Une délicieuse odeur de lasagnes envahissait mon petit studio, ce qui le rendait déjà un peu plus chaleureux. Les murs blancs contrastaient avec les vieux canapés en cuir abîmé et avec le parquet qui avait besoin d'un petit coup de neuf, mais j'étais content d'avoir repeint malgré tout. Ce studio était loin d'être accueillant, c'est sûr, mais j'y travaillais. Affalé dans un des canapés, à ma place habituelle, j'enchaînais des accords à la guitare sans vraiment chercher à en faire quelque chose. Charlie était assis devant le four, observant avec envie la cuisson des lasagnes. J'eus un sourire moqueur et lui lançai :

"T'es un peu con sur les bords quand même, Charlie. Tu sais très bien que c'est pas pour toi." 

Le labrador tourna la tête vers moi et me regarda joyeusement, avant de se reconcentrer sur le four sans comprendre. Je souris légèrement, avant de commencer à jouer Hey Jude des Beatles. Très doucement, d'une façon à peine audible, je me mis à chanter. Ce n'était pas du grand art, mais selon certaines personnes je n'étais pas trop mauvais. Une voix pas toujours entièrement juste, mais agréable à écouter. Et je vous promets que ce ne sont pas mes mots, mais au final, j'avoue que c'est plutôt flatteur. J'en étais au deuxième couplet lorsque j'entendis toquer à la porte. Je fronçai les sourcils, pas du tout habitué à ce qu'on vienne me rendre visite. Généralement, c'est moi qui me déplaçais, n'ayant aucune envie de montrer aux gens où je vivais. Je me levai, abandonnant ma guitare dans le canapé, manquant de trébucher sur Charlie qui adorait les visites. J'entrouvris la porte, un peu méfiant, avant d'y découvrir une jeune fille à première vue adorable. J'ouvris plus grand la porte et lui adressai un sourire doux, avant de lui lancer d'un ton enjoué, me permettant de la tutoyer vu son jeune âge:

"Bonjour ! Je peux faire quelque chose pour toi ?"

J’étais obligé de bloquer Charlie entre mes jambes pour éviter qu’il saute sur la jeune fille devant ma porte. Ce chien avait toujours été sociable, dès le premier instant où je l’avais vu, et j’avais l’impression que c’était de pire en pire. Ce n’était pas facile tous les jours parce que certaines personnes avaient une peur bleue des chiens et du coup je me faisais engueuler quand Charlie venait leur réclamer des caresses, mais au final, c’était tellement bon de savoir qu’il ne ferait pas de mal à une mouche. J’avais entièrement confiance en lui, et je savais que la réciproque était vraie. La jeune fille devant ma porte semblait plutôt timide, et je souris de plus belle en entendant la raison de sa venue.

« Eh bien, bienvenue alors ! C’est plutôt rassurant de savoir que j’ai pas un vieux taré comme voisin. » Je ris doucement, avant de m’écarter pour laisser entrer mon interlocutrice. « Viens, entre. J’espère que t’as pas peur des chiens, parce que Charlie risque de te harceler si je le lâche. Mais t’en fais pas, c’est le chien le plus gentil du monde. »

Je jetai un coup d’œil au labrador entre mes jambes et lui fis un clin d’œil, avant de le lâcher et de le suivre du regard lorsqu’il partit se poster à côté de la jeune fille, joyeusement. Pour le coup, je n’avais pas peur de lui montrer mon studio. Cette blonde venait d’emménager dans le même genre d’endroit, et je savais à quoi ça ressemblait, au début. Il n’y avait absolument rien à part une salle de bains miteuse, un matelas tout sauf confortable et une kitchenette ridicule. Mon chez-moi était déjà un peu plus accueillant parce que je m’étais procuré quelques meubles en plus, certes assez vieux, mais je n’avais pas besoin de plus pour le moment. Des canapés, une table et deux chaises, une petite télé, un lit et un bon matelas, des armoires. Ce n’était toujours pas grand-chose, mais au moins le confort y était. Ensuite il y avait aussi quelques photos de ces trois dernières années, des dessins de couleur faits par moi-même, spécialement pour le studio – des paysages, principalement – et puis quelques petits bibelots en tout genres. Bref, revenons à nos moutons !

« Fais comme chez toi ! » lançais-je avec entrain à la jeune fille en montrant les canapés d’un signe de la main. Je me dépêchai de soulever ma guitare, puis m’assis dans le canapé en face, la posant sur mes genoux. « T’as emménagé quand exactement ? » lui demandai-je doucement, passant machinalement mes doigts sur les cordes de la guitare, alignant quelques accords. Charlie s’assit sagement à côté du canapé, regardant la jeune fille de temps à autres pour lui faire comprendre qu’il voulait des caresses. « Je m’appelle Jack, au fait », ajoutai-je dans un sourire doux, le regard rivé sur la blonde.

Charlie avait trouvé une nouvelle copine et en semblait bien heureux, ce qui me fit sourire. J’étais énormément attaché à ce chien, alors naturellement quand il était heureux je l’étais aussi. Il m’avait accompagné pendant déjà trois ans maintenant et il avait traversé avec moi les premiers jours, très durs, et tous ceux qui avaient suivi. Je ne rentrais pas toujours du boulot de bonne humeur donc il avait à supporter mon humeur massacrante de temps à autres, mais dans ces cas-là il venait se poser sur mes pieds alors que j’étais assis dans le canapé, ses petits yeux pétillants rivés sur moi. C’est lui qui me donnait la force de me lever tous les jours, et j’étais bien content de l’avoir à mes côtés. Alors comme ça, elle était arrivée hier. Pour ma part, je n’avais pas été sociable à ce point-là à mon arrivée. Très peu pour moi l’idée de rencontrer mes voisins, la plupart étant souvent bourrés ou très peu agréables. Il ne suffisait que de voir leur comportement dans le couloir pour se dire que non, décidément, ce n’était pas une super idée d’aller toquer à leur porte. J’en fis d’ailleurs part à la jeune fille, une certaine inquiétude dans ma voix.

