Comme toute ma fratrie, je suis née ici dans le Michigan, à Marple Spring. Une ville tranquille que je connais comme ma poche, dans laquelle j'ai vu le meilleur et le pire durant ces douze dernières années de vie. J'ai pas famille facile ni une vie facile mais les plus grands font tout pour qu'on vive de la meilleure façon possible, même si c'est pas facile tous les jours. Maman est partie de la maison, maman nous a quitté pour vivre avec une femme et Papa, oh Papa... Il se complique la vie tout seul. Il est au chômage, il ne travaille pas et passe son temps à boire, à fumer, à ressembler à une grosse épave et moi, je déteste ça, voir mon père dans un sale état... Il ne remplit pas correctement son rôle de père mais au moins lui est là contrairement à ma mère dont on n'entend plus parler... On est huit enfants dans la famille. L'aînée a 25 ans, Mavie prend soin de nous comme elle le peut, elle est responsable de nous et m'a appris pas mal de choses quand j'étais plus petite et le fait encore. Dallas a 23 ans, c'est mon grand frère d'amour même si je le trouve parfois trop intrusif, trop protecteur (mais c'est son rôle de grand frère)... Riley a 25 ans, Peter en a 15. Puis il y a moi, du haut de mes douze ans. Je ne suis pas la petite dernière. J'ai un petit frère de 6 ans et les deux derniers sont deux jumeaux de 2 ans... Quelle famille, hein ? On est une famille nombreuse. On est pauvres, on vit dans une maison qui ne ressemble en rien à celle de ma meilleure amie. On galère parfois pour manger, on a pas les meilleures conditions de vie mais on est en vie.

Moi, c'est Esther, douze ans. Je suis la petite ange de la famille, je ne suis ni la dernière ni la première. Mes aînés font tout pour que je ne fasse pas face aux mêmes problèmes qu'ils ont rencontrés et rencontrent encore. Ils veulent que je sois bien, que je vive bien mais c'est pas près d'arriver... Je veux grandir et pouvoir les aider à payer le loyer, la bouffe. Je le fais déjà avec de petites combines, il m'arrive parfois de leur ramener quelques billets, un peu d'argent qui leur permet de subvenir aux besoins de tout le monde même si ça ne nous rend pas riches non plus. La maison est un énorme bordel dans lequel on vit tous ensemble. Entre filles, on se sent un peu trop entourées de garçons mais on fait avec ! Heureusement qu'on est là pour se serrer les coudes.

Mes frères me voient encore comme un bébé, je le sais. Je les entends chuchoter quand ils veulent parler de leurs choses d'adultes. Ils me tiennent à part de leurs plans, de ce qu'ils font et ça finit très souvent par m'énerver. J'en ai marre d'être vue comme la petite dernière de la famille que je ne suis pas, alors j'essaye de faire mes preuves. Depuis plusieurs mois, je mets la main à la pâte moi aussi. J'aide un peu plus qu'avant à la maison : je fais le ménage, je fais la vaisselle et je m'occupe surtout des plus petits en les emmenant à l'école et en les gardant quand personne ne veut/peut le faire. J'aime les enfants et j'aimerais bien en avoir un, à jour. Je trouve ça marrant et mignon. Mais je suis loin encore loin de tout ça...

Je travaille bien à l'école, même si mes professeurs me méprisent parce que je rate souvent les cours, soit parce que je sèche volontairement ou soit parce que j'ai autre chose à faire qu'y aller. Quand j'y vais, je fais de mon mieux et je ramène très souvent des 12, 13/20 à la maison. J'ai déjà ramené un 20 dont j'étais très fière mais Peter l'a remplacé par un 10 pour m'énerver. Je ne sais pas encore ce que je veux faire plus tard et je n'y pense pas trop parce que, de toute façon, je suis réaliste et je sais que je ne finirais pas ma vie à faire le métier de mes rêves... Pour réussir, il faut en avoir les moyens. Il faut être riche, il faut être bien vue et c'est pas avec la réputation que j'ai à l'école que je vais devenir vétérinaire comme je le voulais encore il y a quelques mois avant d'apprendre qu'ils piquent parfois des animaux... Dégueu.

J'ai pas beaucoup de copines à l'école et je me dispute très souvent avec le autres filles de ma classe. Elles n'ont pas la même vie que moi et se moquent très souvent de mes habitudes de vie et des vêtements que je porte. Pour elles, je suis "la petite pauvre", "la pouilleuse"... Ils me traitent souvent comme ça mais heureusement, après un coup de pied par-ci et un tirage de cheveux par-là, elles arrêtent très souvent. Bon, je termine aussi souvent avec des heures de classe ou des renvois, mais dans ma fiche, on m'a appris à ne jamais se laisser faire. J'en suis fière moi, de mon caractère.

Heureusement qu'à l'école, j'ai des amis pour tenir. Des garçons, tous des garçons. Je fais partie d'un groupe de mecs tous aussi fous que moi. Il y a des intellos mais aussi des garçons complètement cons. Des garçons qui viennent de mon quartier, qui ont autant de chance que les Gardner. On fait les quatre cent coups ensemble, on fait tourner les profs en bourrique. On se fait punir ensemble, on parcourt les rues de la ville jusqu'à minuit... on fait que des conneries mais on s'adore, et on ne se laisserait jamais tomber. Puis il y a Dylan. Un garçon de ma classe, l'exception. Il me regarde comme personne, il me complimente à longueur de journées, lui est fier de me tenir la main et de me montrer à tous... Je suis sa copine, il est mon copain et je crois que c'est le meilleur copain que je pourrais avoir. Il embrasse sacrément bien, en plus, il faut le dire... Toute ma classe est au courant, les filles se moquent de lui mais je crois qu'elles sont plutôt jalouses. Je garde la situation secrète, je ne veux pas que mes frères le sachent parce que j'ai peur qu'ils fassent tout foirer. Si je les écoute, il faut pas que je fréquente des garçons comme lui... On est de deux univers différents, mais on a les pieds sur la même planète.