Charlie se glisse en silence le long du mur, les mains dans les poches. Elle pousse une grande inspiration et se plante devant la porte de l'appartement de Kelyan. Si elle est venue ici, c'est pour essayer de se réconcilier avec son demi-frère. Mal à l'aise, elle ferme les yeux, tentant d'effacer leur baiser de son esprit. Si elle veut lui parler à tête reposée, elle doit éliminer tous les parasites. Elle n'hésite qu'un instant avant de lever la main pour appuyer sur la sonnette. Elle se stoppe avant qu'elle ait pu agir, remarquant que la porte est à semi-entrouverte. Elle fronce les sourcils, en proie à un gros dilemme.
Elle est tentée de suivre sa raison et de faire comme tout le monde : sonner avant d'entrer. Mais le fait que cette porte ne soit pas fermée la fait douter. Et si Kelyan était en danger ? Embarrassée, elle commence à piétiner le sol, puis se décide à ouvrir la porte en grand, toujours sans un bruit. Par chance, celle-ci ne grince pas, et elle pose un pied à l'intérieur. Elle remarque alors que le salon est éclairé, mais qu'il n'y a aucun bruit. Un long frisson lui traverse le dos et elle est à deux doigts de faire demi-tour lorsqu'elle reconnaît la silhouette assise dans l'un des fauteuils. Tout son corps s'allège et elle s'entend pousser un énorme soupir, suffisant à attirer l'attention de la personne dans le salon. Elle ne sourit pas pour autant et enlève son écharpe. « Salut. »

Son ton est froid et elle est un peu déçue, parce que ce n'est pas Kelyan qui est assis, mais son frère Priam. Celui des deux qu'elle déteste. Elle le fixe d'un air froid. Entre eux c'est je te déteste eh bien moi je te hais. C'est viscéral. Dès le moment où Charlie et Priam se sont rencontrés, la brune a décrété qu'il n'était pas digne de faire partie de ses fréquentations. Mais elle sait que Kelyan adore son frère, alors elle fait des efforts en public.
Charlie ne se laisse pas intimider et s'assoit dans le fauteuil le plus éloigné de celui de Priam. Elle regarde autour de lui ; il est seul. « Kelyan est là ? » demande-t-elle, tendue. Elle pose ses mains sur ses genoux, prenant une grande inspiration, destinée à la soulager un peu. Ça ne sert visiblement à rien puisque sa gorge se bloque un peu plus et qu'elle a l'impression d'étouffer. Comme si la présence de Priam l'enserrait dans un étau puissant contre lequel elle ne peut rien faire. Elle se sent prisonnière, avec l'impression qu'à tout moment Priam va se lever et qu'elle va se rendre compte que ce n'est pas lui...

Comme si Charlie avait besoin de ça. Besoin de Priam juste devant elle, pour jouer la comédie encore une fois, sourire aimablement même si elle n'en pense pas moins. Comme si elle avait besoin qu'on lui rappelle que sa vie n'est que larmes et sang. C'est Kelyan que Charlie veut voir, pas son frère. Pourtant, elle ne bouge pas. Parce que Kelyan reviendra forcément, et qu'avec un peu de chance, Priam sera parti avant.
Elle soupire alors qu'il lui répond. À vrai dire, elle ne s'attendait pas vraiment à ce qu'il daigne ouvrir la bouche. Tous les deux, c'est une véritable guerre froide. Ils auraient pu s'apprécier, si eux deux n'avaient pas décrété, dès leur première rencontre, qu'ils se détestaient viscéralement.
Après tout, Charlie n'a jamais vraiment réfléchi aux causes qui la poussent à détester Priam d'une manière aussi sincère. Elle pourrait mentir, le nier, mais ce serait éhonté et elle s'y refuse. Elle se contente de tolérer son demi-frère en présence de Kelyan, et de le détester en silence quand ils sont tous seuls.
Mais pour le coup, le voir là, assis dans un fauteuil, dans l'appartement de son propre frère, sans ledit frère, ça lui fout un coup de poing dans l'estomac. Elle sent toute sa bonne volonté vaciller et elle manque de s'enfuir en courant. Elle voudrait pouvoir pleurer, que cela paraisse normal, mais elle n'aime pas les instants de faiblesse alors elle se l'interdit. Parce que Priam jaserait, et que ça ferait bien vite le tour de la petite famille.

Charlie hausse les épaules et s'appuie contre le dossier, les yeux rivés dans ceux de Priam, ou alors justement évitant son regard, elle ne sait pas trop. « Ok. T'es là depuis longtemps ? » Parce que si Kelyan promène son chien et que Priam est là depuis pas mal de temps, l'attendu ne tardera pas à revenir bien vite. Et Charlie doit lui parler.
C'est une question de vie ou de mort.
Mais, bien sûr, Priam ne peut pas comprendre. Ce n'est pas une discussion qu'on peut avoir au téléphone, ou dans un bar. Alors Charlie s'impatiente. Elle tapote ses genoux, enfermée par le silence qui les étouffe tous les deux. Elle inspire profondément pour se soulager, et ça la calme un peu.
Au bout de quelques minutes, Charlie se résout enfin à parler, parce que le silence est trop pesant et qu'elle va crever si elle ne sort pas quelque chose rapidement. « Toi, tu vas bien ? » Certes, c'est banal et inutile – il n'y a aucune once de sincérité ou de gentillesse dans sa voix –, mais s'il faut passer le temps, elle préfère mille fois discuter avec Priam que de passer le temps, gênée et face à lui.