J'ai vu le jour à Marple Spring il y a de cela trente ans maintenant. Il était minuit cinquante-cinq précisément au moment où j'ai ouvert les yeux pour la première fois et à cinq minute près, je serais né un jour après mon frère. Oui, car j'ai un grand frère, enfin en vérité, c'est mon jumeau, mais comme il est né le premier de nous deux, il se plaît à me rappeler régulièrement qu'il est l’aîné. L’aîné oui, mais pas le plus mature selon nos parents … Parlons-en de nos parents. Notre mère était infirmière à l'époque ou nous somme nés, en congé, vous l'imaginez bien. Quant à notre père, il était … Compliqué. D'après notre mère, c'est le mot qui la toujours le mieux décrit. En fait pour être plus précis au moment de notre venue au monde, il était sans emploi, mais n'allez pas lui dire ça, ils vous traiteraient de menteur. D'ailleurs s'il vous prend l'envie de lui demander ce qu'il faisait, il vous répondra sans doute qu'il était un artiste incompris … Un grand rêveur oui. La vérité, c'est qu'il n'a jamais été un artiste pour personne sauf notre mère, mon frère et moi. Oh, il s'est bien produit dans quelque bar, mais hormis les piliers de comptoir personne n'a jamais prête oreille à sa musique. Il n'était pas nul, juste qu'il n'avait pas le physique pour faire carrière. C'est ce qu'un agent artistique lui a dit un jour d'après notre mère. N’empêche, star ou pas star, il a été un père extraordinaire et très présent pour nous. Il faut comprendre, lui ne travaillait pas à l'inverse de notre mère qui enchaînait les gardes à l'hôpital pour subvenir à nos besoins, c'est donc lui qui s'occupait de nous du matin au soir la plupart du temps. D'ailleurs grâce à cette proximité, il était l'une des rares personnes à ne pas nous confondre, ce qui n'était pas le cas de notre mère et encore moins celui de nos maîtresses d'école. Mais finalement loin de nous déplaire le fait qu'on ne fasse pas la différence entre nous deux nous semblait plutôt un avantage. Ainsi dès l'école primaire, on a commencé à prendre la place l'un de l'autre en fonction des devoirs sur table que nos maîtres ou maîtresses prévoyait. Je m'occupais des tout ce qui était littérature et Vijayan de tout ce qui était mathématique. Cette petite méthode nous a permis d'obtenir tout nos diplômes sans trop d'effort, mais pas de façon très juste pour les autres … Ça nous était égal. En fait à l'adolescence, on allait même jusqu'à intervertir nos places auprès de nos petites amies respectives. Rare sont celle qui ont capté notre petit manège. Mais il y a des choses où on ne pouvait pas prendre la place l'un de l'autre. Par exemple, je n'ai jamais laissé mon frère jouer de la guitare à ma place, ça ne l'a jamais intéressé et c'est à moi que notre père a appris, je ne l'ai jamais, non plus, laissé draguer une fille qui me plaisait. Le laisser la berner une fois que j’étais en couple avec elle oui, mais la draguer à ma place non. Enfin les choses étant ce qu'elles sont, on est entrés à l'université et alors on a quitté Marple Spring pour Detroit le temps de notre cursus universitaire. On était tous les deux d'accord, allé à l'université oui, suivre des cours trop techniques non. On a donc opté pour de banal cours de gestion, avec option musique pour moi. En fait, l'université ça a surtout été l'occasion de faire des soirées endiablées jusqu'à pas d'heure et puis … Le moment est venu pour nous d'entrer dans la vie active. On est alors revenus sur Marple Spring pour retrouver nos amis avant d'entrer dans une agence d'assurance. Le genre de petit boulot bien chiant, mais qui paye. Et là, on a continué de se faire passer l'un pour l'autre suivant les horaires nous arrangeant respectivement. Manque de chance il y a un mois notre patron a démasqué notre petit jeu et nous à flanqué à la porte. Je ne sais pas comment il s'y est pris, mais ça nous a fait comprendre que, dans le monde du travail au moins, on ne devait plus jouer à prendre la place de l'autre. Vijayan s'est donc trouvé un emploi comme barman et moi … Moi, j'arpente les bars en jouant de la guitare comme notre père le faisait autrefois.