Le klaxon de la voiture de mon père se fait entendre depuis l’autre côté de la rue. La chaleur est assommante aujourd’hui à Nairobi, l’une des pires vagues de chaleur depuis le moins de Mai. Je n’ai pas le temps d’enfiler un t-shirt que mon frère m’agrippe par le bras et me beugle de me dépêcher. Père détestait attendre, encore moins dans une voiture non climatisée à cette chaleur. Juste à y penser, j’essuyai les goûtes de sueur perlant sur mon front. J’attrape au vol une vieille camisole des Red Sox et je l’enfile en serrant au passage la poignée de ma valise, qui fait un bruit catastrophique en descendant les marches de l’appartement. Notre plus petit frère, encore trop jeune pour quitter la maison, nous crie qu’il nous aime en essuyant les larmes ruisselant sur ses joues d’ébènes. Il devra gérer la maison, le temps que moi, mon frère et mon père fassions la route jusqu’à l’aéroport la plus proche.
On a décidé de quitter l’Afrique pour plusieurs raisons. La principale, pour moi, c’est que les études c’était sacré et qu’ici, y’avait absolument rien. C’est quand même que l’Afrique, vous me direz, et bien que j’ai appris l’anglais et le français sur le bout de mes doigts, ça m’en prenait plus que ça. Par la suite, mon frère, ayant vu une porte de sortie vers un monde plus technologique, plus avancé et surtout remplis de canailles prêtes à lui refiler toutes les drogues du monde, à décider de me suivre sans même me demander la permission. Bon, c’est mon frère, je n’aurais pas dit non, de toute façon. De plus, notre père avait perdu son récent emploi dans une plantation et depuis le décès de mère, il n’avait plus les sous pour héberger trois garçons en pleine croissance qui vident le frigo en deux jours. Il était inquiet, mais il devait nous laisser s’envoler de nos propres ailes. C’est ce qu’on a fait.
Même en été, Marple Spring, ce n’est pas comme l’Afrique. Quand on est débarqué de l’avion, on avait l’air de deux purs touristes, ce n’était même pas croyable. On a aussi dû se faire remarquer par notre accent et… et bien, notre couleur de peau. Pourtant nous n’étions pas loin de Detroit, et Detroit, quoi… M’enfin, voilà. Avec l’argent en banque qu’on avait et grâce à l’avance de fond de notre père, on a pu commencer par se trouver un motel sympa pour passer la nuit et faire des recherches pour un appartement. On prisait l’Est de la ville pour son côté plus artistique, ce qui nous permettrait de nous développer, moi qui dansait et lui qui chantait. Les prix étaient un peu surprenant, mais dans notre budget, et on s’est démerdé assez rapidement. En plus, le mec qui nous loue l’appartement est noir aussi, donc on s’est compris.
J’ai réussi à me dégoter un boulot au Mambo’s Bar comme serveur à cause de ma facilité à aller vers les gens ainsi qu’à cause de ma belle gueule, que le patron disait. J’ai trouvé ça drôle, mais pour le coup, ça me fait une source de revenus que je mets de côté une fois sur deux pour payer mon entrée à l’université.