Tu étais assise devant ton piano, les yeux rivés vers la fenêtre. Prenant de profondes inspirations, retenant des larmes qui ne voulaient pas être interrompues, tu laissas tes mains danser sur le clavier. Tu laissais la musique parler pour toi. Tu fermas les yeux, ce qui fit tomber les larmes et tu jouas. Comment en étais-tu arrivé là ? Cet instant précis où tu te demandais simplement ce que tu avais dans la vie mise à part cet instrument ? Tu ne le savais pas, perdu dans tes pensées, égaré dans ton passé. Tu laissais ton corps danser avec l’instrument pendant que tu t’égarais dans tes souvenirs.

Ton Irlande natale te manquait, mais vous étiez venue ici pour ton père. Pour son travail d’homme d’affaires. Vous avez perdu votre identité de famille : il y avait lui, d’abord, plus important, plus imposant, celui qui savait tout, même quand il ignorait beaucoup de choses. Il avait la parole divine c'est ce qu'il aimait croire. Puis il y avait vous. Transformé comme de vulgaire objet décoratif pour son image. C’est ta mère qui voulait que tu fasses de la musique, c’était elle qui voulait que tu puisses être quelque chose par toi-même. C’est elle qui a toujours su que tu avais quelque chose d’exceptionnel, et elle ne le disait pas juste pour satisfaire ton égo. Tu n’étais qu’une petite fille timide, qu’une petite fille coincée dans le silence.

Tes doigts devenaient plus agressifs avec le piano, exprimant ta rage intérieure, alors que les larmes continuaient de traverser ton visage de porcelaine. Tu avais du mal à respirer, comme à chaque fois que tu pleurais. C’était comme avoir quelques choses de pesant qui s’appuyait contre ta bouche. Comme un poids qui t’écrasait t’empêchant de bouger. Des mains et tes doigts continuaient se s’agiter sur le piano. Tu vins pincer tes lèvres, les yeux toujours clos. Tu te sentais faiblir, t’effacer, mourir. Aussi misérablement et seule que tu l’étais dans la vraie vie, sans le piano. D’un mouvement de tête tu tentas de reprendre la main sur tes pensées. Qu’est-ce que tu aurais pu faire de plus ? Tu l’ignorais.

Tu t’étais donné corps et âme dans l’art du piano. Ton père ignorait ta passion, et ta mère t’enviait. Tu l’avais dans le sang, c’était comme une part de toi. Petite chose fragile qui faisait gronder un objet aussi imposant. Lui donnant vit. Ça te permettait de t’exprimer, ça te permettait d’éviter d’être là quand tes parents se disputaient. Tes doigts faisaient crier le piano.  Mais sans lui, tu continuais de baisser la tête, d’avoir peur de parler, d’être trop visible. Tu te cachais. Ton père lui était trop occupé avec son travail et ta mère trop occupée à pleurer. Le froid prit possession de votre famille, qui n’en était déjà plus réellement une.  Tu restais simplement dans cette pièce, seule, regardant par la fenêtre.  Tu n’avais pas d’amis, ils se moquaient de toi, car tu avais peur de parler, car tu devais te reprendre sur chaque phrase, butant inlassablement sur un mot, où répétant le même son, bloqué, car ils te regardaient. Tu grandis comme une petite fille triste. Craignant de plus en plus les autres, ils étaient simplement mauvais, incontrôlables et imprévisibles. Ils aimaient blesser avec des mots, comme si cela pouvait être marrant. Tu grandis comme une petite fille apeurée. Craignant simplement qu’on te remarque. Tu voulais devenir invisible.

Alors que tu arrivais à la fin de ton morceau tu ouvrais les yeux. C’était fini. Tu pouvais à nouveau respirer, t’accorder la grâce que tu ne méritais peut-être pas réellement. Tu ne ressentis pas du soulagement, mais une certaine paix. Tu te levas et approcha de la fenêtre et tu aspiras l’air en goulées bruyantes, impatientes, chaotiques, perdues entre plusieurs sanglots. Peu à peu tu reprenais conscience de ton cœur qui battait à tout rompre. Tu avais mal, tu souffrais, mais c’était normal. C’était comme ça lorsqu’on était dans ton cas, lorsqu’on perdait un être cher. Ta mère. Ton soutient. Elle avait trop pleuré à cause de ton géniteur. Elle avait trop été mise de côté, tu n’avais pas réussi à combler le vide. Ce manque d’amour qu’il y avait dedans, elle avait sombré. Elle avait oubliait que tu l’aimais surement, tu ne le lui avais peut être jamais assez dit. Tu avais du mal avec ce genre de mot. Mais elle avait décidé de vous laisser là. Elle avait décidé que c’était la fin pour elle. Et elle te laissait donc seule avec ton piano.