Je ne sais pas si tu la vois, la pluie, dehors. Le vent oriente dangereusement les gouttes qui éclatent contre les carreaux de ma fenêtre. Petite lucarne dans la chambre minuscule que l’université me loue en échange de services. Maman me disait de ne pas m’apitoyer. Que la vie n’offrait que des opportunités. Enfin, c’est ce qu’elle affirmait quand elle n’était pas complètement assommée par ses pilules. Maintenant qu’elle n’est plus de ce monde, je n’ai plus que toi pour me confier. Enfin toi. Qui es-tu ? Pourquoi je me sens si proche de toi alors que je ne sais pas qui tu es ? J’espère pouvoir te rencontrer un jour. Peut-être dans l’au-delà ?

Sais-tu tout ce qui m’est arrivé depuis que je suis née ? La vie n’a pas toujours été agréable. Et tout ça, c’est à cause de cet enfoiré qui a foutu la merde entre maman et moi dès qu’il a débarqué dans sa vie. Je n’ai jamais voulu avouer à maman que son mari me frappait. Des coups dans le ventre, des bouteilles de verre entaillant mes cuisses… Je voyais déjà le déclin qu’elle vivait et les médicaments qu’elle prenait de plus en plus. Alors j’ai supporté. Jusqu’au jour où ses gélules ont eu raison d’elle. Maman est décédée et son mari s’est déchainé. Il m’a enfermé dans la maison, j’ai dû arrêter mes études et j’étais littéralement devenu le punching-ball de ce taré. Et un jour, j’ai perdu connaissance. Lorsque j’avais vingt et un an, je passais beaucoup de temps à l’hôpital. C’est un an après la mort de maman que j’ai eu le courage de quitter la maison familiale. Un sac, quelques économies et dix-sept heures de bus avant d’atterrir à en Louisiane.

J’avoue, je croyais pouvoir m’en sortir. Mais je suis resté 2 ans dans la rue. J’avais quelques petits boulots mais je n’ai pas parvenu à m’installer. J’aurais pu plonger dans les trafics de drogue mais le déclin de maman me revenait toujours à l’esprit et m’empêchait de tomber. J’ai rencontré après de longs mois sombres un couple originaire de la Nouvelle-Orléans qui m’a accueilli avec beaucoup de bienveillance chez eux. Gratuitement au début, j’ai vécu deux ans dans une chambre d’ami qu’ils ont finis par me louer. J’ai pu me reconstruire, reprendre confiance en moi et économiser.

Je n’ai jamais abandonné l’idée de reprendre mes études. Mais à vingt-six ans, je ne pouvais plus me permettre d’attendre et les économies que j’ai pu mettre de côté ne me permettaient d’intégrer une seule université. Celle de Détroit. La moins chère et qui me permettait de travailler dans leur établissement pour me faire un peu de sous. Retourner un jour à Marple Spring n’a jamais été dans mes ambitions mais j’avais besoin de reprendre ma vie en main. Besoin de reprendre mes études.

La décision était prise et ça fait maintenant six mois que je suis de retour dans ma ville natale. Je vis dans cette pièce exiguë et seuls les cours me font tenir. Et peut-être un professeur, Monsieur Harrington. J’apprécie sa compagnie. Ce sont les seuls moments qui me sont agréables. Je ne me sens pas en phase avec la plupart des autres élèves. Seul lui semble me comprendre. Alors dès que j’ai un petit moment, je tente de passer des moments avec lui. Et dire que notre première rencontre n’a pas été des plus idéales. Je suis arrivée en retard à son cours. Son premier cours. Depuis ce jour-là, j’aime discuter littérature avec lui. Musique aussi. Il est compositeur et ses compositions m’ont beaucoup aidé lorsque j’étais au plus bas. Avant même de retourner à Marple Spring, il était déjà là pour moi. Et je lui en suis véritablement reconnaissante. On passe de bons moments ensemble, même si je n’ai pas toujours beaucoup de temps.

Ma vie commence à reprendre une allure normale, mais je sais que le destin n’est pas toujours avec moi. Tu le savais toi ? Que j’ai une vie plutôt compliquée ? J’espère pouvoir t’en parler de vive voix un jour. Tu serais d’accord qu’on parle de ta vie à toi ?