ici, à Marple Spring, elle avait tenté de noyer ce qu’elle ressentait dans l’alcool, et si elle avait toujours mal, Fallon avait désormais un problème d’alcool également. Elle avait alors trouvé une petite épicerie de nuit, acheté une bouteille de vin, puis commencé à marcher au Spring Park. Après tout, personne ne l’attendait chez elle, autant profiter de l’air frais de la ville après avoir été enfermée toute la soirée. Elle était pitoyable, Fallon, elle le savait et pourtant elle n’y faisait presque plus attention. Elle n’avait rien, rien qui pouvait la faire remonter la pente. Elle était bien trop bas. Elle était résignée, elle n’espérait rien, elle ne voulait rien. Parfois, elle en venait à se demander pourquoi est-ce qu’elle continuait d’essayer de survivre. Peut-être parce qu’elle l’avait toujours fait, mais c’était de plus en plus difficile. Après quelques minutes, elle s’était finalement assise sur un des bancs, entamant la bouteille qu’elle avait à la main. Le parc était vide, ce soir, et il n’y avait qu’elle, seule sous les étoiles.  

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Après un dernier regard circulaire dans tout le bar, Alessandra se décide à éteindre toutes les lumières et quitter enfin les lieux. Consciencieuse au travail, elle fait toujours attention à tout quand elle est de fermeture. Elle n’a pas l’air quand on la regarde comme ça, avec son allure un peu trop grunge et son air désinvolte. Mais elle prend à cœur ses responsabilités, Alex. Il faut juste passer outre l’impression qu’elle donne, et c’est ce que Cyriel a fait pour elle. C’est ce que sa propre famille a été incapable de faire. Rangeant les clefs dans son sac, la jeune femme se met à déambuler dans la ville. Il est tard, les rues sont vides. Elle pourrait avoir peur si elle n’était pas à Marple Spring. Si elle n’était pas elle, aussi. Mais elle n’a conscience de rien, Alex. Elle avance dans les ruelles de la ville sans réfléchir. Elle apprécie le calme de la nuit, bien plus que l’effervescence du jour. S’arrêtant un instant devant le parc, elle en profite pour allumer une cigarette quand son regard se pose sur un banc non loin de l’entrée. Une fille est là, seule, avec pour seule compagnie une bouteille qu’elle boit directement au goulot. Toujours immobile, Alessandra l’observe durant plusieurs secondes, sans savoir vraiment pourquoi. Elle a l’air triste, si triste. C’est plus qu’elle ne peut le supporter. Elle peut bien avoir l’air de se ficher de tout, Alex. Au fond, elle est incapable de rester indifférente face à la douleur de l’Autre. Sans trop réfléchir, elle avance jusqu’au parc, jusqu’à Elle. Et, une fois à sa hauteur, elle s’installe auprès d’elle. Elle ne lui demande pas si cela ne la dérange pas, elle ne lui demande pas si elle peut s’asseoir. Elle s’installe simplement. – B’soir. lance-t-elle d’une voix neutre avant d’approcher à nouveau sa clope de ses lèvres pour en tirer une taffe. Le truc, c’est que si elle est touchée par la détresse humaine, elle ne sait pas pour autant faire preuve de grande délicatesse. Elle a grandi dans une famille où on ne dit pas « je t’aime », un milieu où les sentiments n’ont aucune place. – Je rentrais chez moi, puis je t’ai vue. Ici toute seule. J’me suis dit que ce serait un peu moins triste, si on était deux.

