C'est le dix-sept octobre mille neuf cent quatre-vingt-douze, sous le soleil de Denpasar, à Bali, que je suis née. J'étais le second enfant d'une famille d'aventuriers qui parcouraient le monde depuis déjà six ans. Ma mère et mon père étaient tout deux biologistes. Ils s'étaient rencontrés sur les bancs d'une université américaine une dizaine d'année auparavant, étaient tombés éperdument amoureux et une fois diplômés, avaient décidé de faire leur métier en parcourant le monde. Je connaissais pas deux personnes qui s'aimaient plus que mes parents et grâce à eux, j'avais passé les premières années de ma vie à contempler des paysages époustouflants.

C'est à l'âge de huit ans, et alors que, mes parents, ma grande sœur, mon petit frère âgé de cinq ans et moi-même, étions au Kenya depuis trois mois, que ma mère a été infectée par la malaria. Quelques jours plus tard, elle décédait, laissant mon père abattu et nous, ses enfants, quasi-orphelins. Car après sa mort, mon père n'a jamais été le même. Il avait perdu le goût à la vie et surtout, il ne voulait plus voyager. Nous sommes alors rentrés aux Etats-Unis. Nous nous sommes installés à Chicago, la ville dont ma mère était originaire. Les premiers mois, mon père restait enfermé dans sa chambre jours et nuits, et nous étions donc laissés à la charge de nos grands parents maternelles. C'était un petit couple de sexagénaires un peu délurés qui, malgré la peine causée par le décès tragique de leur unique fille, avaient réussi à garder une véritable passion pour la vie et remplissaient nos cœur de l'amour qu'on ne recevait plus. Cependant, j'avais beaucoup de mal à me faire à cette nouvelle vie. Moi qui n'avait jamais vécu dans une grande ville, qui avait toujours été très libre, je me sentais emprisonnée. Je me comportais d'ailleurs comme une sauvage, car très secrètement, je nourrissais l'espoir qu'un jour mon père décide qu'il était temps qu'on reparte à l'aventure.

Après quelques mois d'attentes, je me suis rendue compte que ce jour n'arriverait jamais et j'ai donc fini par accepter cette vie qui était mienne. Avec cette acceptation, mon comportement lui aussi à changer. Il n'était plus question pour moi de faire vivre un enfer à mes grands-parents qui étaient définitivement les seuls adultes sur lesquels je pouvais compter. J'étais donc plus facile à vivre, plus coopérante. Et peu à peu, je me suis rapprochée de mon grand-père. En vérité, c'était un homme qui me fascinait. Il avait une capacité incroyable à rire de tout, il racontait toujours ses histoires avec passion et hardeur, et puis c'était un merveilleux artiste. Il dessinait et peignait avec une aisance folle et un talent sûr. C'était très simple pour moi, plus tard, je voulais être exactement comme lui. Je passais donc tout mon temps libre avec lui et bien souvent, lorsque nous étions tous deux entrain de dessinaient, je surprenais les regards émerveillés de mon grand-père, qui je le sais, trouvait que je ressemblais à ma mère au même âge. Et à l'époque, je ne me doutais pas à quelle point cette ressemblance qu'il avait décelé se conforterait avec les années et me porterait préjudice.

À treize ans, j'avais fait le deuil de ma mère et celui de la famille joyeuse et épanouie que nous formions avant sa mort. Nous nous étions installés dans une petite maison, dans un quartier populaire de Chicago. Mon père s'était enterrer sous une montagne de travail et les rares moments où il était libre, il les passait à vider des bouteilles d'alcools bon marché. En vérité, il faisait tout pour ne pas s'occuper de nous. Ma sœur avait grandi trop vite, elle avait pris la place de notre mère et s'entêtait dans ce rôle qui n'était pas le sien. Mon frère ne parlait plus vraiment à personne, il se réfugiait dans ses livres et comme moi, il passait peu de temps à la maison. C'était devenu invivable. Mais j'essayais de poursuivre ma vie. J'avais perfectionné mon coup de crayon, appris à jouer de la guitare et j'avais même eu un copain. J'étais plutôt heureuse même si parfois je me sentais perdue.

J'ai commencé à sérieusement déraper à l'âge de quinze ans, quand je me suis rendue compte que mon père avait recommencé à se conduire comme un père avec ma soeur et mon frère mais pas avec moi. Il passait son temps à m'éviter et quand par hasard on se retrouvait au même endroit, il faisait tout pour ne pas poser les yeux sur moi. Je savais que c'était parce que je ressemblais de plus en plus à ma mère et qu'il le supportait pas. Mais il me faisait payer pour un truc qui était indépendant de ma volonté et je le haïssais pour ça. Parce que à cause de lui, je me sentais mal, je me détestais. Alors, je faisais un peu n'importe quoi, je traînais avec des voyous, je connaissais trop bien les dealers du coin et puis j'étais devenue la fille facile du quartier. C'était pas vraiment la joie.

Heureusement, je me suis sortie de cette mauvaise passe mais entre mon père et moi rien ne s'est arrangé. Et quand, un peu avant mes dix-huit ans, il a décidé d'aller s'installer à Marple Spring avec ma soeur et mon frère, j'ai décidé de pas les suivre. Je suis donc restée avec mes grands-parents, qu'étaient plutôt contents d'avoir de la compagnie et j'ai continué à vivre ma vie sans eux.

Quand j'ai terminé le lycée, j'ai décidé de ne pas poursuivre mes études parce que j'étais pas franchement douée et aussi parce que ça m'intéressait pas. Je suis quand même partie de chez mes grands-parents, bien décidée à faire le tour des Etats-Unis. J'ai pas mal bougé à cette époque, subvenant à mes besoins grâce à des petits boulots. Je me débrouillais plutôt bien. Et je me sentais bien et j'étais heureuse, même si les seules nouvelles que j'avais de ma famille venait de mes grands-parents.

Et puis, à vingt-et-un ans et quelques mois, j'ai eu un coup de foudre. Je suis tombée sous le charme de Los Angeles et j'ai décidé de m'y installer pour de bon. Et tout était parfait. Jusqu'à ce que ma soeur, il y a environ deux semaine, m'appelle et me supplie de venir au chevet de mon père mourant. Et me voilà aujourd'hui, dans une ville où je voulais pas mettre un pied, entourée par des gens que je ne connais plus et au chevet d'un homme qui ne me regarde même pas.