Il ne sait pas ce qu'il fout dans cette ville. Depuis qu'il est gosse, c'est aux grands boulevards qu'il est habitué et non à ces petites ruelles dont on a fait le tour au bout de trois jours. Il aime les découvertes, les challenges, pas le train-train quotidien qui s'installe. Il y est depuis une semaine et cette semaine le fait déjà se sentir vieux alors qu'il n'a que vingt et un ans. Il n'est généralement pas de ceux qui font le point sur leur vie mais la liqueur brune dans le verre qu'il tient à sa main gauche l'aide à réaliser cette étape même si l'analyse de sa vie ne sera pas des plus objectifs. S'il y a bien une chose qu'il déteste c'est le fait de se poser des questions sur qui il est et ce qu'il a pu faire de bien ou de mal depuis qu'il est en âge de comprendre cette nuance. Et si sa vie toujours bien mouvementée de Chicago l'empêchait de se poser ainsi, c'est l'ennui profond que cette ville lui inspire qui le pousse à réaliser ce bilan. Il a l'impression d'être l'un de ces avocats des affaires qui signe la faillite d'une entreprise et cette entreprise, ce soir, c'est lui. Il est dix-neuf heures et c'est le deuxième verre déjà à moitié vide qu'il termine d'une traite.

Forever young

La famille n'a jamais été plus important que tout le reste pourtant, c'est elle qui l'a mené à être ainsi, aussi distant, comme s'il ne prenait pas réellement conscience des conséquences de ses actes. Ils vivaient dans la moyenne, dans un petit appartement de la banlieue de Chicago avec ce que cela comportait. C'est là qu'il a fait ses premières armes, qu'il a appris qu'il ne suffisait pas d'être mignon pour se tirer d'affaire, que cela pouvait même le desservir. Alors quand sa mère le sommait de rester poli en toute circonstance, son père lui soufflait le contraire dès qu'elle ne les couvait plus du regard. Mewan n'a jamais eu à se plaindre: son père ne le battait pas, il n'a jamais eu trop de problèmes dans ces rues bondées de malfrats qu'il croisait tout le temps en prenant bien soin de garder le regard loin devant lui comme s'il ne les voyait pas. Et c'est cette allure hautaine, certaine de ce qu'il valait qui l'aida la plupart du temps. Sauf qu'il ne pouvait pas se permettre de se montrer ainsi avec tout le monde. Ce n'était pas de cette façon qu'on interagissait en société, on ne pouvait pas se montrer supérieur aux autres et rester bien sagement dans son coin à laisser ainsi le temps filer. Il devait se socialiser. Voilà un bien grand mot qui ressorti souvent lors des visites à la conseillère de son lycée. La première fois, il eut envie de lui balancer qu'il n'en avait rien à foutre d'être ainsi différent. La deuxième, il n'avait rien dit, juste gardé cet air impassible avant de partir pour sécher les cours la journée suivante pour travailler avec son père dans le garage familial. Ce dernier l'avait regardé, les lèvres pincées avant d'hocher la tête en lui faisant promettre de ne plus jamais recommencer. Ils ne savaient pas ce qu'il se passait au lycée et n'avaient pas à le savoir. Tant qu'il revenait en un seul morceau et qu'il ramenait de bonnes notes, c'était tout ce qu'ils demandaient, tout ce que la psychologue aurait dû demander. Sauf qu'elle recommença son manège dès son retour. S'il changea, ce ne fut que pour honorer la promesse faite à son père mais l'envie n'y était pas. Il ne comprenait pas tellement ce besoin de se montrer plus sociable. Il n'était pourtant pas du genre timide, il ne voyait juste pas à quoi cela pouvait lui servir de se montrer sociable envers quelques personnes si cela ne l'aidait pas de quelque façon. Il se sentait bien tel qu'il était et ne voulait surtout pas s'encombrer de filles stupides ou de garçons qui parvenaient à le faire rougir sans qu'il en comprenne, sur le moment, la raison. Il n'avait pas besoin que d'autres se mêlent de sa vie alors qu'elle était telle qu'il le souhaitait. Il n'y avait que lui et n'y aurait que lui jusqu'à l'arrivée de la Faucheuse. Il ne comprenait pas pourquoi c'était si difficile pour d'autres de le comprendre.

It ain't me, babe

Il ne changea pas vraiment. Il se fit des camarades avec lesquels ils ne fut jamais réellement sincère. Il aimait l'ambiance de Chicago avec ses fêtes à vous faire tourner la tête dans lesquels vous étiez les bienvenus en connaissant les bonnes personnes et, Mewan, en connaissait. S'il avait arrêté de voler suite à la gifle mémorable de son père, il s'était constitué un petit réseau de connaissances même dans le quartier qu'il avait pourtant passé la moitié de sa courte vie à détester. Il était juste bon d'avoir quelques connaissances malsaines pour se tirer du mauvais pas que d'encaisser les insultes et les connards parce qu'il avait été désigné 'proie facile'. Ce qu'il n'était pas. Tout ne se déroulait pas toujours comme prévu, il y avait ces regards lubriques lorsqu'il passait à certains coins de rues mais jamais il ne reçu plus que quelques coups avant que son pied n'atteigne l'assaillant au point sensible des bijoux de famille. Être sociable ? Sincèrement, il était mieux tout seul et au diable ce que les autres pensaient, penseraient de ses agissements, de son côté poker-face, de ses mensonges et fourberies.