Alessandra & Fallon

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Elle avait cette sensation d’avoir touché le fond, Fallon. Et puisqu’elle en avait conscience, cela devait certainement être le cas. Elle se voyait, jours après jours, se rapprocher de cet énorme gouffre. Elle se sentait, frôler ce point de non retour. Ce point qui l’éloignerait à jamais du reste du monde, d’une société plus ou moins normale qu’elle n’avait que très peu connue jusqu’à présent. A vrai dire, lorsqu’elle y réfléchissait, elle ne l’avait presque jamais connue. D’abord, sa vie de famille avait été des plus catastrophique. Quand ses amies rentraient chez elles pour manger avec leurs parents, elle, elle était systématiquement livrée à elle-même. Et puis, elle était sortie de cette vie dans laquelle elle n’avait aucune importance, pour finalement tomber dans une vie où elle n’avait ressenti que de la souffrance. Aussi bien physiquement que mentalement, elle ne serait plus jamais la même. Et maintenant, qu’est-ce qui l’attendait maintenant ? Une vie de perdition ? Une vie condamnée à déambuler  avec ivresse jusqu’à ce qu’une bonne âme veuille bien la ramasser ? Un peu comme ce soir, en réalité, avec cette fille qui, sans aucune raison particulière semblait vouloir discuter avec elle. Fallon la regarda de ses grands yeux marrons, se demandant pourquoi elle était là, assise près d’elle. Sincèrement, elle ne donnait pas envie, assise toute seule dans le noir, à s’enfiler une bouteille de vin à même la bouteille. Pourtant elle était là, et elle ne lui donnait d’ailleurs pas vraiment le choix. Bonsoir. Elle devait sincèrement faire pitié aux gens qu’elle croisait, comme à ces policiers qui l’avait aidé à fuir Chelsea. Comme à cette fille, ce soir. À en croire ses paroles, à en voir son visage, elle semblait loin, bien loin d’être dans la même situation qu’elle. Alors après quelques instants, Fallon se décida à reprendre la parole. Moins triste pour moi, peut-être. Pour toi, j’en doute. Elle bu alors une gorgée de vin, elle n’avait pas envie d’infliger sa présence à qui que ce soit. Personne ne méritait cela, vraiment. Et cette fille, peu importe ce qu’elle faisait ici, elle devait certainement avoir un million de choses mieux à faire que de rester avec elle. Fais moi confiance, tu n’as pas envie de subir ça. Affirmait-elle, un faible sourire aux lèvres. Elle était alcoolique, il n’y avait rien de bien joyeux dans tout cela. Ni même dans sa vie, d’ailleurs. Rien qu’elle ne pourrait offrir à cette belle inconnue. Elle n’était déjà pas capable de s’offrir quelque chose à elle-même, Fallon. Elle ne pourrait pas la forcer à partir, et puis, elle elle n’avait rien à perdre, mais elle pouvait au moins la mettre en garde. Elle ne gagnerait rien à passer la soirée, ou du moins ce qu’il en restait, avec elle.   

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Elle est là, assise, sur son banc avec pour seule compagnie cette bouteille d’un vin médiocre qui lui semble aussi précieuse qu’un biberon pour un nouveau-né. Et c’est l’impression qu’elle lui donne à cet instant, celle d’un bébé si fragile mais déjà abandonné. Abandonné, le pire mot qui puisse exister. Alors elle ne peut pas rester sans rien faire, Alessandra. Elle ne peut pas détourner le regard et reprendre sa route comme si elle n’avait rien vu. Sans même s’en rendre compte, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, la voilà assise auprès d’elle, cette inconnue aux yeux si tristes. Elle la salue, elle aussi, non offusquée par sa présence. Ni surprise. Pas même touchée d’une façon ou d’une autre, finalement. Elle a l’air totalement dans un autre monde, comme si rien ne l’atteignait. Comme si la vie l’avait déjà trop détruite pour qu’elle puisse se laisser toucher par une chose aussi insignifiante qu’une fille un peu étrange. Le silence s’installe, suite à ses paroles un peu trop directes, mais qui encore une fois, n’ont pas l’air de toucher son interlocutrice d’une quelconque façon. Au contraire, elle lui répond d’un ton neutre, lointain. Inaccessible. La vie l’a bousillée, celle-là, c’est certain. Cette chienne de vie. Alex reste silencieuse, elle se contente de tirer une nouvelle taffe de sa cigarette alors que son regard reste posé droit devant elle. – C’est peut-être pas moi qui compte, ce soir. dit-elle, doucement, pourtant si sincèrement. Elle est touchée par la demoiselle, elle n’aime pas voir cette détresse en elle. Elle n’a même pas besoin de la regarder pour s’en rendre compte. C’est comme si elle envoyait des ondes, l’inconnue. Des ondes sombres, négatives, mais ce n’est pas ainsi que la brunette le voit. Plutôt, comme, un appel au secours. Sauf qu’elle n’est pas un ange gardien, Alessandra. Elle est loin d’être un bon samaritain, elle n’a jamais sauvé personne. Elle ne sait pas comment agir. Elle est juste là, à côté d’elle, et elle sait qu’elle va encore le rester longtemps. Alors, quand elle entend la nouvelle mise en garde de la jeune femme, elle ne réfléchit plus. – Fais-moi confiance, tu n’as aucune idée de ce dont j’ai envie. Sans lui demander son autorisation, elle lui enlève la bouteille des mains. Ce n’est pas pour l’empêcher de boire, mais pour boire avec elle. Au goulot, elle laisse quelques gorgées de vin venir abreuver sa gorge. Elle grimace légèrement. Le goût n’est franchement pas fameux. Ce qui lui donne une idée, naturellement. – Dis, j’ai les clefs du bar où je travaille. Au moins, on sera au chaud, puis le vin sera moins dégueulasse. lance-t-elle spontanément, en reposant son regard sur elle avant de se lever sans plus attendre. – Ça te dit ? demande-t-elle, la bouteille toujours à la main, alors qu’elle entend sa réponse. Au fond, c’est juste qu’elle ne veut pas la laisser ici. C’est beaucoup trop triste.

