L’Australie, terre hostile à l’homme pour les voyageurs qui n’ont jamais connus un endroit où les humains se plient aux règles imposées par la nature. C’était un pays cher au cœur d’Hannah lorsqu’elle y vivait encore. Elle aimait les balades le long des plages de sable fin, l’eau turquoise où un soleil de plomb se reflétait, rendant le port de lunettes de soleil obligatoire. La jeune femme passait de longues heures à observer l’océan en se demandant ce qu’il pouvait y avoir de l’autre côté. Une terre inconnue, tellement différente de la sienne, différente et semblable en même temps.

Hannah était la cadette d’une fratrie de trois enfants. Deux jumeaux étaient nés avant elle. Sa famille était des plus banales, une mère aimante mais débordée et un père attentionné qui lui a appris à survivre peu importe les obstacles qu’elle aurait à franchir. Très jeune, elle préférait se débrouiller seule, chercher la solution aux problèmes de la vie avant de se relever et d’avancer plus vite, plus loin encore. Bricoleuse et travailleuse acharnée, elle voyait bien que ses parents avaient des difficultés pour joindre les deux bouts. Sa naissance était imprévue mais elle fut accueillie avec tellement de joie, de bienveillance que jamais elle ne leur en voulu lorsqu’elle entendit qu’elle n’aurait pas dû être là. C’était une famille unie, un front contre le monde, les Morgils. Ce fut lorsqu’elle sonna ses onze ans que le couperet tomba. Après des semaines de quintes de toux, la mère d’Hannah se mit à cracher du sang, encore et encore. Il fallut à peine deux semaines pour que le diagnostic ne tombe. Cancer de l’œsophage à un stade bien trop avancé pour avoir recours à une opération salvatrice ou non. La famille fut terriblement secouée mais resta étonnamment unie face à ce combat perdu d’avance. Doucement mais sûrement, la demoiselle prit la place de mère de famille plus vite qu’il ne fallait pour le dire.

Elle veillait sur ses grands-frères âgés de dix-sept ans et sur son père. Puis, quelques mois après l’annonce de la maladie, Elvira finit par succomber, perdant la guerre face au cancer. Jamais Hannah ne sut que l’homme de la maison avait mit fin aux souffrances de son épouse bien aimée. Les années passaient et la jeune femme commençait à rêver d’un nouvel environnement, extériorisant sa peine en dessinant autant que possible. Et elle était plutôt douée pour ça. Ses frères la soutenaient mais son paternel refusait de la voir prendre le chemin maternel, il avait si peur que la désillusion habite le regard de sa chère fille. Mais, le refus catégorique avait l’effet inverse sur la demoiselle qui, au lieu d’arrêter, se contenta de cacher ses croquis et de rester la petite fille sage qu’elle avait toujours été. L’adolescente se mit très tôt à travailler, elle commença par du babysitting puis alla jusqu’à servir de la nourriture dans un fastfood côté de Sydney. Elle avait hérité du côté battante de son père et du goût de l’effort par sa mère. Mais, son rêve était de partir de l’Australie, de tout quitter pour commencer une nouvelle vie.

Rien ne se passe réellement comme prévu, sur le chemin du destin. L’amour frappa à sa porte alors qu’elle n’avait que dix-sept ans. Il était beau, propre sur lui et avait un sourire à damner les dieux eux-mêmes. Hannah tomba amoureuse de son professeur d’histoire. Il avait vingt ans de plus mais elle s’en fichait tellement. C’était totalement secondaire à ses yeux et visiblement à ceux de l’homme de sa vie. Ils prirent rapidement un appartement ensemble malgré l’inquiétude grandissante du père d’Hannah. Elle était tout juste majeur après tout. Pendant trois ans, ils vécurent un bonheur sans tâche ou du moins en apparence mais le rêve se brisa en plein vol lorsque la jeune femme se rendit compte que celui qu’elle aimait plus que tout au monde la trompait avec l’une de ses élèves. Ce fut réellement dur à avaler pour la pauvre enfant qu’elle était. Malgré ce défi à relever, Hannah prit une décision radicale, elle laissa sa chère famille et cet idiot derrière elle, prenant l’avion pour les Etats-Unis après avoir obtenue un visa de travail d’un an.

