Les mains moites, le front dégoulinant de sueur, je scotche péniblement mon dernier carton. Un dernier coup de ciseau pour couper tout ça et... Tadaaaaa ! J'ai fini ! Il ne reste plus qu'à enfourner mon bazar dans la voiture et Joshua et à moi la liberté. Cela fait six longs mois que j'attends cette événement, six longs mois que je prépare mon déménagement. Et voilà que le moment fatidique est enfin arrivé. À presque vingt-six ans, je quitte le giron de mes parents. Je pousse un soupir de soulagement et jette mon ciseau sur la table de chevet.

« C'est bon ! » Je crie depuis ma chambre à l'adresse de mon petit frère, Joshua. Il est censé m'aider à déménager et m'emmener jusqu'à mon nouveau lieu de résidence : un appartement dans le centre ville.

« Pas trop tôt, j'arrive ! » Me répond-il presque instantanément.

J'esquisse un sourire avant d'embrasser la pièce du regard, le cœur gros. J'ai beau avoir hâte de quitter la demeure familiale, cet endroit représente toute mon enfance. Voir ma chambre ainsi mise à nue me fait de la peine. C'est comme si une partie de moi-même volait en éclat. Un mal nécessaire si je veux continuer à avancer.

Un bout de papier dépassant de sous mon matelas attire soudain mon attention. Au moment ou je m'apprête à m'en emparer, mon cadet fait irruption dans la pièce.

« Alors la vieille, on commence par quoi ? » Je lui tire la langue sans vergogne avant de lui désigner mes cartons de livres.

« C'est le plus lourd alors mieux vaut le mettre au fond. T'as qu'à commencer à charger la voiture et je te rejoins dans une minute. »

« Dis plutôt que tu veux me faire faire tout le boulot, ce sera plus crédible. » Me répond-il en souriant avant de s'emparer d'un premier paquet. Je profite de ses mains occupées pour lui ébouriffer les cheveux en riant.

« C'est que tu n'es pas si bête que ça en fait. Allez Tweedle-Dee, au boulot. » Il me lança son regard incendiaire le plus convainquant avant de disparaître dans le couloir, son fardeau dans les bras.

J'en profite pour récupérer ce qui dépasse de mon matelas. Il me faut quelques minutes pour réaliser ce que je viens de découvrir : un petit cahier bleu pétard dont la couverture est ornée d'une licorne malhabile. Mon ancien journal intime ! Je ne me souvenais même pas que je l'avais caché ici ! Je me laisse tomber lourdement sur le lit avant de me lancer dans la lecture.

09/10/2000

Cher Journal,

C'est la première fois de ma vie que je me lance dans cette grande expérience qu'est la rédaction d'un journal intime. Pour être honnête, j'ai un peu le trac. Qui sait, tu pourrais très bien tomber entre de mauvaises mains... Celles de Joshua par exemple (si tu lis ça Josh', sache que ma vengeance sera terrible). Et puis, j'ai aussi peur de ne pas être assez rigoureuse et de t'oublier. Tu finirais par tomber dans l'oubli, et je m'en voudrais de t'abandonner de la sorte. Mais d'un autre côté, j'essaye d'imaginer ma tête lorsque je retomberais sur toi dans quelques années, quand je serais une petite vieille tu vois. Ça me fera de bons souvenirs.

Comme dans tout journal qui se doit, je vais commencer par me présenter brièvement, moi et ma famille.

Moi, c'est Mary-Ann (mais tout le monde m'appelle Anna). J'ai dix ans et je vis à Marple Spring. Ma couleur préférée, c'est le bleu. Je trouve ça calme et apaisant... Mais j'aime aussi beaucoup le vert pour son côté vivant et pétillant. À part ça, j'adore lire, écrire, et je pourrais passer des heures à dessiner, vautrée sur mon lit. J'adore les licornes (c'est trop miiiiignon) et plus tard, je voudrais devenir dresseuse de licornes ! À chaque fois que je dis ça, Joshua se fiche de moi en me disant les licornes, ça n'existe pas. Je ne le crois pas. Je lui prouverais un jour !

Joshua (alias Tweedle-Dee), c'est mon petit frère, et le jumeau de Kaelynn (alis Tweedle-Dum). J'adore mes frangins ! Tout n'est pas toujours tout rose entre nous, mais je les aime plus que tout au monde. Je serais prête à me couper en quatre pour eux (si si, je t'assure). Je ne sais pas exactement pourquoi on s'entend si bien. Après tout, nous sommes très différents. Mais qu'importe après tout. On s'apprécie et c'est tout ce qui compte.

Ensuite, il y a le boulet : Leah. C'est la petite dernière, alors tout le monde est au petit soin pour elle. Ça m'énerve. En plus, elle n'est pas belle ! Elle a trois cheveux qui se battent en duel sur sa tête et de grosses joues toutes roses. Je ne vois pas ce que tout le monde lui trouve.

Pour finir, il y a papa et maman. Mon père, c'est l'homme de ma vie. Il est toujours là pour moi : il joue avec moi, m'écoute, me fait des câlins, me borde le soir, etc. Je le suivrais jusqu'au bout du monde si besoin est. Par contre, je m'entends moins bien avec ma mère. Non pas que je ne l'aime pas hein, loin de là. Mais j'ai toujours l'impression qu'elle me guette, cherchant le moindre prétexte pour me tomber dessus et me prendre la tête. Je n'ai plus cinq ans bon sang !

Oups, en parlant de maman, la voilà que maman m’appelle pour venir manger. Je te laisse cher Journal. À bientôt...

J'esquisse un sourire songeur avant de feuilleter les autres pages, vides. Finalement, je n'ai jamais eu le courage d'aller plus loin. C'est tout moi ça, toujours motivée pour commencer quelque chose de nouveau, mais jamais capable d'aller jusqu'au bout des choses. Je sens mon cœur se serrer aux souvenirs que ce journal me rappelle. Je ferme les yeux, j'inspire profondément, et puis je compte jusqu'à trois. Un. Deux. Trois. Lorsque je ré-ouvre les yeux, Joshua, Kaelynn, Pearl et Spencer sont devant moi.

« Tu feignantes l'asticot ?! » Me lance Pearl, un sourire sarcastique sur le visage. Je me redresse, le visage pâle.

« Non, je viens de retrouver mon vieux journal intime en fait... Du coup, je le feuilletais un peu. »

Au moment où j'allais le reposer sur le lit, une photo s’échappa du rabat de la couverture pour atterrir à mes pieds. Lorsque ma main tremblante la ramassa pour que je puisse la regarder à mon aise, je sentis mes yeux s'embuer de larmes. Il s'agissait d'une vieille photo de famille, prise peu après la naissance de Spencer. Je reniflais bruyamment avant de me jeter dans les bras de mes frangins.

« Je vous aime les boulets... » Murmurais-je la voix tremblante avant de les prendre tous dans mes bras. 

Après quelques secondes de câlin collectif, je séchais mes larmes d'un revers de manche et leur donnais une grande claque sur l'épaule.

« Allez, on a encore des cartons à descendre. Au boulot ! » Ce disant, je m'emparais d'un carton et quittais ma chambre sans un regard en arrière. L'avenir m'attendait. La vie m'attendait. Bellamy m'attendait.