Naître dans une famille importante, ce n’est pas donné à tout le monde. Ici, à Monaco, c’est beaucoup plus complexe qu’on ne le croit. J’ai entendu dire que souvent le peuple nous regarde et nous envie. Croyez-moi que lorsque je dis que je les envie, eux, ils se moquent de moi. Et pourtant, s’ils connaissaient la réalité derrière ces paillettes, ils n’échangeraient pas leur vie avec la mienne. Et s’ils le faisaient, ce serait eux qui seraient perdants. Le peuple est souvent décrit comme étant ‘petit’, mais ils sont néanmoins d’une intelligence incomparable. Et surtout, réalistes. De mon côté, j’ai toujours fait ce qu’on attendait de moi. Comme je suis née dans une famille importante, une famille au sang royal, c’est... particulier. Cela demande de l’attention. Ma mère est la 10e héritière du trône de Monaco, ce qui fait de moi une héritière également. Ce n’est pas quelque chose que j’ai voulu. Enfin, j’ai toujours fait ce qu’on attendait de moi, ce qu’on attendait d’une héritière modèle. Dans cette vie où chacun nait avec une cuillère en or dans la bouche, j’ai l’impression qu’il me manque quelque chose. J’ai l’impression qu’il me manque un morceau, une part de moi et c’est difficilement explicable. L’émotion en soi est complexe à décrire. C’était comme s’il y avait un puzzle sous mes yeux et dans ce puzzle, je suis un morceau. Le morceau dans lequel je suis rattachée, il est manquant. Un peu comme dans mon cœur, il manque quelque chose. J’ai beau grandir, j’ai beau passer à autre chose : ce vide ne me comble pas.

Néanmoins, je peux dire que j’ai eu une belle enfance et même un bon temps en tant qu’adolescente. J’ai fréquenté les meilleures écoles, j’ai eu les meilleurs modèles. J’ai pu voir à plus d’une reprise la famille royale de la Grande-Bretagne et celle de Monaco qui sont des cousines éloignées. Mes parents n’ont jamais eu de problème à ce que je perde le contrôle, même au contraire, ils m’encourageaient à le faire... Mais ils me forçaient à le cacher. Cacher mes cuites d’adolescentes, cacher mes descentes aux enfers. Je les ai écouté et jamais, je n’ai eu de problème. Ce n’est pas moi qui a des problèmes d’autorité, oh que non. Et puis, après tout, nous avions du personnel prêt à s’occuper de nous, de moi. Ces gens sont toujours restés près de notre famille jusqu’à tout récemment.

Je devais avoir 19 ans lorsque mes parents m’ont annoncé qu’ils avaient trouvé mon futur époux. J’étais déconstruite. Eux-mêmes avaient eu un mariage de raison et ils ne comprenaient pas pourquoi leur seule fille n’en ferait pas autant en sachant que j’avais une lignée presque parfaite en tout point. Mon prétendant allait devoir être aussi... parfait en tout point. Enfin, presque. C’est à l’âge de 22 ans que je me marie devant l’église, où je fais vœu de fidélité et d’amour. Et il en a fait autant.

J’ai fait ce vœu, ce vœu qui ne voulait rien dire pour moi. Des mots qui se sont dits avec de faux sourires, des mots qui m’ont déchirés le cœur à mesure qu’ils en sortaient de mes lèvres. Le lendemain de la nuit de noces, toute l’ambigüité a laissé place à des gestes brusques, violents. Mon mari ne s’est pas gêné pour me balancer quelques coups en privé lorsqu’une blague ne le faisait pas rire, lorsqu’une bouteille de vin n’était pas assez bonne pour lui. Il me frappait du moment qu’il échappait quelque chose. J’écopais de tords dont je n’étais nullement responsable. J’encaisse les coups et je souris devant tout le monde. Après tout, n’est-ce pas ce qu’une socialite doit faire?! Je tente de me consacrer au travail et mes talents d’actrice doivent être au point puisque personne ne se rend compte de rien... Je suis brisée et on me brise davantage chaque jour que ce soit avec des insultes ou avec des coups. J’encaisse.

J’encaisse parce que c’est plus facile. C’est plus facile de le dire en écrit sur Internet. C’est beaucoup plus facile d’admettre que je suis une femme battue sous un pseudonyme. Personne ne retracera jamais Audrina Casiraghi. Je trouve refuge sur les pages Web qui se succèdent sous mes yeux. Peu à peu, je me lie d’amitié avec d’autres personnes qui trouvent la vie aussi difficile que moi. Je tente peu à peu de remonter la pente, de trouver le courage d’annoncer un divorce ou une autre façon de vivre, je n’en sais trop rien.

Le cadavre de ma mère est retrouvé la journée où j’allais lui annoncer que je quittais ce mariage de raison. J’ai retrouvé ma mère en train d’agoniser sur une chaise dans la demeure familiale. J’ai retrouvé ma mère avec des médicaments et du vin à profusion, une aiguille plantée dans le bras. Je repense à l’image et mes membres menacent de devenir de vulgaires bouts de chiffon. Je retrouve deux lettres, une à mon intention et une à mon père. Je prends possession de la mienne et bien que les mots viennent me chercher, je suis dévastée. Dévastée de savoir que ma mère bien aimée connaissait mon secret avant de s’enlever la vie. Elle me supplie de divorcer lorsque je le pourrai et qu’elle sera avec moi, de là-haut, avec les anges.

Brisée, je n’arrive plus à encaisser. Je pleure les jours, je pleure les nuits. Même les coups de mon mari ne me font pas aussi mal que la vérité que j’affronte tous les jours : ma mère savait. Je prends mon courage à deux mains alors que nous commençons le mois d’août. Je demande à mon père si je peux quitter le pays quelques temps. Les obsèques ont eu lieu au cours de la dernière semaine et je n’ai plus le courage de rien affronter. J’explique à mon père que le deuil de ma mère est grand. Mon père me propose des vacances, de prendre du repos. Le temps que cela me sera nécessaire. Je lui propose de travailler à distance, mais il insiste pour que je prenne du mieux, le plus loin possible. Sa seule demande est de savoir où je serai. Il insiste également pour que je prenne un membre du personnel royal avec moi, il préfère me savoir en sécurité et bien nourrie. Je ne peux tristement, rien lui promettre. J’emballe mes affaires, je laisse une lettre avec des mots neutres à mon époux et je quitte ma terre mère. Habituellement, le retour se fait rapidement en tant qu’ambassadrice du pays. Mais, cela ne sera pas le cas. Pas cette fois-ci. Je dois me reconstruire en tant qu’humain, tel qu’on me l’a suggéré, mais également faire le deuil de ma mère.

Je ne veux pas être seule. Je veux qu’il me rejoigne à Marple Spring. Il sait qui il est. Je sais user de persuasion, mais je voudrais qu’il vienne me rejoindre. Qu’il vienne me réconforter et je lui confierais les dernières miettes encore intactes de ma personne. D’ici là, je tâcherai de me reconstruire comme cela est possible de le faire en sol américain. !