« Comment as-tu pu laisser faire ça Kristoffer ? C’était ma fille. Mon unique fille et tu m’as tout enlevé car tu voulais déménager ! Elle n’était même pas d’accord j’en suis certaine … Toute façon Johanne était sûr que tu briserais notre famille, j’aurai du l’écouter. » L’homme s’affala sur la chaise tandis qu’il se tenait la tête entre les mains. Il ne pouvait rien dire, il ne pouvait plus rien dire en réalité puisqu’elle avait totalement raison. Des larmes roulaient sur ses joues tandis que ses mains tremblaient. Il devait contenir ses émotions, il ne devait rien dire. Elle avait raison, il avait tord, point barre. C’était sa femme, c’étaient ses enfants, ses petites perles et il avait tout gâché. Il avait gâché sa vie pour une unique raison. Mais pourtant, il était certain. Cette maison était tellement belle, dans un endroit si calme mais surtout beaucoup plus propice à la vie. Une maison qu’il avait trouvé lui-même dans ses annonces mais qu’il avait refusé de mettre en vente … Son patron était d’accord. Elle leur appartenait. Et sa femme, si douce soit-elle, avait accepté bien évidemment. Elle l’aimait tellement … Ils avaient tout préparé à l’avance, tout, sauf le climat. Sauf ce foutu blizzard.

A croire que cette ville, Tromso, refusait qu’il la quitte. Il y était née, il avait vécu, il s’y était même marié et était devenu père. Oh bien sûr, au départ, il l’aimait sa ville. Elle l’avait rendu heureux. Bon, fallait s’habituer au climat. L’hiver était très long, souvent très enneigé et l’été très chaud. Un climat dont seul les habitants en connaissent le secret. Malheureusement, les secrets sont faits pour être gardés, mais surtout la ville a passé un pacte silencieux avec ses habitants : nul ne quitte la ville. Et ça, le blond l’a su qu’au moment où il avait prit la décision de partir. Au moment même où il en avait parlé, il eut l’impression que tout avait changé. Comme si la Nature elle-même refusait son départ. La neige était apparue beaucoup plus tôt cette année, les animaux étaient repartis en migration, mais surtout les tempêtes étaient beaucoup plus fréquentes. Comme si l’Univers entier refusait qu’il quitte cette foutue ville. Et le pire dans tout ça, c’est que sa famille entière était derrière lui. Que sa femme acceptait ce choix. Que ses gamines étaient heureuses car elles savaient qu’en prenant cette maison, elles auraient un chien. Il leur avait promit. Alors, il partirait de tout ça, il quitterait cette ville et accomplirait le rêve de ses filles.

Mais bien sûr, ce ne fut pas du tout comme il l’aurait espéré. Assit sur cette chaise d’hôpital, en face de la morgue, il se rappelait parfaitement de ces dernières heures. Il se rappelait de tout malheureusement. Il revoyait toutes les images, n’importe lesquelles et sa haine ne cessait de grandir. Pas la haine contre le monde comme n’importe quelle personne en deuil, mais la haine contre lui-même. Quel con, il avait pu être sincèrement ! Elles n’avaient que quinze ans, elles avaient toute la vie devant elles. Et sa femme … Sa femme attendait leur dernier fils. Et il avait tout brisé. Comment avait-il pu faire ça ? Comment avait-il pu être si égoïste ? Comment avait-il pu ne penser qu’à lui ? Mais surtout, pourquoi avoir affronté ce blizzard alors qu’il aurait pu attendre le lendemain ? Qu’est-ce qui était si urgent ? Il ne comprenait pas. Soudain, le Norvégien se leva et balança la chaise dans la pièce, fracassant une fenêtre et la vieille dame sursauta en reculant de peur. Il finit par entrer dans la morgue, tremblant comme une feuille et avançant très lentement vers les trois corps allongés. Il s’approcha délicatement de la femme brune, couchée les yeux fermés. Et là, sans s’en rendre compte réellement, il était à genoux, la tête dans la poitrine du cadavre et pleurant à chaude larmes en hurlant une litanie de « non ». Il se détestait réellement. Il ne s’était jamais détesté autant en réalité.

Kris se releva rapidement, déposa un baiser tendre sur le front de chacune de ses filles et sortit de la morgue. Il regarda une dernière fois la vieille dame, qui pleurait, adossé au mur et soudain partit en courant. Il ouvrit les deux portes de l’hôpital à la volée et rejoignit sa voiture. Il démarra rapidement, peut-être trop puisqu’il cala. Mais bien sûr, il redémarra et roula aussi rapidement qu’il le put. Le blizzard s’était stoppé depuis plusieurs heures maintenant et seule la neige persistait. Il ne faisait même plus attention au dérapage qu’il pouvait faire, ni même des tonneaux qui le menaçait. Il s’en moquait parfaitement. Tout ce qu’il voulait, c’était quitter cette foutue ville, ce pays même. Ils lui avaient tout pris. Alors, après plusieurs heures de route, il se retrouva à l’aéroport de Bergen. Il arrêta en fracas sa voiture et descendit. Là, il courut comme il le put, bousculant toutes les personnes présentes. « Détroit. » Il ne connaissait pas, mais il s’en moquait. Il voulait juste tout quitter. Alors, il prit un billet et monta dans le premier avion. Quand celui-ci décolla, il poussa un profond soupir et sans prévenir s’endormit, les émotions l’avaient épuisées.


Cela faisait bien trois ans qu’il était dans cette petite bourgade maintenant. Il ne sait même pas pourquoi il est venue dans cette ville, ni même ce qui avait bien pu l’attirer ici. En réalité, rien de bien particulier. Il avait juste laisser rouler le train, sans s’inquiéter de la destination. Il voulait seulement tout oublier, il voulait seulement s’évader. Et il avait réussi. Il avait même fini par, presque, aimer cette petite ville. Mais rien ne pourrait le dissocier réellement de la Norvège. Rien ni personne. Heureusement pour lui, ses notions en immobilier et surtout son CV plus long que le bras avaient suffi à ce qu’il se fasse un nom. Assez pour qu’il ouvre un cabinet : «  Bakken’n’stud. » d’immobilier. Un magnifique cabinet. Mais bizarrement, il n’en était même pas fier au final. Il n’aimait même plus son métier. Dorénavant, il préférait rester chez lui, seul, mais surtout tranquille. Les gens l’insupportaient, l’exaspéraient.

Aujourd’hui tout était différent. Il ne cessait de voir leur visage, d’entendre leur voix et surtout de les entendre lui crier des injures. Il avait l’impression de devenir fou, au point qu’il ait retrouvé son Glock 31 dans sa voiture. Où étaient-elles ? Que lui voulaient-elles ? Que pouvait-il faire ? A part se suicider ? Délicatement, il présenta l’arme à sa bouche, avala une bouteille de whisky entière et ferma les yeux, les larmes roulant sur sa joue. Son doigt tremblait sur la gachette tandis que l’arme s’enfonçait davantage dans sa bouche. « Papa, non ! Tu as encore tellement vie devant toi, nous t’attendrons toutes, je te le promet. » Le visage de sa gamine était devant lui, le fixant avec un sourire tendre. Rêvait-il ? Il s’en moquait. Elle venait de lui mettre la plus grande claque de toute sa vie et pour elle, il accepterait. Il tiendrait sa promesse de les rendre heureuse jusque sa mort. Alors, il se leva difficilement, cacha son arme sous son matelas et alla dans la salle de bain. Il passa un grand coup d’eau sur son visage et sortit de chez lui.
Il était déterminé à survivre désormais. Pour elles.