Alessandra & Fallon

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L’inconnue n’imaginait pas une seule seconde à quel point elle voyait juste, sur son compte. Elle n’imaginait pas à quel point elle était loin, très loin du monde. En réalité, elle ne savait même plus comment faire, Fallon. Elle ne savait plus comment se comporter en société, comment se comporter avec gens. Elle avait été coupée du monde bien trop longtemps pour se rappeler de quoi que ce soit et, maintenant elle était bien trop détruite pour que cela soit naturel. Pourtant, la présence de cette jeune femme ne la dérangeait pas pour autant. Ce n’était pas qu’elle était sauvage, Fallon, c’était simplement qu’elle ne donnait pas envie de s’approcher d’elle. Tout du moins, elle ne donnait pas envie à des personnes bien sous tous rapports. Et, si cette brune voulait réellement passer la soirée avec elle, elle ne devait pas être bien nette non plus. En l’entendant lui dire que ce n’était peut-être pas elle qui comptait ce soir, la jeune femme se retourna alors vers elle avant de répondre. Rien ne t’y obliges. Elle devait vraiment faire peine à voir pour qu’une jeune femme qui devait certainement avoir bien mieux à faire veuille rester avec elle. Et en plus, elle était bien décidée, attrapant même sa bouteille pour en boire une gorgée. Fallon la regarde alors, esquissant un sourire, elle avait du culot et elle appréciait cela. Très bien, si tu y tiens, je te suis. Affirmait-elle en se levant à son tour pour commencer à la suivre. Un bar, de l’alcool, au chaud, elle n’allait pas lui dire non. Marchant à ses côtés, elle se décida à se présenter. Moi c’est Fallon. Elle voulait elle aussi en apprendre un petit peu plus sur sa nouvelle amie. Bien qu’elle, elle n’avait certainement pas envie de savoir les seules choses qu’elle avait à lui dire. Sa vie ressemblait plus à un champ de ruine qu’à une vie.  