« Fais attention quand même, y’a des gens douteux dans cet immeuble. Je vis ici depuis trois ans alors j’ai eu l’occasion d’en croiser la plupart dans les couloirs ou au supermarché, et franchement ça donne pas très envie de faire leur connaissance. » Je ris doucement, habitué au fait de vivre sous le même toit que ces gens-là. La blonde remarqua mes dessins de paysages aux murs et demanda si c’était moi qui les avais faits. « Euh non, c’est… » Je baissai le regard et souris, avant de secouer la tête. « Si, c’est moi. Je déteste montrer ce que je dessine et de toute façon en général y’a personne qui passe me voir ici, mais… Voilà, maintenant tu sais. » Je laissai filer mes doigts sur les cordes de ma guitare, avant d’ajouter : « Au fait, tu peux me tutoyer. J’suis ni vieux ni riche, alors bon… » J’eus un sourire amusé avant de poser mon regard sur mon instrument, continuant à jouer Hey Jude, cette fois sans chanter. La jeune fille me demanda ensuite si je jouais depuis longtemps, et je remarquai l’enthousiasme dans sa voix. « Ca fait… seize ans. J’ai commencé quand j’étais petit et depuis j’arrive plus à m’en passer. T’en joues aussi ? » Je me plantai dans un accord et fis une grimace, avant de continuer comme si de rien était. « Si t’as des idées de chansons, n'hésite surtout pas. Je suis en manque d’inspiration pour le moment. » Petit sourire en coin, concentré sur ce que je faisais. Puis vinrent les présentations. Elle s’appelait Lula. D’ailleurs elle avait semblé hésiter sur son propre nom, ce qui m’arracha un sourire un peu surpris. « D’accord, L-Romy, enchanté », lui répondis-je en rigolant. Je n’avais plus taquiné quelqu’un depuis bien trop longtemps, alors Romy allait en faire les frais, malheureusement. Charlie s’était entretemps couché sur les pieds de mon invitée, signe d’affection. « Il t’adore, on dirait. S’il te dérange n’hésite pas à le virer de là, il le prendra bien, t’en fais pas. »

J’étais loin d’être une de ces personnes douteuses comme il y en avait plein dans ce quartier. Enfin, je pensais en être loin, après on me prenait peut-être pour un taré, à vous de me le dire ! Je vous fais confiance. Le fait que Romy me parle de mes dessins, oui, ça me mettait mal à l’aise. J’avais honte de les montrer à qui que ce soit, c’était plus une façon de m’occuper qu’une réelle passion et puis je ne pensais pas être doué. Du tout, même. Sauf qu’elle me disait que j’avais du talent, ce qui me fit rire. Ce n’était pas moqueur envers elle, je me foutais surtout de moi-même parce que ces bêtes coups de crayons de couleur sur du papier de qualité pourrie ne valaient pas grand-chose à mes yeux. C’était en attendant de trouver de vrais tableaux pour décorer les murs de mon chez-moi, et dès que je les aurais trouvés, je donnerais mes dessins à manger à Charlie. Bon ok, j’exagère un peu, mais c’est l’idée.

« Je signerai mon prochain dessin, pour que tu l’accroches au-dessus de ton lit et que tu l’admires tous les jours. » Je ris doucement, posant mon regard sur un paysage fleuri que je n’avais jamais vu en vrai. Les voyages ce n’était pas pour moi, même pas un bête séjour à la campagne, alors tous ces paysages sortaient tout droit de mon imagination, tout simplement. On se mit ensuite à parler de la musique, et visiblement Romy n’y connaissait rien. Enchaînant quelques accords, nonchalamment, je souris et lui répondis : « Je peux t’apprendre si tu veux. Les bases sont simples, c’est après que ça se complique un peu. Mais il suffit d’être motivé et ça passe. » Elle me demanda ensuite si j’étais capable de jouer Singin’ in the rain. Je me mis à réfléchir, hochant lentement la tête, puis alignai quelques accords pour essayer de trouver les notes et la mélodie. Je ne l’avais jamais jouée mais je la connaissais, tant mieux. Tout en passant mes doigts sur les cordes à la recherche de la note parfaite, je lui répondis, un sourire doux aux lèvres : « C’est très beau comme prénom, Romy. » Après deux minutes de recherche, je me mis à jouer la chanson du mieux que je pouvais, accélérant un peu le rythme au fur et à mesure de la chanson. Je foirai quelques accords, mais repris comme si de rien était après une petite grimace. En arrivant au troisième refrain, sans m’arrêter de jouer mais en ralentissant un peu, je m’adressai à Romy : « Tu sais, ça donnerait mieux si tu chantais en même temps. Et si tu chantes faux, c’est pas grave, l’essentiel c’est que ça mette un peu d’ambiance. » Je souris de plus belle et, pour essayer de la convaincre, je me mis moi aussi à chanter, tout doucement, le regard posé sur elle. Je mélangeais les paroles parce que je ne connaissais pas assez la musique pour pouvoir la chanter correctement, mais je faisais de mon mieux pour ne pas chanter trop faux. En temps normal je n’aurais jamais osé faire ce genre de choses, mais je me sentais plutôt à l’aise avec Romy. Et puis Charlie m’encourageait du regard, ce qui était plutôt rassurant !