D'aussi loin qu'il se souvienne, les soirées clandestines furent ce qu'il préféra de Chicago. Toujours, il s'était appliqué à être maître de la situation, à pouvoir dire oui ou non, à être celui qui décide dans n'importe quelle situation. A seize ans, il savait qui il était, ce qu'il valait, ce qu'il voulait alors que peu d'entre eux pouvaient se dire être capable de le définir en une dizaine mots. Il y avait la façade qu'il développait en société et ce côté un peu plus digne du sombre con et égoïste qu'il chérissait pourtant. Même son meilleur ami de l'époque ne le connaissait pas aussi bien qu'il le prétendait. Il n'avait pas vu sous le masque avant qu'il ne soit trop tard. Lorsqu'il avait compris qu'il était parfois utile de créer des liens avec autrui, ce fut tout naturellement vers lui qu'il se dirigea. Thomas. Il ne sut pas sur le moment pourquoi. Il ne lui apportait rien hormis la tranquillité de ne plus être embêté du côté de la direction parce qu'enfin il agissait comme tout le monde.

Pourquoi était-il resté aussi longtemps en sa compagnie ? Encore aujourd'hui Mewan a du mal à répondre à cette question. Il l'a aidé pourtant. Il ne s'est pas toujours emmuré dans ce rôle qu'il se donnait en société. Il s'en souvient plus ou moins de cette soirée clandestine. Qui avait insisté pour qu'ils y aillent ? Probablement lui même s'il ne s'en souvient plus. Ses souvenirs s'embrouillent dans sa tête. L'alcool n'avait jamais été bon pour les décisions que prenaient son cerveau. Il ne voulait pas s'attacher, refusait l'attachement sous toutes ses formes même s'il avait compris depuis quelques mois qu'il ne se sentait réellement bien qu'en compagnie de garçons et qu'il se sentait le plus souvent incroyablement bien avec Thomas. Il ressentait un mélange de dégoût et de frustration en désirant ce qu'il s'interdisait d'avoir. Pourtant, ce soir-là, l'alcool décida pour lui, lui fit prononcer ces mots dégueulasses pour parvenir à ses fins. Aimait-il Xénosis ou voulait-il juste l'avoir à lui pour cette première fois dont il ne se souvient absolument pas ? C'est confus dans sa tête, encore aujourd'hui. C'est la même chose qui se produit dès qu'une est trop proche. Il ne comprend pas pourquoi il est resté à ses côtés aussi longtemps, l'aidant dans cette période difficile de sa vie avec ses parents pour le rejeter en bloc une année plus tard. Devenaient-ils trop proches, s'était-il souvenu de ce qu'il s'était juré plus jeune alors que cette psychologue le sommait d'être différent de celui qu'il était ? Tout se mélange aujourd'hui alors qu'il n'y a jamais repensé. S'en veut-il, a t-il ce besoin de le revoir pour tenter d'arranger les choses ou recommencera t-il à être exécrable juste parce qu'il sent que le même schéma va se produire sans qu'il puisse changer la donne, qu'il lui dira les mêmes mots blessants pour qu'il parte et n'insiste pas, oublie une bonne fois pour toute celui qui ne veut pas être aimé ? Mewan ne sait pas et saura sans doute devant le fait accompli. Comme d'habitude.

Like a rolling stone - And the haters gonna hate, hate, hate, hate, hate

Trois années s'étaient écoulées. Trois années pendant lesquelles il n'avait pas réellement changé. Il s'était déjà vu dans les affaires, dossiers sur dossiers dès l'âge de seize ans, dans les entreprises parce que l'on se mettait du côté de l'employeur qui ne se souciait pas des personnes qu'il allait virer le lendemain, lui non plus ne se souciait pas d'eux. Il arrivait à analyser les affaires sans état d'âme. Son manque d'empathie le gardait bloqué derrière un bureau pour analyser les faits qui seraient défendus plus tard par un collègue mais cela lui allait très bien. A Chicago, il ne comprenait pas pourquoi on l'avait ainsi évincé du tableau mais ne disait rien, pensait continuer comme il l'avait toujours fait même si cela ne pouvait pas plaire à tout le monde même si cela pouvait causer des dégâts côté professionnel et privé. Il se refusait de changer pour plaire à la masse et ne devenir qu'un mouton parmi tant d'autres et quand bien même il ne le voulait pas, la situation le déprimait, le faisait penser à un passé qu'il pensait avoir mis au placard depuis longtemps.

Il regarde cette pièce froide, blanche. les cartons sont à moitiés vidés comme s'il s'attendait à devoir repartir à la seconde mais l'ombre d'un problème ne lui a pas encore sauté au visage pour lui ordonner de repartir. Le mobilier est sommaire, le juste nécessaire même si l'appartement procuré par la boite aurait pu être prometteur si bien décoré, mis en valeur. Cela ne le concernait pas. C'était son endroit à lui, pas aux autres, celui là seul où personne n'aurait jamais quelque chose à dire. Cette pièce lui ressemblait : en plus honnête. Elle le montrait tel qu'il était réellement, vide en ayant choisi de l'être. Il allait recommencer le jeu, ce double jeu dans cette énième vie qui ne serait pas la sienne mais celle que d'autres visionneraient à travers ce qu'ils croiraient capter de sa personne. Ça le faisait rire même s'il était là, un verre à la main, assis à même le sol à contempler le coucher de soleil. Un mince sourire éclaira ses traits généralement crispés. Il resterait lui-même quoiqu'il en coûte.