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Elle a l’air de tellement souffrir, cette inconnue. C’est comme si elle ne connaissait plus que cette souffrance, comme si plus rien d’autre n’existait dans son regard. Comme si elle n’avait plus que cette souffrance, en fait, et qu’elle ne voulait pas s’en détacher. Elle n’a jamais connu une personne qui a si mal, Alessandra. Elle n’a même jamais eu si mal. Elle s’est déjà sentie en détresse, désespérée, elle a déjà voulu de toutes ses forces que quelqu’un vienne la sauver. Mais, justement, elle a la sensation que cette fille ne veut pas être sauvée. Elle veut juste rester là, avec sa douleur pour seule compagnie, sans elle, sans personne. Elle entend bien la jeune femme insister pour lui rappeler que rien ne l’oblige à lui tenir la main, elle insiste tant et si bien qu’elle inspire tout le contraire à Alex. C’est précisément cette façon qu’elle a de vouloir être seule qui pousse la jeune Hamilton à ne pas la laisser seule. Elle fait même tout le contraire puisque, se levant sans plus attendre, elle la pousse à la suivre au bar qu’elle vient pourtant de quitter. Un petit sourire satisfait, ravie d’avoir su la convaincre, Alessandra lève les yeux vers son interlocutrice quand celle-ci décide de se présenter. Fallon, elle s’appelle Fallon. – Alex. dit-elle simplement pour se présenter à son tour. Ce n’est pas tout à fait son prénom, juste le surnom qu’elle a l’habitude d’utiliser. Mais Alessandra renvoie à un passé qu’elle veut à tout prix oublier, elle la renvoie à une partie de sa vie à laquelle elle a dû dire adieu. Qu’importe. Sans s’étendre davantage dans les présentations, la belle entraîne sa nouvelle amie jusqu’au Mambo’s bar. Elles ne mettent que quelques secondes à arriver. Récupérant les clefs dans son sac, Alex ouvre la porte et laisse passer son invitée avant de la suivre et fermer, bien sûr, derrière elles. Elle n’est pas censée faire une chose pareille, elle ne devrait pas avoir le droit. Mais elle sait que Cyriel ne dira rien, puis, elle n’en a toujours fait qu’à sa tête de toute façon. Sans hésitation, elle va directement là où est sa place, derrière le bar. Elle commence à sortir des bouteilles pour se lancer dans la préparation d’un cocktail beaucoup plus fruité qu’alcoolisé. Elle ne veut pas l’enivrer plus qu’elle ne l’est déjà. L’alcool, c’était juste un prétexte pour l’attirer au chaud. – Alors, mauvaise soirée ? Elle ne sait pas trop comment s’y prendre avec elle. Comment lui demander ce qui la pousse à se saouler sur un banc au beau milieu de la nuit. Mais elle ne peut guère faire autrement si elle veut pouvoir la comprendre.

Alessandra & Fallon

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Elle n’avait pas totalement tort, même, pas tort du tout, à son sujet, Alex. Elle lisait parfaitement en elle, parce qu’elle ne voulait pas être sauvée, Fallon. Tout du moins, elle ne le cherchait pas, elle ne pensait pas pouvoir l’être. Elle y avait cru, une fois, une seule. Elle avait tellement voulu être sauvé qu’elle s’était jetée dans les bras du premier venu, du premier qui lui avait promis les choses les plus belles qui soient, pour finalement la détruire. La détruire entièrement, sans reconstruction possible. Alors non, elle ne cherchait pas à être sauvée, Fallon, parce qu’elle ne croyait pas aux comptes de fées. Encore moins lorsqu’il s’agissait de sa propre vie. Pourtant ce soir, elle faisait en quelque sorte une petite exception, avec Alex. Elle ne pensait pas que cette jolie inconnue puisse la sauver, non, mais pour ce soir, elle la laissait essayer. Peut-être parce qu’elle y avait mit tant de détermination, et puis parce qu’elle n’avait pas la force de sa battre contre qui que ce soit, Fallon. Si cette dernière souhaitait lui offrir de quoi boire, elle était preneuse. Alors elle entra dans le bar avec elle, regardant quelques secondes autour d’elle, avant d’aller s’installer au comptoir. Elle regarda faire la jeune femme, visiblement barman, avant d’entendre la question de cette dernière. Elle haussa naturellement les épaules avant de répondre. Pas plus que d’habitude, pas plus que les autres. C’était toute sa vie entière qui était mauvaise, pas seulement cette soirée. Mais Alex n’était certainement pas prête à entendre tous ses déboires. Et toi ? Tu n’avais pas quelque chose de plus intéressant à faire que de trainer avec moi ? C’était une vraie question, elle était curieuse de comprendre pourquoi elle avait tant voulu l’entraîner ici. Pourquoi elle l’avait prise sous sa responsabilité. Cela faisait tellement longtemps qu’elle n’avait plus eu de réel contact humain, Fallon, qu’elle ne savait plus comment cela fonctionnait. Tout ce qu’elle avait connu durant de longues années, c’était son bourreau et seulement lui, alors elle devait désormais apprendre à redonner sa confiance à l’humanité. Et ce même si la tâche s’avérait bien compliquée.

