Trois mois qu’elle était là. Trois mois qu’elle n’arrivait pas à sauter le pas. Trois mois qu’elle faisait le trajet presque tous les matins après avoir déposé sa fille à l’école sans jamais réussir à franchir ce maudit portail.

Depuis son retour, ce n’était pas la première fois que Paige se retrouvait assise sur ce banc dans l’ouest de la ville à se maudire intérieurement. Il n’y avait pas réellement de raison à son échec, du moins elle n’arrivait pas à le saisir.

Votre père est mort, il s’est tiré une balle dans la bouche.

Malgré les années, ces mots raisonnaient encore dans son esprit. Glaçants, incompréhensibles sur le moment, du genre à vous laisser comme anesthésié. Seul au monde, sans travail et sans nouvelle de sa famille depuis des mois Paul Kane avait décidé de mettre fin à sa vie un jour de septembre 2005.

Dans les premiers temps, Paige avait encaissé, accepté, oublié. En un sens, son père était mort bien avant qu’une balle ne vienne lui transpercer le cerveau. Il était mort le jour où il avait eu son accident et perdu son travail à cause de son handicap. Le père aimant qu’il avait été avait fait place à un inconnu, à un homme qui ne savait plus parler que pour déblatérer des reproches. Et puis avec le temps une petite voix avait insidieusement pris place dans un coin de son esprit. Une petite voix qui ne cessait de lui susurrer que si elle n’avait ne serait-ce que répondu à un coup de téléphone, son père serait peut-être toujours en vie.

Mais il était mort. Sa tombe ne se trouvait qu’à quelques minutes à pieds et pourtant encore une fois Paige n’avait pas eu le courage d’aller se recueillir sur sa tombe.

La jeune femme laissa échapper un profond soupire et fouilla dans son sac à la recherche de son paquet de cigarettes.

" Et merde ! " Jura-t-elle en réalisant qu’elle avait laissé son briquet à la maison.

Instinctivement, elle releva la tête et son regard se posa sur un jeune homme qui traversait le parc. Avec un peu de chance, il pourrait peut-être la dépanner.

" Excuses-moi ! " Tenta-t-elle de l’interpeller en pressant le pas dans sa direction. " Désolée de te déranger mais t'aurais du feu par hasard ? " Lui demanda-t-elle en arrivant à sa hauteur.