La vie à New-York fut bien plus difficile qu’elle ne l’avait imaginée, la petite australienne. Cela ne dura pas longtemps, à peine six mois. Jusqu’à ce qu’on lui parle d’une petite ville au nord des USA, le genre d’endroit typique qu’on voyait dans les séries B, le genre que la demoiselle rêvait de voir de ses propres yeux, d’y avoir une maison pittoresque avec un jardin et un chien. Aventureuse et n’ayant rien à perdre de toute façon, elle accepta de se rendre à Marple Spring. Ce fut un véritable coup de cœur pour cet endroit aux antipodes de Sydney, de sa ville de naissance. Elle y trouva un petit job de serveuse dans un bar où différents groupes venaient jouer régulièrement. C’était si différent de l’Australie ou de New-York qu’elle se sentait comme chez elle. Le temps fila comme un éclair, comme une sieste bien trop courte où on a l’impression que le sommeil n’a duré qu’une seconde. Cinq ans s’étaient écoulés depuis son arrivée dans cet endroit qu’elle chérissait. Elle avait un petit appartement parfaitement rangé, un chat nommé Gutenberg et des dessins collés sur les murs de sa chambre. Une photo de famille trônait fièrement sur sa table de nuit. Parfois, elle lui manquait terriblement, les blagues idiotes de ses frères, le rire franc et honnête de son père et surtout les caresses maternelles de sa défunte génitrice.

Fière de son célibat, elle se sentait enfin à sa place, bien dans sa tête et dans ses bottes. Malgré tout, indépendamment de la taille de la ville, il arrivait que des rencontres étonnantes venaient changer le cours de son destin presque trop bien tracé. Un soir comme un autre, la demoiselle devait virer les piliers de bar qui avaient oubliés l’heure de la fermeture. Il était tard et elle était fatiguée. Un chanteur que parfois, elle observait, l’aida à les renvoyer puis il traça sa route, elle aussi. Mais ce soir fut décidément bien différent des autres. L’un des habitués alcooliques vint l’aborder pour lui demander du feu avant de sortir un couteau pour voler les tips de la pauvre demoiselle qui lui donna sans résister. Ne pas faire de folie, penser à sa vie avant tout. Mais, il avait la rancune tenace, le petit idiot. Il avançait, faisant reculer la barmaid contre le mur du bar, dans une ruelle perpendiculaire. Un cri lui échappa lorsqu’il refusa de se pousser et qu’il commença à la toucher. Non. Pas ça. Surtout pas ça. Quelqu’un. Au secours…

Pourquoi cela lui arrivait-il à elle ? Elle qui ne désirait qu’une vie tranquille sans problème ? Elle avait à peine le temps de penser qu’elle vit l’agresseur tomber au sol mollement, touché en plein visage par le poing puissant du chanteur qu’elle reconnut en un clin d’œil. C’était quoi déjà son prénom ? Oskar. Oskar… Trop sonnée pour réagir, elle se laissa reconduire jusque chez elle par ce chevalier des temps modernes sans même avoir la présence d’esprit de le remercier. Elle avait été élevée avec les cochons ou quoi ? Ce fut lorsqu’elle était nue sous l’eau de sa douche qu’elle se rendit compte de sa bêtise. Hannah se promit de le remercier comme il se devait la prochaine fois qu’elle le verrait au bar, elle lui devait au moins ça. Non ? Ne pas oublier son nom, même si on visage resterait à jamais gravé dans la mémoire de la jeune rousse. Oskar. Merci.

Suite à cette agression qui ébranla la demoiselle, elle prit plusieurs décisions. La première fut de se balader avec une bombe au poivre dans son sac à main. Et la seconde fut de prendre des cours d’art martial en ville pour pouvoir se défendre au cas où son chevalier ne serait pas présent si une prochaine foi arrivait. Toujours se relever et avancer. Sa mère serait fière d’elle, de sa nouvelle vie, de ce sourire qui, malgré tout, restait accroché à son visage.