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Elle ne veut pas être sauvée. Mais elle est là, pourtant, auprès d’elle. Elle la suit sans se poser de question jusqu’au bar. Peut-être que c’est juste la tentation de trouver de l’alcool, gratuitement qui plus est. Peut-être que c’est juste le manque d’envie de la repousser, aussi. Alessandra a envie de croire que non. Elle a envie de se dire que, si la jeune femme l’a suivie cette nuit, c’est parce qu’il y a, au fond d’elle, tout au fond d’elle, une toute petite partie d’elle n’attend que cela, être sauvée. Elle n’est pas une personne optimiste, pourtant. Elle peut même s’avérer incroyablement cynique. Mais elle ne sait pas pourquoi, elle ne sait pas comment, elle refuse de se dire que tout est perdu pour cette fille. Alors elle tente de l’approcher, tant bien que mal. Elle s’intéresse à elle tout en s’attelant à leur préparer des cocktails de ses mains expertes. Elle joue des bouteilles tout en gardant les yeux focalisés sur la belle brune qui lui fait face. Pas plus que d’habitude, dit-elle. Elle insiste même en ajoutant que toutes les autres soirées sont aussi mauvaises pour elle. Alex ne dit rien, mais elle enregistre. Elle se demande ce qui a pu tant détruire Fallon. Quand elle entend sa question, la serveuse esquisse un faible sourire. – Faut croire que non. Et c’est la vérité. Elle comptait rentrer chez elle, prendre une douche brûlante, et se pieuter au lit avec un peu d’herbe. Se préoccuper de cette inconnue, ça lui semble beaucoup plus important. Retrouvant le silence, la jeune Hamilton termine son cocktail sans dire un mot. Elle réfléchit à la manière dont elle doit s’y prendre pour mieux savoir, pour mieux comprendre. Finalement, elle pose un verre rempli d’une boisson à la jolie couleur orangée. – Dis-moi, ça te dit de jouer à un jeu ? A chaque fois que l’une de nous boit une gorgée, l’autre peut lui poser une question. Elle sourit, fière de sa trouvaille. Puis, comme pour montrer sa bonne volonté, elle se saisit de son propre verre pour en boire une gorgée. – A toi l’honneur. Sa méthode est peut-être discutable, voire carrément critiquable. La pousser à boire, pour mieux l’aider, c’est loin d’être orthodoxe. Mais elle n’a jamais fait dans le traditionnel, Alex.

