« Il parle de puanteur morale ; la puanteur de l'âme, voyez-vous cela. »

VII.II.MCMLXXVI ; détroit ; états-unis d'amérique
Il pleuvait, il faisait froid. Ainsi naquit Lloyd Artiom Simonenko, fils de Viktoriya Volodymyrivna Simonenko et d'un inconnu qui n'a jamais reconnu l'enfant mais qui s'est tout de même permis d'imposer un prénom. Viktoriya Simonenko était une immigrée, elle était venue en cachette grâce à des hommes effrayants qui venaient régulièrement lui demander de l'argent. Heureusement, son fils était américain par droit du sol. Elle parlait mal anglais, elle était jeune et jolie. Elle était toujours de sortie, la nuit, dans des quartiers mal famés, et ne revenait qu'au petit matin. C'était la vieille voisine qui gardait Lloyd les soirs, quand il était bébé. Elle était gentille, cette vieille. Elle faisait passer des provisions et parfois de l'argent.

X.IV.MCMLXXXVI ; odessa ; république socialiste soviétique d'ukraine
Lloyd avait tout juste dix ans, il venait d'être éjecté en Ukraine, ce pays dont il ne savait quasiment rien. Certes, il parlait la langue, sa mère ne s'adressait à lui qu'en ukrainien, ou parfois en russe, mais il ne faisait pas encore la différence entre les deux idiomes. Il fut pris en charge par des hommes tatoués et aussi effrayants que ceux qui leurs rendaient visite à lui et à sa mère à Detroit. D'ailleurs, pour eux, il n'était qu'Artiom le rejeton de la petite Vika Simonenko qui était venu pour se rendre utile. Il n'était pas scolarisé et se chargeait de petits boulots peu compliqués. Il transportait du courrier, aidait les femmes en cuisine, s'occupait des enfants plus jeunes, apprenait des rudiments d'anglais à certains hommes et lisait dès qu'il avait du temps libre.

-.-.MCMXCII ; odessa ; ukraine
Plus il grandissait, plus Tioma faisait des choses difficiles. Ça faisait déjà six ans qu'il vivait à Odessa, il fumait et avait déjà reçu son premier tatouage. C'était un homme, à présent. C'est également cette année qu'on lui remit sa première arme entre les mains. Les hommes avaient remarqué que le petit avait une excellente vue. Il fallait mettre ça à profit. Artiom fut envoyé à Kiev où des hommes encore plus importants et avec encore plus de tatouages lui apprenaient à tirer, à se servir de différents calibres. C'est à cette époque qu'il comprit que si sa mère, la pauvre Vika, l'avait envoyé ici, c'était pour régler des dettes. Pour rembourser son passage hors d'Union Soviétique. Il s’avéra d'ailleurs qu'il était déjà beau garçon. Alors il était offert aux Femmes. Il était offert aux Hommes. Il était offert, mais seulement aux plus offrants, comme un caviar venu d'Iran. Tout était bon pour faire rentrer l'argent.

-.XII.MCMXCV ; moscou ; fédération de russie
Ils ne mentaient pas, quand ils disaient que l'hiver russe était rude, la douceur du climat de la mer Noire lui manquait particulièrement. Artiom était perché sur un toit, avait sa cible en joue, s'apprêtait à appuyer sur la gâchette. Et il l'a abattu. En pleine rue. Les Russes étaient d'une étonnante placidité. Après avoir appris à tirer, il avait appris à tuer. C'était aussi logique que ça. Au début, il avait peur, comme tous les autres avant lui. Maintenant, il tirait comme mécaniquement. Car c'était son métier, car il ne savait faire que ça. Tirer et lire. Tout cet argent, cet argent ranci, il en donnait la majorité à des vieux et des gamins d'Odessa, en envoyait à sa mère restée aux États-Unis, et en gardait juste assez pour vivre. On lui faisait passer des armes toujours plus performantes, il descendait des cibles toujours plus importantes, toujours plus anonymes. Ce n'était que des noms sur des listes. Pas des êtres humains.

XV.XVIII.MMXII ; détroit ; états-unis d'amérique
Après avoir été ballotté d'un bout à l'autre de l'ex Union Soviétique, Artiom finit par échouer à Détroit. Il disait qu'il voulait se ranger, que ses maux de têtes étaient trop fréquents pour qu'il continue à forcer autant sur ses yeux, qu'il voulait transmettre son goût pour les belles lettres. On lui avait trouvé un poste de professeur dans un médiocre lycée de campagne, près de sa ville natale. Ce n'était pas vraiment ce qu'il attendait. C'était toujours mieux que rien. Il avait une maison, aussi, petite mais jolie. Il préparait sa rentrée scolaire. Il était à nouveau Lloyd Simonenko, monsieur Simonenko le prof de littérature. Il n'était plus Artiom le tireur. Il n'était plus l'homme dont l'expérience est encrée dans la chair. Était-ce seulement réel ?

On n'échappe jamais vraiment à la mafia.

XX.II.MMXV ; marple spring ; états-unis d'amérique
Lui mieux que quiconque aurait dû le savoir. Rien n'est gratuit. On ne lui avait pas demandé son avis, on lui avait mis une jeune fille entre les pattes. Elle s'appelait Tatiana, un beau nom de martyr. Elle était jolie. Elle n'avait pas de papiers. Il devait la nourrir et la loger, lui enseigner un anglais plus juste que le peu qu'elle avait appris à l'école et, surtout, récupérer un pourcentage important des bénéfices qu'elle faisait. Lloyd était devenu ces hommes effrayants et tatoués qui venaient voir sa mère quand il était gamin. Enfin, au moins elle avait l'air vive d'esprit, passionnée comme une Tatiana Larina. Peut-être qu'il pourrait en tirer quelque chose, finalement.