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Il n’y a pas de cause perdue, pas pour Alessandra. Elle sait qu’on peut toucher le fond, être au plus bas et croire qu’on ne remontera jamais. Elle connaît parfaitement cette sensation. Mais elle connais aussi l’Après. Elle a fait partie de ces personnes qui croyaient qu’elles ne retrouveraient jamais la surface, mais elle y est arrivée. La douleur ne détruit pas. Elle fait mal, mais elle ne détruit pas. Ce qui détruit, c’est la solitude qui vient avec la douleur. C’est lorsqu’elle était totalement seule qu’elle s’est sentie la plus brisée, la plus proche du précipice. Puis, elle a rencontré Cyriel. Et, plus jamais, elle ne s’est sentie seule. Alors peut-être qu’elle n’a pas la détermination de son ami, peut-être qu’elle n’a pas son enthousiasme. Mais elle a envie de faire pour cette inconnue ce que lui, il a fait pour elle. Pour qu’elle ne soit plus seule, elle non plus, plus jamais. Seulement encore faut-il que la belle brune le veuille bien. Pour le moment, elle ne paraît pas si fermée. Au contraire, elle est agréable avec elle malgré la tristesse qui semble l’habiter. Fragile, délicate, elle lui donne envie de la protéger. Et peut-être que c’est ce dont elle a besoin, peut-être qu’elle se laissera faire. Elle a accepté sa présence, elle l’a suivie jusqu’au bar, et la voilà prête à jouer à son petit jeu. En entendant sa première question, Alex laisse un sourire se dessiner sur le coin de ses lèvres. – Quatre ans. Depuis que je suis arrivée en ville en fait. Ce bar est le premier endroit où elle a posé les pieds. Elle avait encore son énorme sac qu’elle traînait tant bien que mal, mais ni CV, ni lettre de motivation. Personne ne l’aurait engagée, personne sauf Cyriel, mais lui n’a pas hésité. Ce qui lui donne facilement une idée pour la première question qu’elle peut poser à sa nouvelle amie. Elle fait le tour du bar pour s’asseoir sur le comptoir, près de Fallon, et lui demander finalement. – Et toi, tu fais quoi dans la vie ? Sa question est, certes, plutôt bateau mais c’est déjà une chose de plus que son interlocutrice sait sur elle. Elle l’imagine bien… Artiste écorchée. Qui peine à gagner sa vie. Ou peut-être bien, dans la mode, parce qu’elle est carrément sexy. Mais elle est loin de se douter de la réalité.

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S’il y a une chose que l’ancienne héritière a compris en grandissant, c’est que les êtres humains ne savent pas ce qui est bon pour eux. Elle en est la preuve vivante, Alessandra. Entre l’alcool, la drogue, et tous les dérapages qu’elle a pu faire, elle est bien placée pour en parler. Aujourd’hui encore, elle est loin d’être la personne la plus raisonnable qui soit. Mais elle se contient, elle évite d’aller trop loin. Car elle sait que quelqu’un compte sur elle. Seulement cette fille, Fallon, elle n’a peut-être pas cette chance. Elle paraît seule, tellement seule qu’elle provoque en elle cette envie de rester à ses côtés. Ce besoin de prendre soin d’elle. Ce n’est pas quelque chose dont elle a l’habitude, Alex. Elle ne sait pas forcément s’y prendre mais elle a toute la bonne volonté du monde. Elle joue aisément avec ce jeu qu’elle a elle-même proposé, surtout pour gagner la confiance de la jeune femme. Car elle sait que c’est en lui donnant la sienne qu’elle peut espérer y parvenir. Et parce que, elle s’en rend compte au fil de la conversation, mais parler de son passé n’est plus aussi douloureux. Elle a tourné la page sur ses parents. Cela pourrait être triste, mais c’est sans aucun doute mieux ainsi. – J’habitais à Détroit. Mes parents m’ont jetée dehors parce qu’ils en avaient marre de mes conneries, donc… J’suis allée le plus loin possible que mon compte en banque me le permettait. C’était pas très loin. fait-elle remarquer avec un petit rire. Elle hausse les épaules, nonchalamment. Elle est contente d’être à Marple Spring. Ce n’est pas la ville la plus dynamique qui soit, mais c’est ce dont elle avait besoin. Elle s’est trouvé une stabilité ici, elle s’est trouvée elle-même. Elle regarde sa nouvelle amie qui boit une gorgée de son verre et en profite, tout de suite, pour l’interroger à son tour. Sa question est simple, mais la réponse qui en découle est beaucoup moins anodine. Stripteaseuse. Fallon est stripteaseuse. Pour la première fois depuis qu’elle est venue à sa rencontre, Alessandra la contemple avec un air plus sérieux, plus grave. – Ça doit pas être facile… murmure-t-elle, les yeux toujours posés sur la belle. Elle comprend mieux, soudain, cet air si fragile, si… Lointain. – Tu as des amis dans le coin ? demande-t-elle subitement, cherchant à déceler à quel point elle peut être seule.